Les incohérences de la notation de la France

Eric Dor, IESEG School of Management

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Plusieurs causes seraient susceptibles d’induire Fitch et Moody’s à dégrader la note de la dette souveraine, ou au moins lui associer une perspective négative. Verdict ce vendredi.

Ce vendredi, les agences de notation Fitch et Moody’s doivent communiquer leur décision sur la note de crédit de la dette souveraine de la France. La note de Moody’s est pour le moment Aa2, supérieure d’un cran à la note AA- accordée par Fitch.

Vu la détérioration récente des finances publiques de la France, ces agences doivent maintenant décider de garder leur note inchangée ou de la dégrader. Plusieurs causes seraient susceptibles d’induire une de ces agences, surtout Moody’s, à dégrader la note de la France, ou au moins lui associer une perspective négative.

Le déficit public et la dette de la France, réalisés en 2023 et projetés pour les années ultérieures, sont très supérieurs aux projections sur base desquelles les agences avaient attribué leurs notes présentes. Ainsi, Fitch projetait un déficit public de 4,9% du PIB en 2023, 4,6% en 2024 et 4,2% en 2025 lorsque cette agence a maintenu la note AA- de la France, le 27 octobre 2023. Et Fitch projetait une dette publique de de 110,4% en 2023 et 2024, et puis une hausse légère jusqu’à 111,9% en 2027. Le déficit public de la France a cependant été de 5,5% du PIB en 2023, et le gouvernement cible 5,1% en 2024! Ensuite les projections officielles sont 4,1% en 2025, 3,6% en 2026 et 2,9% en 2027, mais ces cibles sont très inférieures aux projections formulées par les organismes indépendants comme le FMI. La dette, de 110,6% en 2023, est projetée par le gouvernement à 112,3% en 2024, 113,1% en 2025, 112,9% en 2026 et 112% en 2027. Mais ces cibles officielles sont très inférieures aux nouvelles projections du FMI, de 114% en 2027, 114,6% en 2028 et 115,2% en 2029.

«Le nouveau programme de stabilité du gouvernement a une crédibilité limitée et comporte des incohérences.»

Les hypothèses de croissance retenues maintenant par le gouvernement, pour étayer son nouveau scénario sur les recettes fiscales, semblent trop optimistes, comparées aux projections des organismes indépendants. Le gouvernement se base sur des hypothèses de croissance réelle de 1% en 2024, ce qui est très supérieur aux projections de 0,6% pour l’OCDE, 0,7% pour le FMI ou 0,8% pour la Banque de France. Pour 2025 le gouvernement compte sur une croissance réelle de 1,4%, similaire à la projection du FMI mais supérieure à celle de l’OCDE, 1,2%. Les hypothèses de croissance réelle formulées par le gouvernement sont aussi de 1,7% en 2026 et 1,8% en 2027, alors que le FMI projette plutôt 1,6% et 1,5%, ce qui semble encore très optimiste. La croissance potentielle annuelle de la France est sûrement inférieure à l’hypothèse de 1,35% du gouvernement. En effet la productivité horaire du travail a baissé de 3,7% entre 2019 et 2023 en France, pour des raisons qui risquent de durer.

Le nouveau programme de stabilité du gouvernement a une crédibilité limitée et comporte des incohérences. Ce programme compte réduire de 3,5%, entre 2023 et 2027, le déficit primaire en pourcents du PIB, essentiellement par des efforts de maîtrise des dépenses. Ce serait un effort de dépenses, concentré sur quelques années, d’une ampleur totalement inédite en France, ce qui pose la question de son réalisme. Les dépenses publiques de cette année sont déjà réduites de 10 milliards d’euros par un décret d’annulation de crédits de février. L’année prochaine, c’est une réduction supplémentaire de 25 à 30 milliards d’euros que le gouvernement compte réaliser. Cet objectif semble extrêmement ambitieux, surtout avec un gouvernement sans majorité parlementaire garantie. Les projections optimistes de croissance réelle du gouvernement, et donc de recettes fiscales, sont basées sur l’hypothèse d’une forte consommation des ménages qui résulterait d’une baisse du taux d’épargne favorisée par la décrue de l’inflation. Mais ces projections sont incohérentes car l’impact récessif des mesures de contraction des dépenses publiques sur les revenus des ménages et le PIB est ignoré.

«La dette publique de la France en pour-cents du PIB est très supérieure à celle des autres pays ayant une note similaire de la part des agences de notation.»

Il est généralement reconnu que pour garder la confiance des marchés financiers, un gouvernement doit assurer au moins des perspectives crédibles de stabilisation de la dette publique en pourcents du PIB nominal. Le problème, c’est que même le gouvernement cible maintenant une dette de 112% du PIB en 2027, supérieure aux 110,6% de 2023. Et le FMI estime que la dette publique de la France va augmenter continûment, à politique inchangée, jusqu’à 114% en 2027 et 115,2% en 2029. Bien sûr, le gouvernement pourrait renforcer ses mesures de restriction budgétaire pour arriver à stabiliser la dette en pourcents du PIB dès maintenant, mais l’effort requis semble trop exigeant pour être réaliste. Les projections de déficit primaire sont supérieures au maximum autorisé pour stabiliser la dette.

La dette publique de la France en pour-cents du PIB est très supérieure à celle des autres pays ayant une note similaire de la part des agences de notation. La dette publique de la France est même très supérieure à celle de beaucoup de pays européens qui ont une note inférieure ! Des pays européens, dont la note est moins bien notée que la France, ont aussi de meilleures performances de croissance et de compétitivité. C’est le cas de l’Espagne, notée 3 à 4 crans en dessous de la France, mais moins endettée, avec de meilleures perspectives de croissance et un surplus du compte courant.

La patience des agences de notation envers la France peut surprendre. Les agences soulignent souvent la liquidité de cette dette, la forte diversification de la production française, l’ampleur des patrimoines et revenus privés qui peuvent être potentiellement taxés et la solidité des banques françaises. Le risque est toutefois que ces arguments deviennent insuffisants pour éviter une dégradation de la note de la France, vu la dégradation de ses finances publiques.

La dégradation récente des performances budgétaires de la France a eu peu d’effet sur les taux d’intérêt réclamés par les marchés sur ses obligations publiques. Les obligations françaises sont encore un bon choix pour les investisseurs internationaux, car les obligations des pays très sûrs comme l'Allemagne sont émises en quantité trop limitée. Les marchés semblent aussi persuadés que la BCE agirait nécessairement pour empêcher toute crise de dette souveraine de la France, par des achats massifs d’obligations.

Certaines catégories de dépenses publiques de la France excèdent largement la moyenne européenne. C’est surtout le cas des dépenses pour le chômage, l’enseignement secondaire, les services annexes à l’éducation, le logement et l’administration.

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