Rendez-vous en 2155 pour l’égalité des genres

Dorothée Borca Dumortier, IG Bank

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Selon la dernière étude du WEF, l’écart entre les hommes et les femmes ne s’est que très peu réduit depuis 2006. Il faudra encore 131 ans pour atteindre la parité.

Le dernier Global Gender Gap report du Forum Economique Mondial est sans appel. Les 102 pays étudiés dans le rapport depuis 2006 montrent que l’écart ne s’est que très peu refermé depuis. A ce rythme-là il faudra encore 131 ans pour atteindre la parité1. Les thématiques de diversité et d’inclusion n’ont jamais été aussi présentes dans la presse, les médias et les politiques d’entreprise. Malgré toute l’énergie investie, force est de constater que les résultats restent pour le moment plus que mitigés. Pourquoi un tel décalage entre l’intention et la réalité? Voici quelques clés de décryptage de pays voisins et plus lointains.

Défier les normes locales

A l’échelle du globe, le gender gap est très disparate et certaines régions ont réussi à progresser plus que d’autres. Cela est en partie dû aux pouvoirs politiques qui ont instauré des politiques ayant pour but de promouvoir la diversité et l’inclusion. La majeure partie des évolutions semblent pourtant provenir du monde privé et des efforts locaux et ciblés que tout un chacun peut réaliser. L’exemple de la Corée du Sud est intéressant. Une étude2 des entreprises locales et étrangères opérant dans ce pays a montré que certaines multinationales taclent les inégalités entre les sexes en recrutant, embauchant et promouvant de manière agressive les femmes à des postes de direction. Ces sociétés ont également tendance à proposer des congés de maternité généreux et des services de garde d’enfants.

Selon cette même étude, l’embauche et la promotion ciblées de femmes à des postes de direction indiquent que ces entreprises ne craignent pas de remettre en question les normes locales concernant la place des hommes et des femmes au travail. Ces entreprises en profitent également : elles enregistrent des bénéfices plus élevés et connaissent une augmentation de leur productivité, constatent les chercheurs, apparemment en raison des nouvelles perspectives et des nouvelles normes que les femmes managers apportent. Et comme le marché du travail local évolue lentement, ces entreprises peuvent profiter des avantages de leur stratégie pendant de nombreuses années.

Un impact global inégal

Les firmes comme Boeing ou TikTok sont souvent critiquées pour leurs pratiques allant de la sécurité des produits aux problèmes de confidentialité des données. Il n’est donc pas surprenant que certains se demandent s’ils promeuvent l’égalité des sexes sur le lieu de travail à l’échelle mondiale. Une équipe de chercheurs3 de l’Université d’Amsterdam et de l’Université des Sciences Appliquées de Rotterdam a décidé d’examiner précisément cela. Pour comparer l’écart salarial entre hommes et femmes au sein des filiales des multinationales à celui des entreprises locales, ils ont analysé les données de plus de 40’000 employés dans 13 pays représentant une gamme diverse en termes de richesse, de l’Inde et de l’Indonésie à la Belgique et aux Pays-Bas. Les opérations de multinationales dans les pays les plus riches ont tendance à être plus équitables entre les sexes.

Mais, dans les pays les plus pauvres, les entreprises multinationales ne réduisent pas nécessairement l’écart salarial entre hommes et femmes, ont-ils constaté. Cet écart peut être attribué à une combinaison complexe de conditions économiques, de normes culturelles et de cadres juridiques susceptibles de limiter l'efficacité des politiques et pratiques mises en œuvre par ces entreprises, selon les chercheurs. Ainsi, même si les initiatives et les pratiques des entreprises globales peuvent renforcer l’équité entre les sexes sur le lieu de travail, des approches plus localisées pourraient garantir qu’elles profitent à davantage de femmes dans un plus large éventail de contextes locaux.

Encourager les alliances vertueuses au sein des entreprises

Les actes d’alliance, en anglais allyship – par lesquels des membres de groupes historiquement avantagés (par exemple, les Blancs, les hommes) soutiennent des membres de groupes traditionnellement moins avantagés (par exemple, les minorités raciales, les femmes) – sont essentiels pour générer l’inclusion sur le lieu de travail. Cependant, de nombreux managers et dirigeants bien intentionnés se sentent paralysés par la peur de se tromper. Il n’est pas difficile de comprendre pourquoi: certaines tentatives très médiatisées de la part d’entreprises et de dirigeants d’entreprises pour promouvoir la diversité, l’équité et l’inclusion se sont retournées contre eux de façon spectaculaire ces dernières années. Par exemple, les critiques sont arrivées de tous bords lorsque le PDG de Microsoft, Satya Nadella, a suggéré aux femmes d'attendre un «bon karma» plutôt que de demander directement des augmentations. Bien que probablement bien intentionnés, ses conseils ont été considérés comme déconnectés de la réalité. Il s'est ensuite excusé et a clarifié son soutien à l'égalité salariale.

Alors que faire? Premièrement, recalibrez les attentes. Les entreprises peuvent et doivent expliquer comment les actes d’alliance sont plus appréciés qu’imaginés. Il est donc essentiel de mieux informer et accompagner les managers dans ce processus. Ensuite, les entreprises peuvent sonder et interroger les membres de groupes traditionnellement sous-représentés sur les initiatives qu’ils apprécieraient le plus et qui leur seraient les plus bénéfiques, puis partager l’enquête avec des alliés potentiels. L’aide directe est souvent la plus appréciée, mais des formes alternatives peuvent également s’avérer bénéfiques.

Le moment est venu de collectivement accélérer la transformation. Toute action génèrera un impact sociétal. Il en va de l’héritage que nous laisserons aux générations futures.

 


1 Global Gender Gap Report 2023 | World Economic Forum (weforum.org)
2 Multinational Firms, Labor Market Discrimination, and the Capture of Outsider’s Advantage by Exploiting the Social Divide - Jordan Siegel, Lynn Pyun, B. Y. Cheon, 2019 (sagepub.com)
3 Unraveling the MNE wage premium | Journal of International Business Studies (springer.com)

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