Tsunami réglementaire à venir

Matthias Fawer, Marina Preyssat, Vontobel

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Trois évolutions à surveiller pour les investisseurs à impact en 2024.

Bien qu’ancrés dans l’Union européenne, les efforts visant à aligner durabilité et pratiques financières par le biais de la réglementation ont des répercussions à l’échelle mondiale. Le nombre important de réglementations adoptées l’année dernière fera de 2024 une année de transition décisive.

Parmi les avantages, citons la comparabilité et l’harmonisation à l’échelle mondiale des produits financiers durables. L’essor réglementaire mondial n’est cependant pas comparé sans raison à un tsunami. Ce domaine est vaste et de plus en plus complexe, l’adoption de réglementations individuelles s’accélérant et générant un effet de cumul qui semble difficile à maîtriser.

Dans un tel contexte, les trois éléments suivants, qui sont à l’ordre du jour en matière de réglementation, mériteront toute l’attention des investisseurs à impact en 2024:

  1. Application du nouveau régime de l’UE en matière d’établissement de rapport: entrée en vigueur de l’harmonisation de la double matérialité dans les rapports de durabilité
    La directive européenne concernant la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises (CSRD) est entrée en vigueur en janvier 2023. Elle exige que les entreprises rendent compte de leurs pratiques en matière de durabilité et constitue un élément clé du nouveau cadre réglementaire de l’UE en faveur de finances durables. L’ensemble précis de normes qui doivent être respectées pour l’établissement de ces rapports sont définies dans les normes européennes d’information en matière de durabilité (ESRS), qui ont été adoptées en octobre 2023 et qui accompagnent la directive. Il en résulte une transition conceptuelle vers une approche de «double matérialité» pour l’établissement des rapports d’entreprise sur la durabilité. Ce nouveau régime d’établissement de rapport prévoit que les entreprises publient des informations sur la manière dont les facteurs de durabilité peuvent avoir un impact financier sur leurs activités économiques, tout en précisant également l’impact des entreprises sur l’environnement et la société. Il s’agit là précisément des données et informations dont ont besoin les investisseurs, qui recherchent des entreprises fournissant des solutions aux défis environnementaux et/ou sociaux.
    Quelles entreprises seront concernées en 2024 et au-delà? La CSRD s’appliquera aux entreprises domiciliées au sein de l’UE (sous réserve de certains critères de taille), mais aussi aux entreprises domiciliées hors UE exerçant d’importantes activités dans l’UE. Ainsi, ce nouveau régime pour l’établissement de rapports d’entreprise sur la durabilité sera déployé progressivement aux quelque 50 000 entreprises actives sur le marché européen d’ici 2028, les premières entreprises concernées devant publier leurs premiers rapports dès 2025. Les investisseurs doivent garder à l’esprit que pour ces entreprises, 2024 est la première année d’application de ce nouveau régime d’établissement de rapports.
    Le temps nous dira dans quelle mesure les informations ainsi communiquées seront utiles et comparables. Les entreprises devront procéder elles-mêmes à l’analyse de double matérialité. Nous espérons donc que les rapports répondront aux attentes des parties prenantes, et en particulier des investisseurs. 
     
  2. Modification des règles d’étiquetage des produits financiers
    Un autre domaine que les investisseurs à impact ne doivent pas perdre de vue en 2024 est l’étiquetage des produits financiers dans le secteur de la finance durable. La déclaration de politique générale publiée par la Financial Conduct Authority britannique en novembre 2023 et intitulée «Sustainability Disclosure Requirements (SDR) and investment labels» (Exigences en matière de publication d’informations sur la durabilité et étiquetage des investissements), qui comprend une catégorie «Sustainability Impact» (Impact sur la durabilité), est à cet égard un document important. Les investisseurs à impact devraient également s’intéresser à l’éventuelle révision des publications d’informations de niveau 1 requises par le règlement sur la publication d’informations en matière de durabilité dans le secteur des services financiers (SFDR) intervenue en décembre 2023, à l’issue d’une période de consultation par la Commission européenne. Cette consultation avait demandé des informations sur une catégorie de produits financiers investissant dans des actifs «qui visent spécifiquement à offrir des solutions ciblées et mesurables à des problèmes associés à la durabilité, qui affectent les populations et/ou la planète». De même, l’AEMF a publié en décembre 2023 le résultat de sa consultation relative aux règles s’appliquant à la dénomination des critères ESG, dans laquelle elle conclut que les termes associés à «impact» devraient être réservés aux investissements «effectués dans le but de générer un impact social et environnemental positif et mesurable». En d’autres mots, une distinction sera effectuée à l’avenir entre les fonds à impact et les autres investissements durables.
     
  3. Premiers pas vers la réglementation des agences de notation ESG
    L’UE a été véritablement présente sur tous les fronts en 2023 en matière de réglementation ESG, avec entre autres l’accord du Conseil de l’UE pour négocier une proposition de mandat destinée à réguler les notations ESG. Les investisseurs ont recours aux notations ESG pour se faire une idée du profil de durabilité des entreprises et des instruments financiers. La réglementation au sein de l’UE en vue de l’harmonisation des notations représente par conséquent un grand pas en avant.
    Elle devrait accroître la fiabilité et la comparabilité des notations ESG, en veillant à la transparence et à l’intégrité et en évitant les conflits d’intérêt. Les fournisseurs de notations ESG au sein de l’UE devront obtenir l’autorisation de l’AEMF, respecter les exigences en matière de transparence et prendre des mesures spécifiques pour éviter les conflits d’intérêt. Les notations ESG incluent explicitement des facteurs environnementaux, sociaux, relatifs aux droits de l’homme et relatifs à la gouvernance, alignés sur la CSRD.
    Par ailleurs, les fournisseurs de notations ESG situés en dehors de l’UE devront demander l’équivalence, l’approbation ou la reconnaissance de leur propre régime réglementaire sur la base de celui adopté par le Conseil.
    Nous sommes heureux de cette évolution, ayant pu constater au fil des discussions avec nos clients et nos homologues que la confusion persiste en matière de notations ESG, malgré l’importance croissante qui leur est accordée. Citons comme exemple l’erreur souvent commise de supposer qu’une notation ESG satisfaisante signifie l’adoption de bonnes pratiques en matière de durabilité. Une telle supposition ne peut être effectuée en l’absence d’une approche harmonisée et transparente commune aux différentes agences de notation.

Perspectives

Un tel cadre commun aux agences de notation permettra d’homogénéiser les règles pour comprendre comment les notations sont obtenues et ce qu’elles signifient exactement. De même, nous soutenons la transition vers la double matérialité, car elle aussi fournit une vue plus complète aux investisseurs à impact. Le resserrement des règles d’étiquetage est par ailleurs important pour garantir clarté et cohérence. Bien que l’augmentation des réglementations ne freine pas les convictions qui motivent les investisseurs à impact, elle doit être gérée afin de garantir que l’investissement à impact reste pertinent en tant que catégorie d’investissement ESG.

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