Perspectives actions internationales de J.P. Morgan AM

Paul Quinsee, J.P. Morgan Asset Management

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Les marchés boursiers avaient connu un début d'année difficile avant même l'invasion de l'Ukraine par la Russie en février.

Synthèse
  • Alors que l'économie mondiale se normalise progressivement après les soubresauts provoqués par la pandémie et les mesures de relance monétaire et budgétaire qui en ont découlé, nous pensons que les bénéfices des entreprises vont continuer à augmenter, mais à un rythme beaucoup plus lent. Ce retour à la normale sera à la fois source de risques et d’opportunités pour les investisseurs en actions.
  • Depuis la réunion du Comité d’investissement du trimestre dernier, l'éclatement de la crise en Ukraine a aggravé les perspectives. Le conflit a entraîné une révision à la baisse des prévisions de croissance et accentué les pressions sur l'inflation, dans un contexte de hausse des prix des matières premières.
  • Les valorisations actuelles sont globalement raisonnables, mais il subsiste des segments de marché onéreux qui pourraient également pâtir d’un abandon progressif des politiques monétaires menées en urgence. L'activité spéculative sur les marchés actions diminue rapidement après la frénésie observée en début d’année dernière. Dans nos stratégies, nous préférons privilégier les sociétés de bonne qualité.
Situation des marchés actions

Les marchés boursiers avaient connu un début d'année difficile avant même l'invasion de l'Ukraine par la Russie en février. Les publications de bénéfices restent solides, mais les signes indéniables d'une hausse prochaine des taux d'intérêt exercent des pressions sur les valorisations, en particulier celles des entreprises dont les multiples sont les plus élevés. L'activité spéculative, qui avait atteint un pic il y a un an, évolue rapidement. Comme toujours, nous cherchons à décrypter et à prévoir les niveaux de rentabilité à long terme afin d'anticiper les performances des actions. Alors que l'impact de la pandémie de COVID-19 commence à s'estomper, nous observons de nombreux signes de normalisation dans nos perspectives de bénéfices des entreprises à l’échelle mondiale, même si le rythme du rebond varie considérablement. La croissance économique reste supérieure à sa tendance aux États-Unis et l'Europe était en train de rattraper son retard, mais l’impact de la hausse des prix de l'énergie sera particulièrement néfaste pour la région. La Chine connaît des difficultés plus importantes.

Nous constatons également que la pandémie s’est traduite par une libération rapide et soutenue de la demande dans certains secteurs, et dans un contexte de normalisation, les investisseurs pourraient être déçus si les gains découlant de cette tendance, qu’ils croyaient permanents, venaient à disparaître. C’est notamment le cas de certaines entreprises technologiques présentant des valorisations très élevées, qui ont bénéficié d'une accélération des achats en ligne que beaucoup considéraient comme une mutation structurelle inévitable. L’ajustement des politiques monétaires face à la pandémie a également déclenché un énorme boom sur les marchés de capitaux, avec une activité de trading frénétique et de gros volumes d’émissions, qui ont donné un coup de fouet à tout le secteur financier. Ces gains commencent également à s'estomper, mais cela était largement attendu et intégré dans les valorisations.

Nous suivons également de près l’évolution des coûts des entreprises afin de déterminer dans quelle mesure la pression exercée sur les chaînes d'approvisionnement, les coûts des facteurs de production et les salaires était «transitoire» (résultat de l'augmentation de la demande de consommation induite par la pandémie) et quelle sera la «nouvelle normalité» des situation est complexe mais nous pensons que, dans l’ensemble, la hausse des coûts de nombreux intrants finira par se dissiper et que les chaînes d'approvisionnement se normaliseront progressivement courant 2022. Pour l’instant, de telles tendances ne se sont pas encore matérialisées. Toutefois, l'inflation des salaires risque d'être un problème plus grave et plus persistant, en particulier aux États-Unis. Parallèlement, les pressions sur les prix des matières premières se sont bien entendu renforcées ces derniers jours.

Dans l'ensemble, nos prévisions de bénéfices à court et à long terme se stabilisent, après avoir fortement augmenté en 2021. Nous tablons sur une trajectoire beaucoup plus classique, caractérisée par une croissance régulière mais plus lente, moins de bonnes surprises et plus de déceptions que lors de l'explosion des bénéfices l'année dernière. Après tout, c'est à cela que s’apparente une normalisation.

Globalement, les valorisations des actions nous semblent assez raisonnables. Les multiples des marchés actions d’Europe, du Japon et des pays émergents sont en effet proches voire légèrement au-dessus de leurs moyennes à long terme. Selon notre modèle de recherche interne, les actions chinoises présentent désormais leur meilleur potentiel de performance depuis plusieurs années, malgré des prévisions de bénéfices qui semblent continuer à baisser.

Si les actions américaines continuent d’afficher une prime de valorisation, sur l'ensemble des marchés, nous constatons toujours une dispersion importante des valorisations ainsi qu’une prime plus élevée que d'habitude pour les sociétés à croissance rapide, malgré quelques corrections marquées ces dernières semaines.

La sous-performance des entreprises non rentables

L'année dernière, dans notre rapport du deuxième trimestre, nous avions souligné l’optimisme incroyable du marché à l'égard des entreprises en phase de démarrage qui n'avaient pas encore annoncé de bénéfices, mais qui profitaient néanmoins de cours de bourse en forte hausse et de valorisations élevées. Cet enthousiasme a atteint son apogée lors des premiers mois de 2021 (tout comme l’essentiel de l'activité spéculative), et depuis, ces valeurs ont enregistré des performances très faibles (cf. Tableau 1). Cette phase de sous-performance est-elle derrière nous? Malgré l’ampleur des corrections de certains titres, nous continuons à faire preuve de sélectivité vis-à-vis de ce type d’investissements. Les valorisations de la plupart des valeurs non rentables semblent encore assez élevées, à environ 9 fois le ratio valeur d’entreprise/revenus, un niveau nettement inférieur au pic de 18 fois, mais qui reste supérieur d’environ un point au niveau pré-pandémie. Un tel multiple offre à ces valeurs une prime encore élevée par rapport au marché mondial des actions (2,4 fois).

Les investisseurs peuvent enregistrer des performances exceptionnelles sur la durée en identifiant les gagnants avant qu'ils ne deviennent rentables. Nos recherches montrent toutefois que ce type de valeurs réserve plus de déceptions que de gains et génère généralement des performances inférieures à celles du marché dans son ensemble. Nous investissons dans ces valeurs de manière très sélective et nous avons rencontré un certain succès au fil du temps, notamment dans le secteur de la santé. Nous veillons cependant à bien comprendre leur trajectoire de rentabilité et nous appliquons une discipline de vente rigoureuse afin de réduire nos pertes si notre optimisme se révèle excessif. Cette rigueur est particulièrement importante actuellement, dans la mesure où le style de gestion «croissance à tout prix» touche à sa fin.

Point sur la gestion ESG

Comme la plupart des investisseurs en actions, nous avons beaucoup réfléchi à la manière d'intégrer les aspects financièrement importants des enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) dans notre processus de gestion. Nous avons récemment affiné notre dispositif d’évaluation ESG piloté par nos analystes afin de mieux identifier les pistes d'amélioration et les nouvelles opportunités, et de distinguer les sujets les plus importants des autres problématiques, moins urgentes. Nous restons convaincus qu’analyser ces sujets nous permet de mieux comprendre les opportunités et les risques d'investissement. Nous savons par ailleurs que nous devons effectuer nous-mêmes le travail d'analyse plutôt que de simplement nous fier aux données et aux opinions d'autres personnes.

Malgré cette approche, cela ne signifie pas que les entreprises ayant une bonne notation ESG génèreront constamment des performances plus élevées. Les actions les mieux notées dans notre modèle interne ont surperformé ces dernières années. Mais jusqu'à présent, l'année 2022 se révèle différente, puisque de nombreuses entreprises faiblement notées enregistrent de bonnes performances, sur fond de rebond du secteur de l'énergie (cf. ci-dessous). Généralement, les portefeuilles durables privilégient les facteurs «croissance» et «qualité» et sous-pondèrent les titres value.

Lorsque les marchés se comportent comme ils l'ont fait cette année, ces biais peuvent peser sur les performances à court terme.

Toutefois, à long terme, nous pensons que les performances en matière de durabilité seront positivement corrélées aux performances des actionnaires.

Les entreprises présentant des notations ESG élevées sont généralement mieux gérées, leur coût du capital est plus faible et vont attirer les stratégies d'investissement ESG, actuellement en plein essor. Il n’empêche, compte tenu de l’évolution récente des marchés, les valorisations sont redevenues attractives. Les meilleurs élèves ESG aux États-Unis, par exemple, ne se négocient plus qu'avec une légère prime par rapport au reste du marché.

Rebond du secteur de l'énergie, grâce à une nouvelle discipline en matière de gestion du capital

Au début de la pandémie, les prix du pétrole sont devenus négatifs en raison de l'effondrement de la demande, et le secteur de l'énergie est tombé à son plus bas niveau depuis plusieurs décennies en pourcentage de la capitalisation boursière mondiale.

Presque deux ans après, le prix du pétrole flambe encore, et ce avant même le déclenchement de la guerre en Ukraine. Les valeurs énergétiques surperforment à nouveau. Cette tendance peut-elle durer? Notre équipe de recherche a mis en évidence un facteur positif important prenant la forme d'un changement durable et palpable du comportement des équipes de direction. Les performances médiocres du secteur de l'énergie ces dix dernières années (parmi les plus mauvaises des marchés boursiers mondiaux) ne reflétaient pas le prix du pétrole, mais plutôt l'incapacité de la plupart des compagnies pétrolières à accroître la rentabilité de leur capital, en raison de la priorité accordée à l'expansion au détriment des performances.

La situation semble avoir changé et la discipline en matière de capital a fait un retour en force face à la hausse des prix des matières premières, ce qui s’est traduit par des flux de trésorerie soutenus, une augmentation des rachats d'actions et une hausse des dividendes (Tableau 2). Les prix des matières premières vont probablement rester volatils et le secteur aura toujours besoin d’investir massivement, mais la priorité accordée aux performances des actionnaires est une évolution positive.

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