Multi-Asset Solutions de J.P. Morgan Asset Management

Michael Hood, J.P. Morgan Asset Management

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La crise du coronavirus combine des aspects de choc d'offre et de choc de demande, et pourrait donc en théorie faire évoluer l'inflation dans un sens ou dans l'autre.

SYNTHÈSE
  • En pratique, nous pensons que l'effondrement de la demande est entrain de prévaloir et de pousser l’inflation à la baisse, un point de vue corroboré par les chiffres d'inflation des prix à la consommation (IPC) aux États-Unis et ailleurs, ainsi que par les enquêtes auprès des entreprises.
  • Après une première phase caractérisée par d'importantes variations des prix relatifs, nous pensons que l'inflation pas sera à une deuxième phase durant laquelle les capacités de production inutilisées entraîner ont une baisse graduelle.
  • À plus long terme, la crise pourrait avoir des effets opposés sur l'inflation, avec un éventail de résultats potentiels plus large que ce qui a été le cas jusqu’à récemment. Ces influences ne se révéleront toutefois qu'au bout de plusieurs années.
  • Les perspectives de désinflation justifient notre avis neutre sur la duration malgré la faiblesse des rendements des obligations d'État; ces dernières servent également de couverture pour les actions en faisant baisser le taux d'actualisation.
LES TROIS PHASES DE L'INFLATION ET LEURS IMPLICATIONS POUR LES PORTEFEUILLES

Combinant des aspects de choc d'offre et de choc de demande, la crise mondiale du coronavirus a des implications ambiguës pour l'inflation. Nous avons continué de penser que les forces désinflationnistes prévaudront à court et moyen terme et avons interprété les informations récentes comme une confirmation de ce point de vue, qui a été de nouveau conforté la semaine dernière par la forte baisse de l'inflation des prix à la consommation aux États-Unis et en Chine. Pour l'instant, les chiffres de l'IPC évoluent rapidement, avec de fortes variations des prix relatifs et des problèmes de mesure qui brouillent le tableau. Cette première phase devrait faire place assez rapidement à une période de désinflation plus lente et progressive, provoquée par la stagnation persistante de l'économie. À plus long terme, il est probable que l'inflation sera soumise à des influences opposées qui impliqueront un éventail plus large de résultats possibles. À ce jour, le climat désinflationniste motive un avis neutre sur la duration malgré le rendement très faible des obligations d'État, tout en apportant également une protection pour le cours des actions en raison d'un taux d'actualisation favorable.

Dans cette première phase, les chiffres d'inflation affichent des variations très importantes à la hausse et à la baisse dans des catégories spécifiques, avec des erreurs de mesure potentielles provenant des informations manquantes.

Aux États-Unis par exemple, l'inflation sous-jacente des prix à la consommation a baissé à 1,4% en avril contre 1,7% le mois précédent (sur 12 mois glissants), sous l’effet notamment de l'habillement et des transports (qui comprennent les frais de location de voiture et les billets d'avion). D'autre part, les prix des produits alimentaires destinés à la consommation des ménages, qui sont exclus du calcul de l’inflation sous-jacente mais représentent une part de l'indice global, ont bondi de 2,6% d'un mois sur l'autre, la plus forte hausse enregistrée depuis les années 1970. Bien entendu, beaucoup de gens ont probablement consacré la majeure partie de leurs achats d'avril à l'alimentation et n'ont guère eu envie d'acheter des billets d'avion, de sorte que pour elles, l'inflation n’a pas semblé baisser. Le panier de l'IPC à pondération fixe peine à refléter ces changements de comportement soudains; le déflateur de la consommation privée pondéré en chaîne visé par la Réserve fédérale (Fed) pourrait s'avérer un meilleur moyen de suivre l'inflation telle qu'elle est «ressentie» par les ménages typiques dans les prochains mois. Dans le même temps, l'impossibilité de vérifier les prix en rayon a obligé le Bureau of Labor Statistics à collecter une grande partie des informations du mois d'avril auprès de sources en ligne et à faire des estimations dans de nombreux cas. Par exemple, le rapport de l'IPC ne montre aucun changement dans le prix des coupes de cheveux pour avril, malgré le fait que les coupes de cheveux - autres que celles réalisées de mauvaise grâce par les conjoints - n'étaient généralement pas disponibles. Ces problèmes de mesure créent une certaine incertitude quant au degré réel de désinflation.

Nous observons néanmoins des signes forts d'une trajectoire descendante de l'inflation :l'inflation a baissé dans les économies asiatiques, qui ont souffert du virus un peu avant qu'il ne touche les États-Unis, ainsi que dans la zone euro, tandis que les données d'enquête montrent que la plupart des entreprises font état de prix de vente et d'achat en baisse.

L'impact du «slack» dans une économie réouverte

Avec la réouverture progressive de l'économie, les fortes variations de prix observées actuellement vont probablement s'inverser, au moins en partie. Par exemple, le prix des vêtements devrait augmenter à mesure que les consommateurs pourront plus facilement faire leurs achats en personne. Les taux d'inflation pourraient donc légèrement augmenter. Nous pensons que d’ici la fin de l’année, l'inflation entrera dans une deuxième phase, pendant laquelle les effets de la conjoncture économique sous-jacente au premier plan. Dans ce contexte, nous nous attendons à ce que les ressources inutilisées («slack»), en termes notamment de main-d'oeuvre, deviennent la force dominante. Mais l'expérience de la dernière décennie (baisse limitée de l'inflation après la crise financière mondiale, malgré des taux de chômage très élevés qui ont longtemps perduré, et accélération modérée en fin du cycle, malgré une surchauffe apparente de l’économie) laisse à penser que les variations qui en résulteront seront graduelles et finalement assez faibles. Dans le même temps, nous nous attendons à ce que les fluctuations de la masse monétaire aient peu d'influence directe sur l'inflation, au vu de l'instabilité et de la faiblesse des liens entre la première et la seconde sur les dernières décennies (notamment après la crise financière mondiale).

Au lieu de cela, nous pensons que la politique monétaire affectera l'inflation dans le cadre principalement de son influence sur le niveau des capacités inutilisées au sein de l'économie.

À long terme, on peut envisager une troisième phase, pendant laquelle des forces structurelles à évolution plus lente affecteront l'inflation. Comment la crise actuelle estelle susceptible d'influencer ces phénomènes? D'une part, un nouveau recul de la mondialisation (dans le souci par exemple de raccourcir les chaînes d'approvisionnement ou de rapprocher la production de la demande finale de  constituerait un choc de productivité négatif, tout comme les efforts visant à ajouter des capacités de réserve aux systèmes mondiaux pour éviter les pénuries et problèmes d’approvisionnement qui ont caractérisé les premiers temps de l'épidémie (en matière d'équipements par exemple). Ces mesures pourraient interagir avec d'autres tendances naissantes, comme par exemple une plus grande attention portée à l'application des lois antitrust, pour générer des pressions inflationnistes dans un contexte de plein emploi. D'autre part, les circonstances actuelles semblent accélérer une vague d'adoption de la technologie qui pourrait stimuler la croissance de la productivité, faisant écho à l'expérience des années 1990.

En outre, les anticipations d'inflation, qui constituent à nos yeux un facteur essentiel de l'évolution de l'inflation, pourraient être reléguées au second plan alors que les économies traversent une grave récession après une décennie de hausses de prix inférieures aux objectifs. En d'autres termes, il est possible d'imaginer des influences contraires à long terme, et il est bien trop tôt pour se prononcer sur celles qui seraient susceptibles de prévaloir. Nous anticipons par conséquent un éventail de résultats potentiels plus large que ce que nous avions récemment envisagé en matière d'inflation pour cette troisième phase.

IMPLICATIONS POUR LES CLASSES D'ACTIFS

La perspective d'une désinflation modérée influence de plusieurs manières nos préférences tactiques pour les différentes classes d'actifs. En premier lieu, elle contribue à justifier un avis neutre sur la duration malgré les rendements très faibles des obligations d'État. Nous pensons que les centrales pourraient réduire leurs prévisions d'inflation, un phénomène qui les encouragera à maintenir leurs taux directeurs à zéro ou proches de zéro pendant une période prolongée après la fin de la crise actuelle. Après tout, la Fed n'a quitté la borne inférieure de zéro que plus de six ans après le début de la dernière phase d'expansion, et elle semble avoir encore plus la volonté aujourd’hui de corriger un écart d'inflation de longue date par rapport à son objectif. Avec des rendements à court terme solidement ancrés et une probabilité très faible de remontée de l’inflation à un horizon d’un an ou deux, le potentiel de hausse des rendements obligataires nous semble très modéré. Cependant, malgré ces prévisions, nous pensons que les TIPS pourraient surperformer les bons nominaux du Trésor américain, car la valorisation de l'inflation attribue une probabilité plus forte que celle que nous anticipons à une inflation extrêmement faible ou à un processus de désinflation de plusieurs années.

En ce qui concerne les actions, la baisse de l'inflation accentue l'impact de l'effondrement de l'activité économique réelle sur les bénéfices des entreprises. En même temps, et c'est probablement le plus important, une inflation plus faible contribue à maintenir en place un taux d'actualisation plus  en raison notamment de la stabilité des rendements obligataires. Nous sommes récemment devenus plus positifs à l'égard des actions. Ce point de vue est le reflet de notre sentiment que l'activité économique est en train de passer le creux de la vague, d'une dérive continue à la baisse de la probabilité associée à des scénarios très baissiers, de la persistance d'un taux d'actualisation favorable et de notre anticipation d'une reprise au moins partielle des bénéfices en 2021. Nous pensons malgré tout que l'environnement de taux d'intérêt peu élevés continuera de peser sur le facteur valeur et qu'une rotation vers les valeurs cycliques au détriment des valeurs défensives est un scénario plus probable dans l'éventualité d'un mouvement de hausse générale des actions.

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