La Banque d’Italie explore la tokenisation d’actifs financiers

Flavio Restelli & Nicolas Rongeard, Blockchain Partner by KPMG

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Chronique blockchain. Les opportunités qu’offrent les actifs financiers tokénisés attirent un nombre croissant d’institutions financières.

©Keystone

L’écosystème de la finance décentralisée (DeFi) poursuit son développement et continue d’attirer l’attention de nombreux acteurs institutionnels. En témoigne l’intérêt grandissant des plus grandes banques en Europe, notamment à propos des opportunités qu’offre la tokénisation d’actifs financiers, à savoir la représentation sur blockchain de titres tels que des obligations, des actions, etc.

C’est dans ce contexte que la banque centrale d’Italie a annoncé, le 27 juillet dernier, le lancement du projet «Institutional DeFi for Security Token ecosystem». Ce dernier vise à encourager les institutions financières à effectuer des expérimentations autour des «security tokens», les jetons (en anglais, «tokens») qui représentent des titres financiers traditionnels sur blockchain. En particulier, l’objectif de cette initiative est de créer une plateforme sécurisée et réglementée facilitant le processus d’émission et d’échange de security tokens, avec des gains potentiels en termes de liquidité, rapidité et coûts.

C’est par la voie du hub d’innovation de la banque centrale, le Milano Hub, que le projet sera initié. L’expérimentation se déroulera sur une période de 6 mois et devrait voir le jour dès 20241. Le hub s’appuiera sur la blockchain publique Polygon, ainsi que Fireblocks, en tant que prestataire de solutions de conservation pour les entreprises. Les acteurs qui testeront cette plateforme seront aussi bien des gestionnaires d’actifs que des banques italiennes de premier rang. Parmi elles, figure notamment Intesa Sanpaolo, le plus grand établissement du pays avec près de 1000 milliards d’euros d’actifs sous gestion.

Désormais, les banques sont presque unanimes quant à l’inéluctable migration de certains services financiers sur blockchain, à moyen-long terme.

Si la banque centrale d’Italie n’est pas la première institution financière à avancer sur les sujets de tokénisation d’actifs financiers (Société Générale en France, Deutsche Bank en Allemagne, etc.), sa prise de position confirme également une deuxième tendance: le recours généralisé aux infrastructures blockchain publiques. Ce mouvement d’adoption, au niveau des technologies de l’internet décentralisé, est aussi confirmé par la mise en pause voire l’abandon d’expérimentations2 réalisées par le passé sur des «blockchains» privées. Bien entendu, cela n’implique pas une volonté des institutions financières de créer des services sans contrôles ni conformité.

Au contraire, développer des applicatifs sur une blockchain publique permet tout aussi bien d’offrir un accès permissionné, de manière sécurisée et régulée. A titre d’exemple, en novembre dernier, JP Morgan a expérimenté l’émission et l’achat/vente d’obligations tokenisées en capitalisant sur les smart contracts de l’application DeFi «Aave Arc», dans le cadre du projet pilote «Guardian» promu par l’Autorité Monétaire de Singapour. Sur le marché de la finance décentralisée, Aave Arc se distingue justement du fait des contrôles KYC qu’il requiert aux entreprises pour utiliser ses fonctionnalités: fournir de la liquidité, effectuer des échanges, etc.

Si la tokénisation des titres fait de plus en plus consensus, des interrogations persistent au niveau de la tokénisation de la monnaie, nécessaire comme moyen de règlement. Malgré la démocratisation des stablecoins comme l’USDC, l’USDT ou l’EUROC, les autorités publiques semblent privilégier les monnaies numériques de banques centrales (MNBC). En témoignent les récentes publications de la Commission européenne sur les perspectives de l’euro numérique, appelé «Cash+», qui toutefois manquent encore de clarté quant aux fonctionnalités envisagées et l’infrastructure sur laquelle cette monnaie électronique circulerait. Si on regarde les modèles de MNBC déjà opérationnels dans d’autres pays (Chine, Nigéria…), nous sommes bien loin de tirer parti des avantages offerts par les technologies blockchains et cryptos. D’ailleurs, si la BCE devait émettre un euro numérique sur un registre propriétaire, sa MNBC pourrait difficilement être utilisée dans le cadre d’opérations sur blockchain publique, concernant des security tokens.

Cependant, dans l’attente de plus de réponses quant à la problématique «patte cash», des expérimentations comme celle de la banque centrale d’Italie peuvent grandement contribuer à éclaircir les avantages, inconvénients et opportunités liés à la tokenisation d’actifs. Désormais, les banques sont presque unanimes quant à l’inéluctable migration de certains services financiers sur blockchain, à moyen-long terme. L’interrogation principale, à présent, ne concerne plus le potentiel de ces nouvelles technologies, mais plutôt l’horizon de temps qui nous sépare encore de leur adoption massive.

 

1 Aucune date officielle n’a pour le moment été précisée
2 Comme par exemple le consortium B3i, arrêté en août 2022, qui rassemblait des acteurs de l’assurance comme Allianz, Generali ou le réassureur Munich Re. De même pour le projet Australien ASX abandonné en octobre dernier.

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