Reconstruire l’Ukraine coûtera cher et sera l’affaire de toutes les démocraties

AWP

4 minutes de lecture

Le président Zelensky et son premier ministre Denys Chmygal se sont exprimés à l’ouverture de la Conférence de Lugano, où la somme de 750 milliards de dollars a été estimée pour la reconstruction du pays.

Il faudra au moins 750 milliards de dollars pour reconstruire l’Ukraine mise à feu et à sang par les troupes russes depuis plus de quatre mois et ce sera l’affaire de toutes les démocraties, ont souligné lundi son président et son premier ministre.

Volodymyr Zelensky, par visioconférence, et Denys Chmygal, en présentiel, se sont exprimés à l’ouverture de la Conférence de Lugano, qui affiche l’ambition, en deux jours, de dessiner les contours d’une stratégie pour relever leur pays.

«La reconstruction de l’Ukraine est la tâche commune de tout le monde démocratique» et «la contribution la plus importante à la paix dans le monde», a lancé M. Zelensky devant les responsables des Etats alliés de Kiev ou de nombreuses institutions internationales ainsi que des représentants du secteur privé.

«Qui doit payer pour le plan de reconstruction, qui est d’ores et déjà estimé à 750 milliards de dollars?», s’est demandé M. Chmygal, avant d’apporter la réponse: saisir les avoirs russes gelés dans le cadre des sanctions internationales, qu’il évalue à entre 300 et 500 milliards de dollars.

M. Chmygal a aussi exposé le plan de reconstruction en trois étapes concocté par son gouvernement.

L’urgence est d’aider la population touchée par la guerre avant, dans un 2e temps, de financer des milliers de projets de reconstruction et, à long terme, il faut préparer une Ukraine européenne, verte et numérique, a expliqué le premier ministre.

Pour mieux convaincre, la délégation ukrainienne - y compris la première dame Olena Zelenska par visioconférence - s’est livrée pendant plusieurs heures à d’impressionnants exposés très détaillés sur les dégâts causés aux infrastructures, à la production d’énergie ou encore au tissu social mais aussi sur les besoins et ce que doit être la nouvelle Ukraine.

En T-shirt noir, le vice-premier ministre Mykhaïlo Fedorov, chargé du numérique dans son gouvernement, a fait un exposé digne de Steve Jobs sur les prouesses cyber des Ukrainiens et sa vision d’un pays ancré dans les nouvelles technologies.

Et l’aide ne doit pas aller dans un seul sens, a souligné le ministre de l’Energie, expliquant que l’Ukraine était prête à vendre de l’électricité à l’Europe.

«Nous pouvons prendre des décisions rapidement sur ce dont vous avez besoin, de la documentation, aux licences et aux autorisations (...) investissez en Ukraine», a-t-il dit devant la salle.

Reconstruction et réformes

Le président de la Confédération helvétique Ignazio Cassis a estimé que reconstruction et réformes «se renforcent» et appelé à poursuivre la lutte contre la corruption ou la réforme de la justice malgré la guerre.

La réunion de Lugano doit aboutir à «un processus politique efficace», a-t-il ajouté.

Ce dispositif doit passer par des principes de gouvernance et des critères pour garantir l’assistance à l’Ukraine et la répartition des rôles entre cette nation, les autres Etats, les institutions internationales, le secteur privé et la société civile.

L’un des mécanismes proposés par les Ukrainiens est «l’adoption» par un pays allié d’une région spécifique en Ukraine pour être plus efficace.

Ainsi, la France concentrera ses efforts sur la région de Tchernihiv (nord) en particulier, a souligné une source diplomatique française.

«Cette région a été particulièrement durement touchée par les bombardements russes pendant les premières semaines de la guerre. La ville de Tchernihiv a des liens anciens établis avec la France et notamment avec la région Île-de-France» (Paris et ses environs), a précisé cette même source.

Selon le même principe, la région de Kiev échoit au Royaume-Uni. L’Australie et le Danemark sont aussi impliqués.

La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen a lâché un vigoureux «Slava Ukraïni !» («Gloire à l’Ukraine !») en conclusion d’un discours dans lequel elle a insisté sur la reconstruction d’une Ukraine meilleure.

Si l’UE aide ce pays à gagner la guerre, «nous devons aussi nous assurer que l’Ukraine gagnera la paix qui va venir sans aucun doute», a-t-elle relevé.

La conférence avait été planifiée bien avant le conflit et devait initialement se concentrer sur les réformes en Ukraine, notamment sur la lutte contre une corruption endémique. Dans son rapport 2021, l’ONG Transparency International classe ce pays 122e sur 180.

Si on doit surtout parler reconstruction à Lugano, le sujet de la corruption a été mis en avant par plusieurs intervenants dès le départ en raison des sommes en jeu et des risques de détournement des fonds.

La Conférence doit s’achever mardi avec l’adoption des principes de Lugano destinés à guider un effort colossal qui pourrait durer plusieurs décennies, selon un diplomate suisse.

Poutine ordonne de continuer la guerre

Vladimir Poutine a ordonné lundi aux forces russes de poursuivre leur offensive dans l’est de l’Ukraine, au lendemain de la prise de Lyssytchansk

A Moscou, au cours d’un entretien avec son ministre de la Défense Sergueï Choïgou, le président russe a donné l’ordre aux troupes russes de «mener à bien leur mission» en application des «plans déjà approuvés».

Dimanche soir, l’état-major de l’armée ukrainienne avait annoncé le retrait des unités engagées à Lyssytchansk, le dernier bastion de Kiev dans la région de Lougansk, que Moscou dit désormais contrôler totalement.

Pour les forces ukrainiennes, l’urgence est désormais de contenir la progression russe vers l’ouest et deux villes majeures de la région voisine de Donetsk: Sloviansk et Kramatorsk.

«Débordement progressif»

Après la prise de Lyssytchansk, une pièce maîtresse du plan de conquête du Donbass, un bassin industriel en partie contrôlé par des séparatistes prorusses depuis 2014, «l’effort principal de l’ennemi [...] vise à un débordement progressif» des militaires ukrainiens sur cet axe, a déclaré lundi l’état-major ukrainien.

Selon le gouverneur de la région de Donetsk, Pavlo Kirilenko, dix personnes, dont deux enfants, ont péri dimanche dans des frappes russes, à Sloviansk et dans ses environs.

La ligne de front se rapprochant de cette cité, les autorités ukrainiennes appellent sa population à la quitter.

Les rues de Sloviansk étaient presque désertes lundi matin, selon des journalistes de l’AFP sur place. Sur le marché du centre-ville ravagé par un incendie provoqué par une frappe russe, quelques vendeurs proposaient des produits de première nécessité tandis que d’autres déblayaient des débris calcinés.

Des vendeurs et des habitants faisaient part de leur inquiétude pour les jours et semaines à venir, tandis que l’on pouvait entendre les déflagrations dues aux bombardements.

«Je crois que ce qui nous attend va être encore pire, j’ai déjà pensé à partir», a dit Andriï Gerassimenko, 38 ans, qui ramasse les débris du marché.

«Rien de bien ne va se passer, le mieux c’est de partir», a renchéri Viktoria Koloty, une femme de 33 ans qui a confié avoir déjà fait partir ses enfants.

A Siversk, entre Lyssytchansk et Sloviansk, les militaires ukrainiens semblent vouloir tenir une ligne de défense entre cette ville et Bakhmout, plus au sud. Ses habitants interrogés par l’AFP évoquent des bombardements de plus en plus intenses ces derniers jours.

«L’ennemi a intensifié ses bombardements sur nos positions dans la direction de Bakhmout», a confirmé l’état-major de l’armée ukrainienne.

L’armée russe a de son côté affirmé avoir détruit «sept postes de commandement» ukrainiens au cours des dernières 24 heures, «dont celui de la 25e brigade aéroportée dans la région de Siversk». Des affirmations impossibles à vérifier de source indépendante.

Milliards de dollars

A Kharkiv, la deuxième ville d’Ukraine, dans le nord-est, trois civils sont morts dans des bombardements survenus lundi avant l’aube, selon les autorités locales.

A Boutcha, une cité-martyre de la banlieue de Kiev, même si certains se sont remis à planter des fleurs au pied des immeubles ou à s’affairer dans leur potager, la population n’ose pas encore penser à la reconstruction, quand l’issue de la guerre reste si incertaine. Ici, les stigmates des combats sont encore visibles partout : vitres brisées, impacts de balles, murs éventrés...

«On va se coucher sans savoir si on se réveillera demain», soupire Vera Semeniouk, 65 ans. «Tout le monde est revenu, commence à réparer les maisons, beaucoup posent de nouvelles fenêtres. Ce serait terrible si ça recommençait et qu’il fallait à nouveau tout quitter».

A lire aussi...