Vers la «slowflation», une version plus douce de la stagflation?

Salima Barragan

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Les rendements des obligations de qualité sont à nouveau intéressants. Avec Martijn de Vree et Alex Temple d’Allspring Global Investments.

Après une annus horribilis, les performances de certains portefeuilles obligataires sont dopées par la hausse des rendements. En milieu de semaine passée, le bon du Trésor américain à dix ans a brièvement atteint 4,30%, avant de redescendre à 4,25%. Il n’est plus nécessaire de pourchasser des papiers spéculatifs ; les obligations de haute qualité assurent dorénavant des revenus suffisamment confortables pour compenser la volatilité. Entretien avec Martijn de Vree, responsable des solutions à revenu fixe, et Alex Temple, responsable du crédit pour l'équipe mondiale à revenu fixe d’Allspring Global Investments.

Quelles sont vos perspectives pour le second semestre?

MV: Les décideurs politiques devront trouver un équilibre entre l'affaiblissement des perspectives de croissance et la fragilité du système financier d'une part, et les pressions inflationnistes de l'autre. Reste à voir si cette période se transforme en «slowflation», une version plus douce de la stagflation, qui constitue notre scénario de base. Une récession ou un atterrissage en douceur avec une accélération de la croissance et un recul de l’inflation est au cœur des débats aux États-Unis. Notons que l’essentiel de la hausse de 10 à 20% des indices américains est dû à une poignée d’actions technologiques. Toujours aux États-Unis, nous n’avons pas observé de grands changements dans la courbe des taux, cependant les spreads se sont resserrés. Enfin, le marché de la dette titrisé a été revalorisé. La classe d’actifs offre de la protection, tout en restant bon marché vis-à-vis des obligations Investment Grade.

Qu’en est-il du marché européen?

AT: Les rendements sont de retour à des niveaux antérieurs à 2011. Nous avons récemment assisté à un revirement rapide, bien que l’Europe soit techniquement en récession. Avec la hausse des taux d’intérêt à court terme et l’élargissement récent des écarts de crédit, les prêts européens se distinguent par leur capacité à offrir des niveaux de revenus attractifs. Le crédit européen va continuer d’évoluer dans une bande de fluctuation jusqu’à la fin de l’année. Nous attendons encore une augmentation des taux en septembre, propice à des stratégies de portage. Notons enfin que la BCE ne distorde plus le marché obligataire.

Les investisseurs sont-ils de retour sur les obligations européennes?

MV: Les titres Investment Grade ont été boudés durant quelques années en raison des rendements à zéro, mais l’intérêt et les flux sont de retour sur ce marché de qualité.

Le système bancaire semble sorti d’affaires, mais quelles sont les implications pour les flux mondiaux?

AT: La crise des investissements aux États-Unis, en automne dernier, a constitué la première faille du système. Elle a été suivie par la faillite de la Silicon Valley Bank aux États-Unis et par la fusion forcée de Credit Suisse et d’UBS au printemps. Des questions subsistent quant à la stabilité du système bancaire. Selon nous, ces événements reflètent une augmentation générale des risques sur les marchés financiers à la suite du cycle de resserrement monétaire agressif entamé en 2022. En conséquence, les économies régionales se sont désynchronisées et les capitaux se sont détournés des obligations libellées en dollar américain. De nombreux investisseurs non américains choisissent de rester investis dans leurs monnaies nationales, et certains investisseurs américains suivent cet exemple en se diversifiant et en s’éloignant du billet vert.

Pensez-vous que le point d’inflexion des banques centrales est passé?

MV: Pour le marché, la réponse est oui. Le point d’inflexion a peut-être été atteint au premier semestre 2023, lorsque les banques centrales ont dû commencer à relever des défis allant au-delà de la lutte contre l’inflation, alors que la croissance mondiale ralentissait et que des fissures apparaissaient dans le système financier. Aujourd’hui, la majorité des hausses de taux ont été faites, et nous sommes en train de quitter une ère de dépendance aux banques centrales. Cependant, même si nous sommes vers la fin, la prudence reste de mise sur les rendements, bien que nous ne retournions pas sur les anciens niveaux proches de zéro.

Pourtant, vous ajoutez de la duration dans vos portefeuilles. Pour quelle raison?

AT: La période nous semble propice. Une fois le point d’inflexion confirmé, les prix vont prendre l’ascenseur (pour autant que l’inflation reste latérale). D’ailleurs, les banques centrales ne sont plus obnubilées par le renchérissement, ce qui constitue un bon environnement pour les investisseurs obligataires. La duration est intéressante dans la mesure où les incertitudes sont déjà intégrées dans les prix et les rendements ont rebondi.

L’inversion de la courbe des taux ne vous décourage-t-elle pas?

MV: Alors que la courbe peut être inversée avec des rendements plus élevés à l'extrémité courte, une plus grande sensibilité aux changements de taux à son extrémité longue signifie que si les rendements sur l'ensemble de la courbe baissent, l'extrémité longue bénéficiera le plus en termes de prix et de nombreux investisseurs pensent que cela suffit à compenser la baisse de rendement.

N'est-il pas prématuré de rentrer dans le marché obligataire, si le point d’inflexion n’est pas confirmé?

AT: Tournées vers le futur, les attentes des marchés indiquent que le temps est venu de se positionner. La manière dont les taux vont bouger n’est pas encore claire, mais le scénario économique de base est clairement déjà intégré dans les prix des obligations.

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