L’heure des produits structurés a sonné

Emmanuel Garessus

4 minutes de lecture

Sur l’immobilier européen, les actions suisses ou l’IA, un profil asymétrique est un réel atout, dit Gilles Corbel de Finanzlab.

Après un premier semestre marqué d’une pierre blanche sur les marchés financiers et en particulier par l’envol des titres liés à l’intelligence artificielle, les stratégistes sont divisés. Gilles Corbel, qui a co-fondé Finanzlab en 2018, répond aux questions d’Allnews sur ses idées d’investissement et sur les thèmes du moment:

ChatGPT devient-il un concurrent pour vous qui avez les prix des options en tête depuis des années et tentez de trouver le meilleur profil asymétrique?

Honnêtement non. ChatGPT ne peut pas répondre aux demandes de clients en quêtes d’idées d’investissement en vertu de leurs besoins spécifiques. Il s’agit ici de trouver la bonne allocation et la bonne recette. Nous avons encore quelques mois d’avance…

Avant ChatGPT, il était déjà possible de faire de la programmation pour extraire des données d’un site internet et livrer une bonne recette aux investisseurs à partir des ingrédients les mieux adaptés à leur profil de risque. Mais tout est dans l’art de cuisiner les ingrédients.

Notre métier de gérant est passionnant. Les ingrédients sont accessibles quotidiennement. Nous n’avons jamais de rupture de la chaîne de production ni de contrainte temporelle. Mais la bonne recette est encore hors de portée de ChatGPT.

En fait, le secret, c’est de ne pas avoir peur des nouvelles technologies. Si elles nous permettent de mieux réaliser notre travail ou de trouver des solutions que l’on n'aurait pas forcément trouvées nous-mêmes, c'est alors notre devoir professionnel de les utiliser.

Est-ce que cela vous donne des idées de produits structurés?

Le domaine de l’IA générative est fascinant autant pour les utilisateurs que les investisseurs. Les grands groupes comme Microsoft vont très vite gagner de l’argent avec l’intelligence artificielle. Ils savent la monétiser. Un produit structuré avec Adobe, Microsoft et Nvidia, avec une barrière confortable, donne assurément  un profil attractif.

En termes de «deeptech», la Suisse, par ses grandes écoles, est un vivier fabuleux. De Sion à Saint-Gall le domaine des cleantech regorge d’opportunités.

J’ai découvert une autre piste afin de profiter de la tendance de l’IA. Il s’agit de Super Micro Computer, une compagnie californienne fondée par un Taiwanais, qui s’est spécialisée dans l’assemblage de machines en réseau. Le groupe construit des fermes de calcul. Son savoir-faire et son avantage compétitif résident dans le refroidissement à eau à grande échelle. Tout est dans le terme «à grande échelle». La demande est en forte hausse. L’action a explosé ces derniers mois. Il est passé de 100 dollars en janvier à 255 dollars actuellement. Le multiple est de 24 fois. La société permet à toutes les sociétés présentes dans l’intelligence artificielle qui ont besoin de cartes Nvidia qui chauffent énormément de réduire leur facture d’électricité.

Quel est votre sentiment sur les marchés après un assez bon premier semestre?

Le sentiment du marché est très divisé après un bon premier semestre. Certains craignent une détérioration et d’autres parient sur la poursuite de la hausse. Une certitude demeure: les liquidités sont là.

La Fed n’a pas réduit son bilan et l’effet de la hausse des taux d’intérêt est maintenant encaissé par les marchés. Par exemple, dans l’immobilier européen, il en est résulté un énorme disagio sur les leaders tels qu’Unibail et Vonovia à cause de leur fort endettement.La valorisation des actifs reste incertaine mais le potentiel baissier est limité. Dans leurs préférences sectorielles relatives, les banques telles qu’UBS mettent en avant ce secteur alors que les semi-conducteurs sont à l’autre bout de l’échelle.

Est-ce que des reverse convertibles peuvent-être attractifs sur l’immobilier européen?

Sur une période de 12 à 15 mois, Vonovia, le plus grand fonds de cette catégorie, avec Klepierre et Unibail me paraît intéressant à combiner.  L’endettement de ces sociétés est relativement élevé, mais elles sont rentables. Vonovia a chuté de près de 70% depuis son plus haut de septembre 2020. Un produit avec une barrière à 60% limite significativement les risques et, en cas de normalisation des taux, le cours devrait monter.

La hausse des taux d’intérêt ne rend-elle pas les produits à capital garanti plus attractifs?

Le certificat à capital garanti oblige l’investisseur à s’engager en dollars. L’investisseur n’y a doublement aucun intérêt. Il sera fiscalement imposé à l’échéance du produit. Le problème de l’intérêt unique prédominant (IUP) est majeur. Il représente la part imposée sur le revenu provenant du coupon 0 introduit dans le capital garanti. Avec une échéance de 2 ans, il est imposé après 2 ans. Si l’investisseur détient une obligation, il est imposé chaque année sur le coupon. Dans le cadre du capital garanti, les coupons sont additionnés et imposés au moment du paiement. L’année du remboursement, l’investisseur subit l’addition des coupons. Si par malheur il profite d’une plus-value monétaire, celle-ci s’ajoute à l’impôt sur le revenu. Je conseille à mes clients de dissocier les certificats à capital garanti, de faire une obligation avec un coupon annuel qui sert à financer l’achat d’une option. Economiquement le profil est identique, mais fiscalement il est optimisé.

Beaucoup de gérants me disent qu’avec 5% de rendement à court terme sur le dollar, pourquoi augmenter les risques? Qu’y répondez-vous?

C’est un raisonnement en dollars. L’investisseur en francs suisses ou en euros risque de voir sa performance mangée par l’effet de change. Un barrier reverse convertible en francs suisses avec une barrière à 60% donne droit à un instrument très prudent et un rendement de 8 à 10%.

Un gérant qui a envie d’assurer une partie de ses bénéfices après un bon premier semestre peut prendre ses profits sur les titres qui se sont appréciés et, plutôt que l’oreiller de paresse d’un placement monétaire, réallouer la part en actions dans un profil asymétrique, à l’aide d’une protection à 50% et d’un rappel (autocall ou callable) après six mois. Il en résulte un rendement de 4% sur six mois, lequel reste ainsi supérieur à celui d’une obligation. Cela me semble davantage que raisonnable. De nombreux titres s’y prêtent à merveille, même sur le marché suisse.

Ne partagez-vous pas les craintes d’un recul des bourses ces prochains mois?

Je suis d’avis que les marchés vont continuer de monter. Le plus simple serait d’acheter un call sur l’indice S&P, compte tenu de la volatilité très bon marché. Le VIX, considéré comme indice de la peur, reste bas -Il était au plus bas de l’année au moment de l’interview au début juillet. Le VIX traduit une moyenne des options traitées. L’achat du VIX avec un levier de 2  à travers un mini Future est peut-être une bonne opportunité si on compare le niveau de l’indice de la peur à ces dernières années et à 2022.

Quiconque croit à la tendance structurelle en faveur de l’intelligence artificielle peut vendre une partie de ses titres Nvidia et acheter un produit qui réduit son risque comme un certificat bonus, lequel conduit à la même indexation à la hausse en modérant le risque de perte. Seules des options exotiques permettent de moduler le portefeuille plus finement, d’autant plus à un moment où il est périlleux de prévoir le chemin emprunté par les bourses d’ici la fin de l’année.

A mon avis, les perspectives à 18 mois sont favorables, considérant que 2024 sera une année électorale aux Etats-Unis, qu’une récession est peu probable et que les taux courts ne vont guère dépasser 5,5%. Le monde ne va pas si mal.

Quelles sont vos idées sur le marché suisse?

L’indice SMI, actuellement à 11'000 points, présente une médiane sur 6 ans à 10'557 points. Le plus fort déclin s’est produit lors de la crise covid (-27%). L’indice est en recul de 14% depuis le plus haut. Les titres tels que Zurich, Roche ou Givaudan, avec des barrières défensives, donnent de jolis coupons à 6 mois. Givaudan a connu le pire drawdown avec -43%. Son niveau actuel est à -40% depuis le plus haut. La société continue de gagner de l’argent et reste leader sur son marché.

Une chute de 20% les conduirait au plus bas de l’an dernier et me semblerait improbable sur un marché qui n’est certainement pas survalorisé. Il semble raisonnable de monétiser la volatilité plutôt que de détenir les titres en direct. Je recommanderais d’être prudent et mesuré à l’égard du rendement et de viser 3% sur 6 mois. Même une caisse de pension devrait être tentée.

Les caisses de pension semblent davantage tentées par les marchés privés en ce moment. Est-ce erroné?

L’important c’est la cohérence. En termes de «deeptech», la Suisse, par ses grandes écoles, est un vivier fabuleux. De Sion à Saint-Gall le domaine des cleantech regorge d’opportunités. Certes les marchés privés comportent de nombreuses contraintes pour une caisse de pension mais leur capacité d’investir à long terme devrait bénéficier à des projets d’innovation en Suisse. En tant qu’assuré, j’aurais même une certaine fierté de savoir qu’une partie de mes avoirs contribue à l’installation de solutions agrivoltaïques pour produire de la nourriture et de l’énergie verte sur une même terre.

A lire aussi...