Les small caps européennes intègrent un scénario de récession

Emmanuel Garessus

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Les petites valeurs européennes souffrent d’une anomalie de marché, affirme Caroline Gauthier, de Edmond de Rothschild.

Caroline Gauthier

Les small & mid caps européennes ont longtemps souffert d’une absence d’intérêt des investisseurs. Les analystes soulignent toutefois de plus en plus les opportunités qui émergent de ce segment. Le réveil des small caps va-t-il se produire prochainement? Caroline Gauthier, qui gère le fonds EDR European Smaller Companies, lancé en décembre 2022, répond aux questions d’Allnews:

Que pensez-vous de la sous-performance des small caps européennes?

La sous-performance des small caps est inédite depuis 20 ans. Au-delà du constat, il importe d’en analyser les raisons. Certaines valeurs de ce segment présentent un retard de performance de 25 points par rapport aux grandes capitalisations de la zone euro depuis avril 2022. La seule autre période de forte sous-performance des 20 dernières années a été celle de la crise financière en 2008-09, mais elle s’était limitée à 14 points. Les small caps européennes intègrent donc aujourd’hui un scénario de récession, lequel n’est pas notre scénario central.

Comment expliquez-vous cette sous-performance?

La forte remontée des taux d’intérêt depuis début 2022 a provoqué une nette compression des multiples de valorisation, surtout sur les valeurs de croissance, les plus représentées dans ce segment. Ces titres ont aussi souffert d’une défiance injustifiée liée à des préjugés négatifs sur la classe d’actifs. Dans un environnement anxiogène et de resserrement des conditions de crédit, les investisseurs ont préféré fuir cette classe d’actifs peu liquide, la considérant, à tort, comme plus à risque de faire défaut. Or ce risque n’est pas supérieur à celui des grandes capitalisations. Nous parlons certes ici de petites capitalisations, mais ce sont des sociétés cotées, à ne pas confondre avec le segment non coté, celui des PME et des start-up. Dans la zone euro, 30% des small caps sont en cash positif. Elles ne sont pas plus endettées que les grandes capitalisations. Les préjugés ont malheureusement la vie dure.

«Le consensus du marché prévoit une hausse des bénéfices de 8% pour les small caps, contre 3% pour les large caps»

D’où vient la concurrence à cette classe d’actifs?

Après une période favorable, nous avons, depuis 2018, assisté à des flux négatifs sur cette classe d’actifs. Les fonds de private equity, qui se sont adressés aux investisseurs privés, ont suscité une concurrence certaine. Pourtant ce dernier segment n’est pas du tout liquide. Et, plus récemment, nous avons observé un phénomène majeur de concentration des marchés sur les «mega-caps» de croissance qui a capté les flux de capitaux.

Qu’en est-il de la valorisation?

La situation est également inédite dans ce domaine. Nous pouvons parler d’une anomalie de marché. La prime de croissance traditionnelle des petites capitalisations a complètement disparu pour se transformer en décote. Le multiple de résultat des small caps est habituellement 25% plus élevé que celui des large caps. Le marché est prêt à payer une prime parce que la croissance est structurellement supérieure. Or, nous observons aujourd’hui une décote de 16% dans la zone euro. L’asymétrie risque/rendement joue donc en faveur des small caps. Il existe un potentiel intéressant mais la valorisation n’est pas un argument suffisant. Les small caps ont besoin de catalyseurs.

Qu’est-ce qui pourrait modifier le sentiment de marché?

La perspective d’un changement de cap des politiques monétaires fait partie des catalyseurs possibles pour les petites capitalisations. La hausse des taux les avait pénalisées. La baisse des taux aura un double impact, tout d’abord un effet positif sur la valorisation et un apaisement des craintes des investisseurs sur le risque financier qui pèse sur ces valeurs.

Le retour d’un momentum des bénéfices en faveur des small caps en 2024 pourrait constituer un deuxième catalyseur. Le consensus du marché prévoit une hausse des bénéfices de 8% pour les small caps, contre 3% pour les large caps. Nous retrouvons cette supériorité de la croissance, qui sera amplifiée par la matérialisation du rebond de l’indice des directeurs d’achat (PMI), un indicateur avancé de la reprise. Or la classe d’actifs des small caps est considérée comme plus cyclique, ce qui renforce sa corrélation avec les PMI. Depuis le récent rallye, les cycliques ont bien performé, au contraire des small caps, malgré le caractère cyclique de ces dernières. Cette anomalie devrait être corrigée.

«Amplifon est le leader mondial de la distribution d’appareils auditifs, avec une part de marché de 12% sur un marché très fragmenté».

Après les désengagements intervenus en 2018, les small caps ont aussi besoin du retour des investisseurs. Mais il est difficile d'anticiper le calendrier de cette reprise des flux. Il dépend d’une rotation de marché, actuellement concentré sur quelques grands noms. Un phénomène de rattrapage sur le reste de la cote devrait favoriser les sociétés jusqu’à présent négligées et les small caps en font partie.

Le marché n’a-t-il pas raison d’anticiper si ce n’est une récession en Europe du moins une stagnation?

Les sociétés les plus affectées par la stagnation ont averti qu’elles étaient pénalisées par des mouvements de déstockage et le ralentissement conjoncturel. Elles ont prévenu que le premier semestre 2024 ne serait pas flamboyant, souffrant souvent d’un effet de comparaison difficile avec le bon début d’année 2023. En revanche, les entreprises s’attendent à un rebond au deuxième semestre.

On ne peut pas écarter le risque d’une récession, mais les attentes me paraissent très modestes.

Comment sélectionnez-vous les valeurs de votre portefeuille de small caps européennes?

Notre approche consiste à sélectionner majoritairement des entreprises dont la capitalisation est inférieure à 5 milliards d’euros, avec des perspectives de croissance pérennes et une rentabilité solide. Nous visons des sociétés de qualité dont le management implémente une stratégie claire et convaincante de croissance à long terme. Nos critères de sélection peuvent se résumer par 4 C : Croissance, Compétitivité, Création de valeur, Chef. Nous recherchons en effet des sociétés capables d’afficher une croissance visible et régulière, sous-tendue par des tendances structurelles (digitalisation, démographie, industrie 4.0, comportements de consommation, efficience énergétique…) et protégée par un avantage compétitif qui crée des barrières à l’entrée fortes. Par ailleurs, cette croissance doit être rentable et créatrice de valeur (la moitié des sociétés du portefeuille ont une trésorerie nette positive). Enfin et surtout, la qualité de l’équipe dirigeante et de sa communication est primordiale dans notre sélection de valeurs.

Le fonds dispose du label ISR français et investit uniquement dans des entreprises créatrices d’emplois sur une durée de 3 à 5 ans. Ce dernier point est capital dans notre volonté d’accompagner cet écosystème des PME-ETI qui concentre 70% de l’emploi européen.

Avec vous des exemples concrets. Pourquoi ID Logistics en première position de votre fonds?

ID Logistics est un leader de la gestion logistique des entrepôts. La société est jeune mais elle s’est déjà hissée en première position en France et réalise 70% de son chiffre d’affaires hors de France. Ses perspectives de développement sont encore considérables notamment aux Etats-Unis. L’entreprise y a d’ailleurs signé un contrat emblématique avec Amazon. La multinationale qui coopérait déjà avec ID Logistics en Europe, lui a en effet confié la gestion d’un de ses entrepôts sur le sol américain, où l’appel à la sous-traitance n’était jusqu’ici pas privilégié.

C’est donc un exemple de société au rayonnement international très fort. De manière générale, les sociétés dans lesquelles nous investissons sont souvent des leaders de leur marché, que ce soit au niveau national ou même mondial. Si nous analysons la répartition du chiffre d’affaires des sociétés détenues en portefeuille, l’UE représente moins de la moitié, le marché américain 15% et l’Asie 14%. Le marché français ne représente que 15% de la destination finale des ventes.

Avez-vous d’autres exemples de leader?

Amplifon est le leader mondial de la distribution d’appareils auditifs, avec une part de marché de 12% sur un marché très fragmenté. Son positionnement est extrêmement puissant à l’égard des producteurs lorsqu’il s’agit de négocier les prix. La société profite d’une tendance séculaire, celle du vieillissement démographique. La valorisation peut paraître élevée mais elle se justifie par son excellent positionnement dans la chaîne de valeur. La reprise économique en Europe devrait aussi lui profiter. Je citerais aussi l’exemple de la société autrichienne Do & Co, dans les services de restauration aérienne haut de gamme.

Est-ce que vous privilégiez les sociétés familiales?

Nous investissons en effet souvent dans des sociétés familiales ou entrepreneuriales car elles sont très représentées dans notre univers d’investissement. Une telle structure actionnariale est une caractéristique que nous apprécions mais qui n’est pas une condition sine qua non. Ce sont des entreprises qui conjuguent souvent ambitions de croissance et esprit de préservation du capital. Il en résulte une meilleure allocation du capital que la moyenne et un meilleur alignement des intérêts entre l’actionnaire majoritaire et les minoritaires. Notre équipe de 4 gérants/analystes spécialisés sur les small et mid caps procède à environ 800 rencontres par an pour nous assurer de la vision stratégique de ce management.

Est-ce que les investisseurs sont en train de revenir vers les small & mid caps?

J’aimerais pouvoir le confirmer. Nous avons observé un frémissement sur les flux en début d’année, après leur sur performance en fin d’année, mais le report des anticipations de baisses de taux a pesé sur ce segment. Le scénario n’est pas remis en cause, il est simplement décalé. A l’aune d’un redressement de l’économie et d’un cycle de baisse des taux, les small cap devraient sans aucun doute retrouver l’intérêt des investisseurs.

Pouvez-vous nous expliquer comment vous construisez votre portefeuille?

Le fonds est un pur fonds de stock-picking, géré indépendamment d’un indice de référence. Il est le résultat de nos meilleures convictions sur le plan fondamental. Nous avons environ 70 lignes dans le portefeuille. Cette diversification reflète une saine gestion du risque dans un univers peu liquide. Le portefeuille est plutôt bien équilibré en termes de secteurs et de profils. Enfin, nous avons un horizon d’investissement à long terme car nous souhaitons accompagner des managers dans leurs plans de développement. Ces derniers ne portent pas sur des périodes de 3 ou 6 mois mais plutôt sur 3 à 5 ans.

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