Le yen devrait surprendre à la hausse

Salima Barragan

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«À la traine, la banque du Japon devra inéluctablement monter le ton après l’été», estime Samy Chaar de Lombard Odier.

Les pays paient tour à tour le choc inflationniste de l’année précédente et la sous-croissance en est le coût. Les marchés émergents, en avance sur le cycle mondial, vivent à nouveau un semblant de normalité. Cependant, l’Europe (hors Royaume-Uni en pleine crise du coût de la vie) et les États-Unis devront patienter jusqu’en 2024 avant de retrouver la stabilité des prix. À mesure que le renchérissement se tasse, ces deux blocs commenceront à couper les taux d’intérêt dès l’année prochaine. À la traine, le Japon devra inéluctablement monter le ton après l’été. La Chine demeure le seul outsider, en prise avec un risque de déflation.

Dans ce contexte, Lombard Odier table sur un recul du dollar contre l’euro, mais sur le déclin du yuan contre le billet vert. Le yen semble prometteur. La compétition stratégique sino-américaine constitue le prochain thème à surveiller. Elle pourrait réorganiser les chaines de logistique. Tour d’horizon des différentes régions du monde avec le Chef économiste Samy Chaar.

Quel est l’état économique du monde?

Les phases avancées de cycle de taux appellent à la vigilance, dans le sens où les accidents économiques surviennent rarement lorsque les politiques monétaires sont laxistes. Cependant, 2023 représente l’année du retour progressif à un environnement économique et financier normal, après le choc inflationniste de l’année précédente. Les inquiétudes basculent lentement de l’inflation à la croissance. Les taux directeurs en territoire restrictif pèsent sur les prêts bancaires et sur le dynamisme du commerce international.

Quelles sont les perspectives pour la Suisse, dont le tissu économique tourné vers les exportations dépend du dynamisme du commerce international?

Quand bien même la conjoncture mondiale marque le pas, les perspectives pour l’économie suisse restent solides, sur fond de pressions inflationnistes contenues autour des 2%. Si l’activité souffre encore dans une certaine mesure du choc de l’inflation, la Banque nationale suisse a moins de raisons de faire pression avec des hausses de taux. Après un ralentissement des échanges observé en 2023, nous nous projetons dans un environnement de commerce mondial plus favorable en 2024.

L’Europe a amorti en 2022 un choc énergétique conséquent en raison de sa proximité avec la guerre en Ukraine et sa dépendance envers les hydrocarbures russes. Qu’attendez-vous sur le Vieux-Continent?

Les autorités européennes ont réussi à sécuriser l’approvisionnement énergétique en l’espace de 6 ou 9 mois. Elles se sont affranchies des importations russes en diminuant leur consommation, en diversifiant les sources d’approvisionnement et en se lançant rapidement dans l’électrification. L’Europe semble ainsi prête pour l’hiver prochain : elle passera probablement d’une pénurie à un trop plein de gaz.

Après la gestion du choc d’inflation, la BCE devrait être en position de baisser ses taux en 2024. En attendant, elle maintiendra son pic à 3,75% durant plusieurs trimestres.

Contrairement à ses homologues européens, le Royaume-Uni n’arrive pas à dompter l’inflation. La cause au Brexit?

Pas seulement, mais le Brexit exacerbe toutes les difficultés. Le pays subit toujours le choc d’inflation, en raison de sa situation énergétique d’une part, et de sa réalité économique de l’autre part. En tant que pays importateur de presque tous ses produits de consommation, le Royaume-Uni dépend de l’évolution des taux de change qui contribuent à importer de l’inflation. De plus, sa politique post-Brexit a réduit l’immigration, conduisant à des pénuries marquées sur son marché de l’emploi. Je ne vois pas les tensions sur les prix redescendre de leur sommet aussi rapidement qu’aux Etats-Unis ou en zone euro. La BoE sera incitée à durcir sa politique ; son taux terminal se situera sans doute à 6%, bien au-dessus de celui de la BCE et même de la Fed.

Quel est le coût de la stabilité des prix aux États-Unis?

En freinant la surchauffe, la Fed a accepté de ralentir le véhicule économique. Une croissance en sous-régime constitue ainsi le juste prix de la stabilité des prix. Elle a été sacrifiée pour retrouver le chemin de la normalité, ce qui est finalement une bonne nouvelle.

Après les années Trump, les conditions d’immigration se sont assouplies, contribuant ainsi à rééquilibrer le marché de l’emploi et contenir l’inflation salariale. Cependant, nous ne nous attendons pas à un retour au niveau standard des prix avant 2024. En outre, une série de mesures fiscales devrait renforcer la dominance commerciale des États-Unis dans la confrontation sino-américaine.

Les marchés émergents semblent bien calmes, malgré les développements politiques attendus en 2024 et la relocalisation des sites de production chinois dans le reste de l’Asie. Comment l’expliquez-vous?

Il a y premièrement un décalage entre le bloc émergent – notamment l’Inde et le Brésil - qui ont déjà retrouvé les niveaux standards de prix, et celui des pays développés qui devront patienter encore jusqu’en 2024.

La faiblesse du dollar US joue en leur faveur. Cette dernière ne découle pas de la dédollarisation, mais d’un différentiel de taux d’intérêt.

Enfin, la sortie de production de Chine, à l’instar d’Apple qui délocalise en Inde, est une bonne nouvelle pour cette région. Les marchandises à faible valeur ajoutée seront manufacturées en Malaisie ou au Vietnam. L’Inde sera la terre d’accueil des produits à moyenne valeur ajoutée. Et les biens à très forte valeur ajoutée seront relocalisés au Japon ou en Corée du Sud.

Le Japon semble en décalage avec les autres pays. Qu’attendez-vous de la part de la Bank of Japan?

Le marché de l’emploi est tendu et la croissance des salaires s’est accélérée. La BoJ, en retard sur sa politique, n’aura pas d’autre choix que d’abandonner son contrôle de la courbe des taux après l’été, ce qui est favorable pour le yen que nous suivons de près.

La Chine pourra-t-elle compter sur le dynamisme des consommateurs?

Asynchrone, la Chine reste la seule économie en déflation. Elle doit relancer sa croissance.

Avec un PIB sur un rythme de croissance autour des 5%, le pays a gommé sa perte d’activité liée au confinement, mais il aura besoin d’une nouvelle histoire et de nouveaux moteurs de croissance pour redynamiser son économie. Ce qui dépendra des autorités fiscale et monétaire et de l’ampleur – ainsi que du ciblage - de leur relance.

Le désendettement privé semble être la priorité des ménages chinois, qui restent sur la réserve. La relance devra donc être bien calibrée. L’espoir se porte sur l’annonce d’une prochaine série de mesures ; les autorités chinoises n’ont pas le droit à l’erreur.  

À court terme, l’économie devrait maintenir un certain niveau d’activité. Mais les perspectives à long terme sont moins favorables. Les Chinois auront fort à faire dans la compétition sino-américaine et l’avance technologique américaine, notamment dans le domaine des microprocesseurs. Cette confrontation devrait réorganiser la carte de la production mondiale.

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