Le nirvâna des grandes firmes

Salima Barragan

3 minutes de lecture

La Silicon Valley of India: le futur hub technologique du monde. Avec Andrew Keiller de Baillie Gifford.

Ce n’est ni à Denver ni à Seattle que Goldman Sachs dispose de son deuxième plus grand bureau après celui de New York. Mais au Bangalore, dans la «Silicon Valley indienne» où le gestionnaire dispose d’un bureau de 8000 employés. En plus des fonctions de support, le site abrite aussi les équipes quantitatives de la firme. Apple a également choisi cette région d’Asie pour y produire une partie de ses iPhones. Un choix peu étonnant, car le Bangalore repose sur un réservoir d'ingénieurs et un vivier de talents. Zoom sur un pays se développant à la vitesse de la lumière avec Andrew Keiller de Baillie Gifford.

Comment l’indice phare indien – le Sensex –, s’est-il comporté récemment et quels secteurs mènent sa performance?

Au cours des dernières années, l'Inde a déjoué les pronostics à la baisse pour offrir un rallye surprise. Généralement, les coûts élevés de l'énergie constituent le talon d'Achille d’un pays importateur d'énergie. Pourtant, l’Inde a réussi à sécuriser des importations de pétrole russe à moindre coût, ce qui a joué en la faveur de ses marchés.

Un grand nombre des entreprises les plus performantes et novatrices indiennes ont affiché des résultats opérationnels solides. De surcroît, le nombre de réformes mises en œuvre ces dernières années par Narendra Modi a mené à des retombées économiques extrêmement positives. Je pense notamment à la simplification du régime de la taxe sur les produits et services.

Le deuxième plus grand bureau de Goldman Sachs se situe au Bangalore, la Silicon Valley indienne. Comment interprétez-vous cela?

Le niveau d'innovation en Inde continue de croître, ce qui renforce l'attractivité du pays pour les grands acteurs internationaux. Le déploiement d'un réseau mobile 4G sophistiqué à une grande partie de la population constitue le développement le plus notable de ces dernières années; l’accès à l'internet mobile étant très difficile auparavant. Aujourd'hui, l’utilisateur indien moyen consomme deux fois plus de données mobiles par mois que son homologue Britannique. Cela a mené à l'émergence d'une multitude de nouveaux modèles d'affaires.

La régulation de l'IA demeure une question à long terme très importante et ouverte, à laquelle personne ne peut vraiment répondre pour l'instant.
Tel qu’Apple, qui y produit dorénavant une partie de ses iPhones au détriment de la Chine...

Oui, le nouveau site d’Apple compte pour 5% des iPhone fabriqués et sa cadence devrait augmenter à 25% en 2025. Nous avons également vu des entreprises taïwanaises, comme la société d'assemblage technologique Honhai, déplacer leur production en Inde. Samsung Electronics en Corée du Sud en est un autre exemple.

L'Inde n'a pas eu de véritable base pour l’exportation depuis des années, et cela commence maintenant à changer. Cependant, d'autres pays comme le Vietnam bénéficieront également de la relocalisation de la chaîne de production chinoise.

Pour quelles raisons le tissu économique du pays s’est-il subitement développé?

L'essor de l'internet mobile lors de ces dernières années a permis la création de nombreuses nouvelles entreprises, et par conséquent, le nombre de licornes indiennes a nettement augmenté par rapport à la décennie précédente. Nous nous intéressons à des entreprises comme Delhivery, qui est une société de logistique travaillant pour de nombreux clients et qui est un exemple de bénéficiaire de l'explosion des données mobiles.

Dans quel domaine le hub indien se spécialise-t-il?

L'idée de l'Inde en tant que «centre de services technologiques» n'est pas nouvelle. De nombreuses entreprises mondiales ont utilisé les fournisseurs de services informatiques situés dans ce pays durant de nombreuses années. L'émergence d'offres numériques autour du cloud computing est en revanche plus récente. Par le passé, les entreprises de services informatiques étaient davantage des facilitateurs d'une infrastructure réseau ancienne. Cela signifie que le niveau de sophistication a augmenté. Son réservoir d'ingénieurs et son vivier de talents ont contribué à sa réputation.

Ce pôle technologique pourrait-il être évincé par la généralisation de l’IA au sein de ce type d’activités?

C'est très difficile à savoir, mais nous devrions être ouverts à l'idée que l'IA puisse en fait représenter plus une opportunité qu'une menace. Si elle peut améliorer le niveau de service à des coûts encore plus bas, elle pourrait alors renforcer l'offre pour de nombreuses entreprises vis-à-vis de leurs clients. Il est vrai que beaucoup d’acteurs l’expérimentent. L’IA a été propulsée sous les projecteurs avec les modèles de langage, mais elle aide déjà de nombreuses entreprises de services en Inde depuis des années.

N'oublions pas, cependant, que la régulation de l'IA demeure une question à long terme très importante et ouverte, à laquelle personne ne peut vraiment répondre pour l'instant.

Où investissez-vous?

Le conglomérat Reliance Industries demeure l'une de nos plus grosses positions. Il a établi le plus grand réseau 4G du pays, mentionné précédemment. Il en est encore aux premiers stades de la monétisation de ce réseau, mais possède également d'autres activités attrayantes dans les secteurs de l'énergie et de la distribution. Nous sommes également actionnaires de la société de logistique Delhivery, qui était à l'origine un investissement privé dans l'un de nos véhicules à capital fixe.

Nous sommes aussi intéressés par les entreprises financières, telles que HDFC dans le financement immobilier. En Inde, le taux de pénétration des prêts hypothécaires est plus bas que dans d'autres marchés et HDFC demeure un prêteur très efficace.

La classe moyenne monte en puissance. Nous détenons également des actions dans des compagnies d'assurance qui en sont aux premiers stades de leur développement. Elles proposent des produits d'épargne et certains Indiens commencent à se détourner des investissements en or physique au profit des fonds communs de placement, ce qui représente une opportunité.

Comment les hausses de taux d’intérêt sur le dollar affectent les entreprises du pays?

Il est impossible de généraliser ici. Pour certaines entreprises, une base de coûts en roupies et un flux de revenus en dollars en hausse ont été très bénéfiques, mais cet avantage conjoncturel pourrait ne pas toujours être là.

Il y a des entreprises en Inde qui possèdent des avantages concurrentiels suffisamment solides pour gérer les fluctuations des taux de change et des taux d'intérêt. La question de savoir si elles peuvent rester pertinentes face à l'évolution des comportements des clients locaux pourrait être beaucoup plus importante à long terme.

A lire aussi...