A la découverte des actions d’infrastructures durables

Emmanuel Garessus

5 minutes de lecture

Les actions de sociétés qui répondent aux défis de la transition énergétique présentent un cash-flow prévisible et offrent un bon rendement, selon Noel O’Halloran, de KBI GI.

Les actions des sociétés d’infrastructures vont-elles profiter de la baisse des taux? Pour Noel O’Halloran, CIO de KBI Global Investors, le défi consiste à dénicher les actions des sociétés capables de participer aux investissements nécessaires à la transition énergétique et aux défis de l’eau et de l’alimentation. 

KBI GI est une boutique de gestion en actions, basée à Dublin, avec plus de 15 milliards d’euros d’actifs sous gestion. Elle fait partie du groupe Amundi depuis 2016 mais garde son autonomie de gestion et sa philosophie. KBI GI a créé deux fonds en actions sur les ressources naturelles en l’an 2000, centrée sur l’eau et les énergies de la transition, puis une stratégie Global Natural Resources Solutions en 2015 (agriculture, eau et transition énergétique), une stratégie globale sur les infrastructures durables en 2017 et une stratégie d'économie circulaire en 2022. L’asset manager gère plus de 7 milliards d’euros au sein de ses stratégies sur les ressources naturelles. Celle portant sur les actions globales d’infrastructures durables a grimpé à 1,8 milliard d’euros. Noel O’Halloran, CIO qui travaille pour KBI GI depuis 16 ans, répond aux questions d’Allnews:

L’attention des investisseurs reste concentré sur la technologie. Pourquoi s’intéresser aux actions en infrastructures durables?

Je commencerai par le contexte. Lorsque nous avons développé notre vision, en l’an 2000, nous avons identifié 3 ressources naturelles clés, l’eau, l’énergie et l’alimentation. Chacune traduit un fort déséquilibre entre l’offre et la demande puisque l’eau est contrainte, comme l’énergie et l’alimentation. Nous étions d’emblée persuadés que des crises allaient se succéder dans ces domaines. Nos avertissements ont sans doute été prématurés, mais ces dernières années ont témoigné de l’acuité de ces problèmes. La sécurité et la rareté énergétique sont devenues prioritaires. 

Sur le plan de l’investissement, nous avons identifié environ 500 actions d’entreprises globales qui fournissent des solutions à ces crises. Nous avons identifié les actions d’infrastructures durables au sein de cet univers de 500 sociétés qui permettent de répondre aux déficits d’infrastructures observés dans les domaines de l’eau, de la transition énergétique et de l’alimentation. Environ 200 sociétés répondent à ces critères précis et forment les fondements de notre stratégie initiée en 2017.

Qu’en est-il des attentes de performance?

Les actions d’infrastructures forment une classe d’actif à long terme, qu’il s’agissent de sociétés d’utilité publique, de plateformes éoliennes offshore, de centres de data, de chargeurs de véhicules électriques. Ce sont des sociétés à forte intensité en capital au bénéfice de cash-flows prévisibles à très long terme. Ces actions sont donc moins volatiles et paient davantage de dividendes. Nous combinons ces atouts dans une stratégie comprenant 50 noms avec une exposition aux infrastructures durables, un fort rendement direct et un faible beta. Leur profil est complètement différent des 7 magnifiques, de leur taux de croissance et de leur momentum. L’ investisseur jugera dans 10 ans si le cours de ces dernières sera plus élevé qu’aujourd’hui. L’autre caractéristique des sociétés des infrastructures concerne leur capacité à protéger l’investisseur contre le risque d’inflation. De nombreuses sociétés cotées, par exemple dans les services des eaux, profitent d’un ajustement annuel des tarifs à l’indice des prix au sein de leur contrat.

«Si nous voulons décarbonater l’économie, de notre point de vue, il importe de présenter une stratégie de gestion active afin d’identifier les gagnants et les perdants de la transition climatique».

La vision est sans doute correcte, mais les investisseurs sont déçus par les titres liés au solaire, aux éoliennes ou à la cleantech. Quand assisterons-nous à un retournement? 

La cleantech, avec ses quelque 300 spécialistes, n’appartient pas à notre stratégie, laquelle se concentre sur 50 autres entreprises. De même, les sociétés qui fabriquent dans les panneaux solaires, concurrencées par la Chine, n’entrent pas dans les infrastructures, ni les producteurs d’hydrogène. 

Par contre, nous nous intéressons aux infrastructures telles que les parcs d’éoliennes et les parcs solaires, forts de leurs cash-flows, de leur rendement du dividende stable, de leur transparence et de leurs contrats à long terme. 

Si nous voulons décarbonater l’économie, de notre point de vue, il importe de présenter une stratégie de gestion active afin d’identifier les gagnants et les perdants de la transition climatique. 

Le 2e point consiste à pointer notre intérêt pour les infrastructures tournées vers l’avenir. La plupart des infrastructures publiques existantes investissent dans des activités traditionnelles qui ne participent guère à la décarbonations, telles que les routes, le rail, les aéroports, les télécoms et le transport du pétrole et du gaz. Nous nous concentrons sur les infrastructures «net zéro», des énergies renouvelables à l’efficience énergétique en passant par les chargeurs pour les véhicules électriques, et sur les infrastructures liées à l’eau. 

Il est vrai que les investissements durables ont souffert de la hausse des rendements obligataires ces dernières années puisqu’ils avaient besoin de nombreux capitaux pour financer leurs projets. Il est très satisfaisant, dans ce contexte, de voie la Banque nationale suisse prendre l’initiative et baisser ses taux d’intérêt. Dès lors, nous nous attendons à ce que les vents contraires que furent les taux d’intérêt se transformeront en vents favorables.

Les taux courts baissent, mais les rendements obligataires ne restent-ils pas stables et bien des stratégistes n’anticipent-ils pas un niveau inchangé en fin d’année?

C’est correct, mais les rendements obligataires n’augmentent plus. S’ils se stabilisent et diminuent quelque peu, l’environnement sera positif. Le CEO ou le CFO d’une entreprise peut mieux planifier ses investissements et le coût du capital.

Pourquoi investissez-vous beaucoup en Allemagne, malgré les problèmes économiques et les difficultés d’un producteur comme RWE? 

Si nous prenons une approche à long terme, celle de la sécurité de l’approvisionnement énergétique en Europe, l’Allemagne, en tant que première économie du continent, est une opportunité. La guerre en Ukraine a souligné la dépendance allemande à l’égard du gaz russe. La transition de l’Allemagne des énergies fossiles vers les énergies renouvelables représente un marché considérable. L’opportunité réside en Allemagne non pas uniquement dans la taille du marché mais dans les connexions qui se mettent en place avec le réseau existant. RWE est l'une des entreprises dont le dividende est élevé et la valorisation faible, mais il en existe de nombreuses autres. Nous aimons l’Allemagne, même si la situation politique n’est pas encourageante. Des fabricants de panneaux solaires ont par exemple mis un terme à leur activité en Allemagne pour des raisons politiques afin de les déplacer aux Etats-Unis. La décote des entreprises allemandes par rapport aux entreprises américaines est élevée, comme dans d'autres secteurs. Les États-Unis sont souvent considérés comme le marché idéal. Qu'en est-il de l'Europe ? Vous n'y investissez que pour passer vos vacances", me disait récemment un Américain.

«RWE est l'une des entreprises dont le dividende est élevé et la valorisation faible, mais il en existe de nombreuses autres».

Eu égard à votre allocation, l’essentiel de vos investissements portent sur les Etats-Unis. Les besoins ne sont-ils pas plus grands dans les pays émergents?

Environ la moitié des entreprises de notre portefeuille sont cotées aux Etats-Unis et nettement moins de 10% proviennent de pays émergents. Mais la part des revenus issus des pays émergents est supérieure et provient aussi bien d’Amérique latine que d’Asie ou d’Afrique. 

Les nouvelles infrastructures sont construites souvent dans les pays émergents, mais les besoins de renouvellement des infrastructures dans les pays industrialisés sont également considérables, ainsi qu’en témoigne la récente tragédie survenue à Baltimore. 

Nous investissons dans les services d’utilité publique en particulier en Europe, notamment en Allemagne, et en Europe méridionale, ainsi que dans les services des eaux au Royaume-Uni. Nous avons deux fois plus de positions dans les «utilities» en Europe qu’aux Etats-Unis parce que la valorisation est plus favorable en Europe.

Les Etats-Unis profitent de l’IRA. Que peut-il se passer pour les infrastructures durables en fin d’année après les élections américaines?

Une réélection de Joe Biden serait une bonne nouvelle pour les infrastructures durables. Il en résulterait sans doute un rallye de soulagement, car le marché craint beaucoup une élection de Donald Trump. Je pense que l’élection de Joe Biden serait un choc positif, compte tenu de l’expérience passée avec Trump. Les investisseurs internationaux sont très attentifs à ce sujet. En 2016, l’élection de Donald Trump s’est avérée un choc majeur, mais sa réélection en 2022 semble déjà dans les cours. La volatilité promet d’être élevée d’ici l’élection de novembre.

Quelle est votre société préférée dans le domaine de l’eau?

Nous apprécions un certain nombre d’entreprises spécialisées dans le traitement des eaux. Il faut savoir que 99% de l’eau est inaccessible et 1% disponible. De plus 70% de l’eau disponible est utilisée par l’agriculture, 20% par l’industrie et 10% par l’homme, ce qui paraît incroyable. Les deux principaux moyens de fournir plus d'eau dans les régions soumises au stress hydrique sont la désalinisation -certaines sociétés cotées sont spécialisées dans ce domaine par exemple dans le sud de la Californie, dans les Bermudes et au Moyen Orient- et surtout sur la réutilisation de l’eau. La ville de Barcelone est un exemple dans ce domaine. L’autre domaine que nous apprécions est celui du conseil en ingénierie au plan global, un secteur qui profite par ailleurs de l’Inflation Reduction Act. 

Notre portefeuille cherche à combiner les différents secteurs qui s’intègrent dans notre vision, comme un entraîneur de football cherche à composer son équipe. Dans notre cas, les «utilities» représentent les défenseurs de l’équipe.

Les clients des sociétés d’infrastructures sont les Etats, lesquels souffrent de leur endettement. Est-ce que cela modifie vos attentes?

Vous avez raison si vous parlez du niveau fédéral, mais, au plan local, de nombreux Etats n’ont pas de difficultés financières. L’Etat fédéral entre en jeu en termes de contre-partie des contrats. Mais en termes de financement de parcs solaires ou d’éoliennes, celui-ci provient non de l’Etat mais du privé. Pour le service des eaux toutefois, les finances publiques jouent un rôle important, mais le financement est souvent assuré par la dette ou les marchés des capitaux.

Comment investissez-vous dans le domaine alimentaire?

Nous investissons non pas dans l’alimentation mais dans l’équipement agricole ainsi que dans l’agriculture de précision pour améliorer le rendement agricole et réduire les déchets. Trimble Navigation fait partie des leaders dans ce domaine qui amène la digitalisation à l’agriculture et répond au défi des pertes provenant de l’irrigation. Ce problème ressort clairement au Brésil, l’un des greniers de blé du monde, où 45% des produits agricoles ne parviennent pas au consommateur final à la suite de différentes pertes et gaspillages. La logistique agricole est cruciale, des chemins de fer aux ports en passant par les entrepôts de stockage, tels que ceux du groupe Bunge.

Comment se développe l’intérêt pour vos stratégies?

L’intérêt a été très significatif ces dernières années en raison de notre performance, même si elle a été inférieure ces deux dernières années. Les investisseurs reconnaissent que les vents contraires se sont apaisés et qu’ils peuvent investir dans des infrastructures durables à travers des actions de sociétés qui disposent de contrats à long terme. 

A lire aussi...