Il est désormais possible de mesurer l’impact d’une entreprise sur la biodiversité de manière standardisée, explique Frédéric Bach, responsable ESG chez Ossiam.
Alors qu’une grande partie de l’attention se concentre actuellement sur le changement climatique, la préservation de la biodiversité constitue aussi un enjeu essentiel en matière de préservation de l’environnement. Comment peut-on, en tant qu’investisseur, contribuer au mieux à la préservation de la biodiversité? Le point avec Frédéric Bach, responsable ESG chez Ossiam, qui s’exprimait en marge du Zurich Forum for Sustainable Investment (ZFSI) qui s’est tenu en mai.
La préservation de l’environnement, dans son ensemble, est bien sûr l’affaire de tous. L’évolution actuelle du climat est déjà en soi une chose assez grave. En matière de biodiversité, on est arrivé en-dessous d’un niveau critique à partir duquel il sera difficile de revenir en arrière. S’il y a bien sûr certaines activités qui sont plus nuisibles à la biodiversité que d’autres, toutes les contributions, même modestes, à sa préservation sont les bienvenues.
En ce qui nous concerne, nous nous concentrons chez Ossiam seulement sur les sociétés cotées en bourse. Nous n’investissons pas dans le private equity, par exemple. Maintenant, grâce à notre engagement avec les entreprises dans lesquelles nous investissons, nous exerçons aussi une influence qui va au-delà de l’activité de ces sociétés proprement dite. En effet, chaque entreprise compte à son tour de nombreux fournisseurs sur lesquels elle peut exercer une influence. Enfin, le succès de chaque entreprise dépend aussi de ses clients. Si, par exemple, une grande entreprise ignorait complètement les critiques des investisseurs concernant certains aspects sociaux ou environnementaux, il se peut aussi que cela ait, au final, des répercussions négatives sur sa propre clientèle.
Il est indispensable de travailler sur ces deux aspects en même temps. Si l’on ne résout pas la question climatique – compte tenu du risque d’emballement du climat qui existe -, on ne pourra pas protéger la biodiversité. Et si l’on résolvait seulement la question climatique, en limitant la hausse de température à un certain niveau, mais en négligeant la biodiversité, cela n’ira pas non plus. Car dans ce domaine, il est beaucoup plus difficile de restaurer des espaces naturels que de les préserver dès le départ.
Par ailleurs, nous avons aussi choisi de mettre l’accent sur la biodiversité dans notre activité d’investissement car nous pensons que le climat est un thème qui est déjà plus souvent pris en compte par un grand nombre d’investisseurs et gérants dans leur politique de placement. C’est moins le cas pour la biodiversité.
Il est bon de favoriser la biodiversité un peu partout, y compris dans les zones urbaines ou à proximité des autoroutes, mais cela reste marginal. Protéger certains espaces de conservation joue un rôle plus important. En effet, une forêt vierge concentre une richesse de biodiversité maximale. Par exemple, une plantation de cacao en Afrique, même si elle est gérée correctement, n’abritera typiquement que 30% de la biodiversité présente dans une forêt vierge maintenue à l’état naturel, où cette part atteindrait 100%.
Donc, il faut tout d’abord veiller à maintenir intacts des espaces naturels. Ensuite, il faut essayer de remettre à l’état naturel certains espaces déjà exploités.
Maintenant, maintenir quelques espaces sauvages ne suffit pas en soi: il faut aussi réfléchir à la cause de la disparition de ceux-ci. Et une des causes de la disparition de ces espaces tient précisément aux habitudes alimentaires. La production d’aliments a énormément d’impact sur la biodiversité.
L’impact de la chaîne alimentaire sur l’environnement peut, schématiquement, être chiffré de la façon suivante: le transport représente environ 18% des émissions de CO2 liées à l’alimentation. Donc, si vous réduisez de moitié le transport de produits, vous aurez diminué cette part de 18% à un peu moins de 10%. C’est pourquoi, il est essentiel de se préoccuper aussi de tout le reste: la production de viande implique non seulement l’utilisation du sol pour les animaux mais aussi celle dont on a besoin pour produire l’alimentation destinée à ces mêmes animaux. Selon des estimations, plus de la moitié des émissions de gaz à effet de serre (GES) liées à l’alimentation est imputable à l’élevage des animaux. Si on parvenait à réduire de moitié la consommation de viande, on arriverait à diminuer d’environ 25% les émissions de GES. C’est nettement davantage que les 9 à 10% qui pourraient être obtenus en se nourrissant de manière avant tout locale grâce à la réduction des émissions liées aux transports d’aliments.
Pour autant, cela ne veut pas dire qu’il ne sert à rien de consommer local – mieux vaut manger des salades cultivées à quelques dizaines de kilomètres de son domicile que de les importer du Kenya ou d’Amérique du Sud, par exemple. Néanmoins, je pense qu’il vaut la peine de s’interroger s’il est vraiment nécessaire de manger deux steaks par semaine ou si un seul suffit. En étant conscient de l’impact qu’a la production de viande globale sur l’environnement, on devient souvent plus raisonnable. Changer ses habitudes nécessitera beaucoup de temps mais il vaut la peine d’y réfléchir et de s’y préparer. Et c’est d’autant plus important qu’on le fasse maintenant dans les pays occidentaux car beaucoup de pays en voie de développement ont tendance à copier nos habitudes au fur et à mesure que leur niveau de vie s’améliore.
Si l’on écartait d’emblée tous les «mauvais élèves» de notre portefeuille, on perdrait aussi le dialogue avec des entreprises dont on pense, pour certaines d’entre elles, qu’elles pourraient s’améliorer en matière environnementale. Entretenir un dialogue avec les entreprises est aussi important car cela leur permet d’apprendre des bonnes pratiques développées ailleurs, de partager les bonnes idées et les bonnes pratiques. Et cela même dans des activités qui ne se prêtent, a priori, pas spécialement bien pour disposer d’un bilan favorable en matière de biodiversité. Si l’on considère une chaîne de fast-food qui vend des burgers, son bilan environnemental n’est pas idéal mais elle a néanmoins des moyens de réfléchir à l’organisation de sa chaîne d’approvisionnement, par exemple en évitant d’utiliser de la viande de bœuf dont le bétail a été nourri avec des aliments provenant de terrains pris à la forêt amazonienne.
Pour chaque entreprise, nos décisions reposent sur une mesure d’impact de ses activités sur la biodiversité. La mesure utilisée est ici le kilomètre carré de forêt primaire par unité de chiffre d’affaires. Ces données sont calculées par la société Iceberg Data Lab. Bien entendu, il s’agit d’une notion qui peut sembler un peu abstraite lorsqu’on la présente comme cela mais c’est un moyen de mesurer l’impact d’une entreprise sur la biodiversité de manière standardisée, quel que soit son secteur d’activité.