Capitulation! Capitulation?

Christian Schmitt, Ethenea Independent Investors

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Sur le marché des actions, les opérateurs interagissent les uns avec les autres. L’humeur se situe, en fonction du cycle du marché des actions, entre euphorie et panique.

En octobre, lorsque les principaux indices boursiers ont atteint de nouveaux plus bas annuels, l’idée s’est répandue d’une capitulation de nombreux investisseurs. Est-ce bien le cas? De larges cercles d'investisseurs ont-ils jeté l'éponge et abandonné la perspective d'une hausse future des cours des actions? D’un point de vue comportemental, cela pourrait être considéré comme un signe positif pour la suite des marchés boursiers. Un signe que de nombreux investisseurs contracycliques, et non des moindres, attendent avec impatience.

«Si tous les investisseurs ont des perspectives positives et sont déjà positionnés en conséquence dans leurs portefeuilles, il reste peu de place pour de nouvelles hausses de cours. Dans le cas inverse – lorsque les perspectives et le moral sont au plus bas et que de nombreux investisseurs ont vendu leurs actions – la situation de départ pour de futures hausses de cours est toute autre!», explique Christian Schmitt.

Vous avez certainement déjà vu un graphique qui représente schématiquement l'état mental typique d'un investisseur dans les différentes phases d'un cycle boursier. Pendant la hausse des marchés boursiers, l'optimisme se répand de plus en plus et peut, avec le temps, se transformer en une euphorie débordante. Cet état d'esprit positif est contagieux et se propage généralement même en dehors des groupes d'investisseurs établis de longue date. La cupidité ou la perspective de gagner de l'argent facilement deviennent souvent un thème dominant. À titre d’exemple, citons le dernier point culminant d'une telle phase en 2020/21.

Inévitablement, dans toute phase d'exagération, il arrive un moment où les cours cessent de monter. Alors que les premiers reculs notables sont généralement encore considérés comme une opportunité d'entrer à bon compte, le sentiment peut se transformer au fil du temps en tension, en inquiétude, puis en peur, en désespoir et enfin en capitulation panique lorsque les cours continuent de baisser. Mais où en sommes-nous actuellement dans ce cycle boursier? Le sang coule-t-il déjà dans les rues, comme l'a formulé jadis John D. Rockefeller de manière très brutale?

«La façon de faire de l'argent est d'acheter quand le sang coule dans les rues!», John D. Rockefeller

Le fait que nous ayons laissé les plus hauts derrière nous et que nous nous trouvions dans un marché baissier plus ou moins prononcé est assez indiscutable. Presque tous les grands indices ne remplissent pas seulement le critère largement reconnu comme définition d'un marché baissier, à savoir une baisse des cours de plus de 20% depuis les sommets, mais présentent également des symptômes typiques d'une baisse boursière, comme par exemple de fortes fluctuations de cours. Ce dernier critère est d'ailleurs valable dans les deux sens, à la hausse comme à la baisse. Les segments de marché qui ont mené les mouvements à la hausse lors de la phase d'euphorie précédente enregistrent actuellement les plus fortes baisses de cours. Les actions technologiques non rentables et les crypto-monnaies, qui ont perdu en moyenne 75% de leur valeur depuis les sommets de l'année dernière, sont les plus touchées. C'est donc dans ces secteurs qu'il faut s'attendre le plus à une capitulation.

Il est étonnant de constater qu'en dehors des immenses pertes de cours, il n'y a pratiquement pas de capitulation sur les marchés des titres de croissance «disruptifs» des dernières années ; personne, de ce côté, n'a encore jeté l’éponge. La croyance dans un progrès technologique inéluctable et les perspectives d'un énorme potentiel de marché futur continuent de dominer les discussions des analystes et des investisseurs. Cet espoir intact continue de se manifester à travers les flux de capitaux pour les produits les plus connus et les plus populaires de ce segment. Le fonds ARK Innovation de la gérante américaine Catherine Wood sert de référence mondiale. Malgré une baisse de valeur de 60% au cours des dix premiers mois de l'année, il a réussi à collecter environ 1,4 milliard de dollars de nouveaux capitaux au cours de la même période. Un ETF populaire d'un autre gestionnaire, qui mise sur les actions de semi-conducteurs avec un triple effet de levier et qui a perdu nettement plus de 80% de sa valeur depuis le début de l'année, a même enregistré 6,3 milliards de dollars d'afflux d'argent frais. Sans les signes négatifs devant les chiffres de performance, cela donnerait plutôt l'impression d'une euphorie, mais certainement pas d'une capitulation suite à une panique.

La situation est-elle différente dans le reste du marché? L'enquête mensuelle de Bank of America (BofA) auprès des gestionnaires de fonds, par exemple, fournit régulièrement des informations à ce sujet. Mi-octobre, Bloomberg a publié un article intitulé «L'enquête de BofA auprès des gestionnaires de fonds crie à la capitulation». L'article indique que «le sentiment des gestionnaires de fonds à l'égard des actions et de la croissance de l'économie mondiale [...] signale une capitulation complète» Et plus loin «[Les stratèges] soulignent que les investisseurs détiennent désormais 6,3% de leurs portefeuilles en espèces. Une valeur aussi élevée n'avait pas été enregistrée depuis avril 2001. Entre-temps, 49% des participants à l'enquête ont déclaré sous-pondérer les actions» En effet, le climat s'est sensiblement dégradé au cours de l'année, ce qui est confirmé par d'autres sondages comparables. Mais nous estimons qu'il est nettement prématuré de parler de capitulation au vu des chiffres susmentionnés.

La plus grande divergence entre les acteurs du marché reste l'opinion et le positionnement. Alors qu'il est tout à fait difficile, voire quasiment impossible, de tracer des perspectives positives au vu de la multitude de foyers de crise dans le monde - dont beaucoup sont de nature structurelle et ont tendance à s'aggraver - les positionnements stratégiques et les grands mouvements de fonds montrent encore une autre image. Seuls les fonds d'actions européennes affichent des sorties de fonds significatives depuis le début de l'année. Dans d'autres régions du monde, les flux de fonds commencent tout juste à s'arrêter. Et ce, après une année 2021 au cours de laquelle, selon les chiffres de Goldman Sachs, les flux de capitaux vers les fonds d'actions ont été à peu près aussi élevés que ceux des 20 années précédentes réunies.

«Les ajustements dans les positionnements stratégiques de nombreux investisseurs ressemblent plus à un gros pétrolier qu'à une vedette rapide et maniable Certains semblent encore s'accrocher à l'absence d'alternative aux actions, alors que la mère de toutes les bulles sur le marché obligataire continue de se dégonfler», Christian Schmitt.

Une autre enquête menée par J.P. Morgan en septembre a également apporté un éclairage sur le positionnement actuel des investisseurs professionnels sur les actions. Ces derniers ont été invités à situer leur positionnement actuel par rapport à leur propre fourchette historique. Seuls 13% se trouvaient dans les trois derniers déciles – la plupart se situaient quelque part au milieu de leur fourchette historique. Par analogie avec les 49% d'acteurs du marché susmentionnés qui sous-pondèrent actuellement les actions, il convient une fois de plus de noter que les actions ne sont pas les seules à être sous-pondérées: Une véritable capitulation serait différente!

Enfin, le dernier point: Quel est votre propre positionnement? Sentez-vous des signes de capitulation chez vous ou chez vos clients? D'après de nombreux entretiens avec des clients et d'autres acteurs du marché, le meilleur terme pour résumer l'état d'esprit actuel de nombreux investisseurs est de dire qu'ils sont «inquiets». Les défis sont connus, mais la théorie ainsi que les expériences de ces dernières années ont enseigné que l'attentisme est, ou devrait être, une véritable stratégie. Du moins, elle l'était dans le passé. Car même pendant la crise financière mondiale, le monde ne s'est finalement pas arrêté et les indices boursiers ont à nouveau fini par atteindre de nouveaux sommets.

En revanche, la stratégie d'ETHENEA n'est pas d'attendre. Nous préférons agir! Face aux défis, aux dangers, à un monde qui change. Nous savons que de nombreux investisseurs ont tendance à surestimer leur propre capacité psychique à prendre des risques, que souvent, on ne réagit qu'au moment où la panique s'installe. Nous souhaitons protéger au mieux nos investisseurs contre ce risque en orientant notre gestion non seulement sur le long terme, mais aussi sur la préservation du capital à moyen terme, voire à court terme lorsque cela est possible.

La grande capitulation va-t-elle vraiment enfin avoir lieu? Nous n’en savons rien. La remarque «This time is different» – cette fois, c'est différent – ne manque pas d'arguments. Si l'on en croit les prévisions économiques, la phase de faiblesse économique actuelle ne s'accompagnera pas d'une hausse significative du chômage. Et selon le dernier rapport trimestriel de Bank of America, au moins pour ses clients bancaires américains, ces derniers ont actuellement encore des dépôts nettement plus élevés que ce n'était le cas avant la pandémie de Coronavirus. Autant de raisons qui expliquent pourquoi la chute des cours n'a jusqu'à présent pas été encore trop douloureuse pour les investisseurs. Néanmoins, nous restons plutôt prudents jusqu'à nouvel ordre. L'année en cours a en effet bien prouvé que même sans capitulation, les baisses de cours peuvent parfois être très sensibles.

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