Produits structurés: oui à la durabilité, non à la subjectivité

Anne Barrat

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«Aux critères ESG, parfois trop vagues et subjectifs, nous préférons un angle précis, celui des émissions directes, indirectes et évitées de CO2.» Nadia Gouné de SILEX.

A l’heure où l’industrie des produits structurés multiplie les initiatives pour entrer dans l’ère durable – avec l’apparition des premiers labels ESG dédiés –, le jeune groupe indépendant helvétique Silex Investment Parners passe directement à la case impact. Objectif: donner aux investisseurs toujours plus désireux d’incorporer dans leur décision d’investissement des considérations extra-financières, la note Carbone d’un portefeuille, fondée sur les données du pionnier en la matière, Carbon4 Finance. Une évolution qui change la donne et pourrait modifier le paysage aussi bien du côté des structureurs que des banques émettrices. Explications avec Nadia Gouné, responsable de l’ingénierie financière chez SILEX.

Quand on évoque les produits structurés, on pense levier et risque avant ESG. Cette vision est-elle trop simpliste?

Les produits structurés répliquent un portefeuille, ni plus ni moins. Par conséquent, ils sont tout autant concernés par l’intégration des critères de durabilité que leurs sous-jacents et tous les actifs financiers à l’heure actuelle. Et ce, parce que non seulement la réglementation, la directive SFDR de mars 2021 en particulier, l’impose aux sociétés cotées, mais et surtout parce que nos clients y sont sensibles. Il ne faut pas oublier que la finance est un métier de proximité et de précision: elle mêle une approche humaine et qualitative avec des données quantitatives en s’appuyant sur des technologies de pointe. Contrairement à la digitalisation généralisée qui aboutit trop souvent à privilégier la profitabilité au détriment de la relations clients, la technologie nous sert à accompagner nos clients sur toutes les problématiques durables, notamment celle du changement climatique.

Votre approche est-elle unique dans l’industrie des produits structurés?

Elle est précurseur à ce stade. Silex continue à être une startup dans l’âme, à avoir un état d’esprit jeune et imprégné de tout ce que signifie la responsabilité environnementale au quotidien. Celui-ci se traduit par notre volonté d’être parmi les tout premiers – nous ne voulions pas attendre que nos clients nous le demandent – à faire évoluer nos modèles pour structurer des portefeuilles durables au sens où nous l’entendons. C’est-à-dire de manière tangible et quantifiable, comme nous le commande notre culture d’ingénieur et de «quant», pour qui la subjectivité est insatisfaisante, sinon dangereuse. C’est pourquoi notre aventure verte a commencé par la création de l’indice iSTOXX Ocean Care 40 composé des 40 valeurs européennes les plus vertueuses dans la gestion de l'eau. Pourquoi notre vert est plutôt bleu? Parce que nous souhaitons ancrer notre approche et nous positionner sur des éléments factuels et mesurables. Se cantonner aux critères ESG ne suffit pas à garantir un investissement responsable. Nos clients, qui se sont lassés d’un «melting pot» ESG parfois vague, et finalement pas toujours convaincant, l’ont bien compris. Nous espérons que les autres gérants nous emboîtent le pas.

Si nos clients le souhaitent, nous leur proposons des alternatives pour approcher une empreinte carbone minimaliste, sans toutefois leur vendre un panier à zéro émission, car cela n’existe pas.
Pourquoi le carbone?

Nous avons retenu l’angle du carbone pour les raisons que je viens d’évoquer: c’est la variable environnementale la plus tangible aujourd’hui, celle qu’il est le plus facile de mesurer et sur laquelle avoir un impact est à la fois urgent et possible. Concrètement, les avancées technologiques permettent d’évaluer précisément non seulement les émissions directes (scope 1), indirectes liées à l’énergie (scope 2), indirectes dans leur ensemble (scope 3) ainsi que les émissions évitées (scope 4). L’accès aux émissions évitées est un puissant catalyseur de changement: il incite les entreprises à investir dans des infrastructures plus propres, plus vertes, quitte à passer par une période transitoire où les émissions ne diminueront pas à cause des travaux de mise en place.

C’est cet accès au scope 4 qui nous a notamment convaincu de travailler avec la société Carbon4 Finance dont les fondateurs, Alain Grandjean et Jean-Marc Jancovici ont été les pionniers des bilans carbone dans la décennie 2000. La méthodologie propriétaire qu’ils ont développée pour évaluer, compiler, mettre à jour les données carbone des émetteurs nous semble la plus aboutie et fiable du marché aujourd’hui. Ce n’est pas par hasard que la BCE a, elle aussi, retenu Carbon4 pour intégrer la dimension du changement climatique dans sa politique monétaire – bien consciente que toute instabilité liée à des dérèglements climatiques impacteront la stabilité des prix. Intéressant, mais pas anodin, de noter que la BCE a comme Silex concentré sa stratégie environnementale sur le carbone.

En quoi l’approche que vous avez mis en place sur la base de votre collaboration avec Carbon4 se différencie-t-elle?

Notre approche repose sur un score fourni par Carbon4 que l’on adapte à différents véhicules d’investissement; produits structurés, fonds, AMC. C’est surtout la première fois que l’on est capable de fournir un indicateur carbone qui prend en compte le produit structuré dans son ensemble, en le modélisant comme un portefeuille. Les données de Carbon4 concernant le sous-jacent et l’émetteur sont rebasées par rapport à l’univers de référence, en l’occurrence le MSCI, ce qui nous permet de calculer un «carbon score» simple à lire; A, B, C ou D. C’est une façon simple mais mathématiquement robuste de flécher les investissements. Si nos clients le souhaitent, nous leur proposons des alternatives pour approcher une empreinte carbone minimaliste, sans toutefois leur vendre un panier à zéro émission, car cela n’existe pas. Tout dépend du rendement ajusté au risque qu’ils ambitionnent.

Quel peut être l’impact de cette approche sur la performance?

A priori positif: qui dit moins d’énergies fossiles dans les modèles d’affaires des entreprises dit non seulement moins d’exposition aux variations des prix des matières premières, mais aussi possiblement moins de risque de manière générale.  

Quid de l’impact sur la qualité et la notation des produits structurés «Made by Silex»?

Là encore très positif. Sur la qualité des produits d’abord: la diversité des données que produit Carbon4 ouvre l’univers des possibles en termes d’entreprises investissables.  Sur la notation ensuite: la notation d’un produit structuré dépend du score des éléments du portefeuille, d’une part du score agrégé de la poche actions et, d’autre part du score de la banque émettrice, la poche obligataire. Ce dernier point ne doit pas être sous-estimé: le score de la banque émettrice fait partie intégrante de la notation globale du produit structuré, donc des portefeuilles qui le répliquent. D’expérience, il y a une forte corrélation entre le rating de l’émetteur et son empreinte carbone.

Cela vous rend-il plus regardant quant aux banques émettrices?

Ce n’est pas notre rôle. Le choix de l’émetteur influence sensiblement la note carbone que nous calculons, mais, au final, c’est à nos clients que revient le choix de la banque. Nous leur fournissons les indicateurs qui leur permettent de faire un choix éclairé.

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