L’automne des mécontentements

Valérie Plagnol, Vision & Perspectives

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De Santiago à Beyrouth, les capitales s’enflamment. La fureur populaire s’en prend à une mauvaise gestion de l'économie.

La comparaison aux «gilets jaunes1» fait flores un peu partout cet automne. Plusieurs pays connaissent des mouvements de protestations qui mobilisent des foules considérables. Comme le prix du pain autrefois, le mécontentement concerne l’augmentation des prix de produits ou services considérés comme de première nécessité : tickets de métro ici, messageries instantanées là, prix des carburants ailleurs. De Santiago à Beyrouth en passant par Quito et Bagdad, ces manifestations qui prennent un tour violent, deviennent l’occasion d’une remise en cause des pouvoirs en place. Accusations de mauvaise gestion ou plus sérieusement de corruption – ce fut le cas au printemps dernier à Prague lorsque les manifestations ont réclamé la démission du premier ministre soupçonné de détourner les subventions européennes  –  la colère ne retombe pas, même quand le gouvernement renonce à ses décisions. L’extension des revendications s’exprime au travers d’une perception commune de l’augmentation du coût de la vie, d’un creusement des inégalités et d’un sentiment d’éloignement croissant des élites au pouvoir. En dépit des accusations qui pèsent sur sa colistière Cristina Kirchner, les élections présidentielles en Argentine, portent au pouvoir le candidat d’opposition Alberto Fernandez, sanctionnant les échecs de la gestion économique du gouvernement de Mauricio Macri.

La conjoncture économique amplifie ce malaise. Elle apparaît cependant comme le révélateur d’une remise en cause des politiques économiques mises en œuvre ses 30 dernières années.  Dans son dernier rapport semestriel2, le Fonds Monétaire International se penche sur les moyens de relancer la croissance dans les pays émergents et à faible revenu.

Sur le plan conjoncturel, après une reprise synchrone en 2017, on assiste à un ralentissement mondial non moins synchronisé des économies. Il touche directement les pays émergents, notamment les plus exposés au commerce mondial. De plus, certains états ont accumulé des dettes importantes et se retrouvent à négocier des prêts avec le FMI, qui en contrepartie demande des mesures de redressement.

Le vent de la croissance globale a, dans bien des cas, négligé
l’amélioration des infrastructures et des services publics.

Le rapport rappelle que si les économies émergentes ont profité d’une forte croissance ces 20 dernières années, le rattrapage des revenus, avec ceux des économies développées, n’a pas été aussi rapide ni également réparti, certains pays ayant même régressé et d’autres juste stagné. Ainsi le Fonds estime que depuis 2008, les économies émergentes dites à revenu moyen, ont réduit leur écart avec les Etats-Unis au rythme de 1,3% l’an, tandis que les pays à faibles revenus ne l’ont réduit que de 0,7% l’an. Ceci veut dire qu’à ce rythme, pour ne combler que la moitié des écarts actuels, 50 et 90 ans seraient encore respectivement nécessaires. Le vent de la croissance globale a, dans bien des cas, négligé l’amélioration des infrastructures et des services publics.

Ainsi, le FMI constate que les progrès qui ont marqué les années 1990, ont nettement ralenti à partir des années 2000. La reprise d’un programme de réformes structurelles touchant à la fois la gouvernance, le marché du travail, le marché intérieur et extérieur, pourrait multiplier les gains de productivité et relever la croissance et le niveau de vie général. Ce constat rejoint à bien des égards les revendications exprimées. L’étude rappelle que les bénéfices de telles réformes ne s’obtiennent qu’à moyen terme. Aussi, le moment et les modalités de leur mise en œuvre importent-ils. D’autant que certaines mesures – telles la libéralisation des marchés du travail, du commerce – peuvent avoir des effets contraires à court terme. Il souligne également que s’il reste bien des marges d’amélioration, elles doivent surtout s’accompagner de mesures privilégiant l’accès à l’éducation et à la santé pour le plus grand nombre. «Si les réformes ne profitent qu’à une minorité, elles risquent de perdre le soutien de la population, être interrompues, voire même être annulées3».

Au total, le Fonds conclut que les réformes étudiées, de libéralisation des marchés intérieurs et extérieurs, comme du marché du travail, ainsi que l’amélioration de la gouvernance, ont eu des effets positifs sur la croissance des pays émergents qui les ont mises en œuvre. L’étude en tire les leçons suivantes : comme ces réformes ne portent leurs fruits qu’à moyen terme (au bout de 5 à 6 ans en général), les gouvernants doivent les entamer au plus vite – dès leur élection. De même, une conjoncture porteuse offre toujours un meilleur environnement pour limiter les effets des changements à court terme. Enfin, on ne peut faire l’économie de la mise en œuvre de « filets de sécurité », des politiques sociales d’éducation, d’équipement, de santé, qui permettent l’adhésion de la plus large part de la population et son adaptation aux nouvelles conditions de l’économie. Des recommandations de bon sens, mais une équation bien complexe à résoudre.

 

1 En français dans le texte, l’expression se retrouve dans la presse étrangère à propos de nombreuses manifestations récentes
2 Fonds Monétaire International – octobre 2019  «Perspectives de l’Economie Mondiale», chapitre 3 «relancer la croissance dans les pays à faible revenu et les pays émergents: rôle des réformes structurelles».
3 Global Economic Outlook, IMF, chapitre 3, p 97.

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