Miser sur les sociétés qui fournissent l’énergie et les équipements nécessaires à l’essor de l’IA

Yves Hulmann

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BlackRock est positif pour deux secteurs en Europe: les valeurs financières européennes et les industries liées à la défense et les infrastructures, souligne Tuan Huynh.

 

Début juillet, le BlackRock Investment Institute a publié ses perspectives pour le deuxième semestre sous le titre de «2025 Midyear Global Outlook». Tour d’horizon de ces différentes prévisions avec Tuan Huynh, Chief Investment Strategist pour l’Allemagne, l’Autriche, la Suisse et l’Europe de l’Est auprès du BlackRock Investment Institute.

Une croissance plus lente est attendue pour l'économie américaine au second semestre (+1,6% de croissance du PIB pour l'ensemble de l'année 2025, après +2,8% en 2024, selon les prévisions de l'OCDE). Quel impact cela devrait-il avoir sur les bénéfices des entreprises américaines et quelles sont vos attentes concernant la saison des résultats de fin juin qui vont commencer à être publiés à partir de la mi-juillet? 

Une croissance plus faible de l’économie aura logiquement aussi un impact sur la croissance des bénéfices des entreprises. On peut observer que les attentes du marché pour les bénéfices ont été graduellement révisées à la baisse depuis le début de cette année. Début janvier, l’estimation concernant les bénéfices des entreprises aux Etats-Unis était de +12%. Début avril, elle a été ramenée à +10%. Maintenant, à fin juin, les marchés n’anticipaient plus qu’une hausse des bénéfices de +6%. 

Plusieurs facteurs doivent toutefois être mentionnés à ce sujet. Premièrement, arrive très souvent que les analystes soient très «bullish» en début d’année, puis qu’ils deviennent un peu moins optimistes au fil des trimestres. Ce n’est pas spécifique à 2025. 

Deuxièmement, il arrive aussi souvent que les chiffres effectifs soient meilleurs que ceux qui étaient attendus. Par exemple, lors de la publication des résultats au 1er trimestre, les marchés anticipaient une hausse des bénéfices des entreprises de +8% - en réalité, elle a atteint +14%. 

«Un dollar plus faible sera généralement positif pour les bénéfices des entreprises américaines au deuxième trimestre.»

Troisième aspect dont il faudra tenir compte en rapport avec la publication des résultats au 2ème trimestre: la faiblesse du dollar. Les entreprises américaines bénéficient beaucoup d’un dollar américain plus faible. C’est le cas aussi pour les entreprises actives dans les technologies. 

Si l’on tient compte du fait que le dollar US a perdu 10% de sa valeur en moyenne contre un panier incluant les principales devises et que les grandes entreprises technologiques américaines réalisent 60% de leurs revenus en dehors des Etats-Unis, c’est un facteur positif pour l’évolution des bénéfices. Donc, un dollar plus faible sera généralement positif pour les bénéfices des entreprises américaines au deuxième trimestre.

Selon les dernières statistiques, l'inflation américaine a réaccéléré à 2,3% en mai (indice PCE), après 2,2% en avril. En Europe, à l’inverse, l'inflation ralentit au contraire plus rapidement que prévu: par exemple, l'indice des prix à la consommation en Allemagne a décéléré à 2% en juin, contre 2,2% attendu par le consensus, selon une première estimation publiée lundi. Quelles seront les implications de ce type de divergence de l’inflation entre les États-Unis et la zone euro pour les investisseurs et pour les banques centrales?

Du côté de la Banque centrale européenne (BCE), nous pensons qu’il y a encore un potentiel pour une baisse supplémentaire, qui porterait son taux de dépôt à 1,75%. L’inflation diminue effectivement conformément aux souhaits de la BCE (ndlr: l’inflation a atteint 2% en juin, selon les chiffres d’Eurostat publiés mardi). Aux Etats-Unis, l’inflation est beaucoup plus tenace. Malgré tout, nous anticipons deux baisses de taux de la Fed au cours de 2025. C’est bien sûr beaucoup moins que les 5 à 6 baisses de taux que certains experts attendaient à un certain moment durant la première moitié de 2025.

Les droits de douane pourraient-ils faire dévier la Fed de sa trajectoire?

La Fed va tôt ou tard commencer à abaisser ses taux en cours d’année, indépendamment des annonces qui seront faites au sujet des droits de douane. Si l’on part d’un tarif de base de 10%, auquel s’ajouteront des tarifs de 25% à 50% sur certains produits spécifiques comme l’automobile, l’aluminium ou l’acier, on arrive à un taux effectif moyen de l’ordre de 15%. C’est beaucoup plus qu’auparavant. La question qui se pose est maintenant de savoir qui supportera ces coûts: les entreprises, qui verront leurs marges réduites, ou les consommateurs qui devront mettre la main au portemonnaie? Ou peut-être un mélange des deux. Dans tous les cas, cela réduit la marge de manœuvre laissée à la Fed pour abaisser ces taux plus agressivement.

«Nous anticipons deux baisses de taux de la Fed d’ici la fin de l’année.»

Qu’est-ce qui pourrait alors inciter la Fed à procéder à une première baisse de taux?

L’évolution du marché du travail. Il ne faut pas oublier que la Fed, à la différence d'autres banques centrales, doit non seulement garantir la stabilité des prix mais a aussi pour objectif d’assurer le plein-emploi. Dans l’immédiat, les entreprises américaines ont plutôt une attitude attentiste – elles ne se séparent pas de leurs employés à cause de profits ou de chiffres d’affaires un peu moins élevés – mais s’il y a un ralentissement de la croissance, cela finira par avoir un impact. La Fed va attendre de disposer de 2 ou 3 données allant dans ce sens avant de réduire ses taux. Nous anticipons néanmoins deux baisses de taux d’ici la fin de l’année.

L'un des principaux développements du premier semestre 2025 a été la sortie de capitaux ou la réallocation de capitaux des actions américaines vers les actions européennes. Ce processus d'ajustement est-il désormais achevé - ou devrait-il se poursuivre au même rythme au second semestre? 

La plus grande partie des afflux de fonds vers les actions européennes a eu lieu durant le premier trimestre. Au 2ème trimestre, ces flux vers les actions européennes ont certes continué mais à un rythme moindre. Cette tendance a clairement ralenti entre avril et juin. Nous sommes dès lors très confortables avec notre recommandation tactique de «surpondérer» les actions américaines. «Corporate America» devrait continuer de bénéficier de son exposition au secteur technologique.

BlackRock est «neutre» à l'égard des actions européennes. Dans son commentaire de début juillet, BlackRock indique «ne pas être encore convaincu que les bénéfices européens puissent continuer à surperformer de manière durable, compte tenu des défis concurrentiels auxquels la région est confrontée». Pourquoi votre institut est-il sceptique quant aux perspectives des actions européennes compte tenu de la reprise attendue dans la zone euro, notamment dans le contexte du programme de dépenses majeur (défense, infrastructures) annoncé ce printemps en Allemagne? 

De manière générale, les marchés attendent de voir la mise en œuvre de ces programmes d’investissement. On peut aussi observer que l’Allemagne n’a pas toujours eu le meilleur track record lorsqu’il s’agit de concrétiser la mise en œuvre de programmes d’investissements dans les infrastructures. Même ces programmes se chiffrent en milliards, il faut aussi un certain temps avant que ces montants n’affluent dans l’économie.

«L’Allemagne n’a pas toujours eu le meilleur track record lorsqu’il s’agit de concrétiser la mise en œuvre de programmes d’investissements dans les infrastructures.»

Maintenant, en dépit de notre recommandation à «neutre» concernant l’Europe, nous sommes positifs pour deux secteurs: les valeurs financières européennes, d’une part, et les industries qui tireront parti des dépenses dans la défense et les infrastructures.

Commençons par les valeurs financières européennes.

Les banques européennes tirent parti de taux d’intérêt qui restent positifs et d’une efficience accrue. Le ratio «Price to Book» que vous payez en achetant des valeurs financières européennes reste très inférieur à celui affiché par des instituts américains similaires, et cela malgré le fait que les banques européennes ont rattrapé l’écart avec leurs paires aux Etats-Unis en termes de profitabilité.  

Concernant les programmes d'investissement dans la défense, quelle est votre opinion sur les entreprises européennes actives dans ce secteur: offrent-elles encore un potentiel de hausse ou sont-elles surachetées?

Il faut tout d’abord observer que la défense est une thématique devenue plus habituelle pour les investisseurs. Non seulement d’un point de vue réglementaire - les critères ESG n'excluent plus systématiquement les entreprises actives dans la défense de leur univers – mais aussi en termes de perception. On peut dire qu’il y a eu vraiment un changement qui a eu lieu depuis la guerre en Ukraine il y a trois ans. 
En outre, si les gouvernements européens achetaient des équipements d’armement avant tout aux Etats-Unis auparavant, ils se tournent maintenant vers des entreprises à l’intérieur de la zone euro.

«L’Espagne est fortement présente dans trois secteurs qui figurent parmi nos favoris: les valeurs financières, les services aux collectivités et les infrastructures.»

Le bond affiché cette année par les actions de certaines entreprises actives dans l’armement, notamment en Allemagne, ne signale-t-il pas qu’il y a des excès de valorisation dans ce domaine?

A court terme, il peut y avoir une correction. A plus long terme, nous recommandons d’augmenter l’exposition à ce secteur. Il faut aussi tenir compte d’autres secteurs d’activité, comme les infrastructures, qui profiteront également des dépenses allouées au renforcement de la défense européennes. Il en va de même pour les entreprises actives dans la cybersécurité par exemple. 

Pourquoi l'Espagne est-elle le marché domestique préféré de BlackRock au sein de la zone euro? 

Parce que l’Espagne est fortement présente dans trois secteurs qui figurent parmi nos favoris: les valeurs financières, les services aux collectivités et les infrastructures. Depuis, depuis 2021, la croissance économique de l’Espagne a été deux à trois fois supérieure à celle du reste de la zone euro.

BlackRock surpondère tactiquement les actions américaines, soutenues par des bénéfices solides et la force de l'intelligence artificielle (IA). Concernant les développements en lien avec l'IA, considérée comme un facteur de transformation structurelle, quelle est la meilleure option pour les investisseurs non spécialisés dans ce domaine: miser directement sur des actions liées à l'IA, à l’exemple de Nvidia ou Broadcom, ou investir plus largement dans divers secteurs qui pourraient également bénéficier des développements de l'IA à l'avenir?

C’est un enjeu important pour beaucoup d’investisseurs. En ce qui nous concerne, nous pensons qu’il vaut la peine de s’intéresser en particulier aux entreprises actives dans le secteur de l’énergie qui tireront parti des besoins croissants en électricité liés à l’IA. Pour prendre un exemple cité dans nos prévisions, les dépenses d’investissement consacrées à l’énergie devraient passer de 2,62 trillions de dollars en 2022 à 3,52 trillions de dollars en 2030. Les dépenses d’investissement consacrées à l’IA passeront de 0,15 trillion (150 milliards) en 2022 à 0,60 trillion (600 milliards de dollars) en 2030. A savoir qu’elles seront multipliées par quatre. C’est pourquoi nous pensons qu’il est important de s’intéresser aux entreprises qui fournissent l’énergie et les équipements en infrastructure nécessaires à l’essor de l’IA.

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