Les raisons de notre introduction en bourse en octobre prochain

Emmanuel Garessus

6 minutes de lecture

Julien Baer, CEO du fonds immobilier Comunus, espère atteindre une fortune d’un milliard d’ici la fin 2026. Il souligne l’intérêt d’un dividende élevé et présente ses vues sur le marché.

 

A la tête de la société vaudoise basée sur la Riviera depuis le début de cette année, après avoir été son directeur financier depuis 2021, Julien Baer se prépare à l’introduction du fonds Comunus en bourse suisse cet automne. Avec cette IPO, un processus de transformation s’achève. Après avoir visé une hausse de la valeur ajoutée, le profil du fonds immobilier est maintenant davantage axé sur un dividende élevé et stable. 
Ce fonds centré sur le résidentiel romand est aujourd’hui réservé aux investisseurs qualifiés et, avec son IPO, il fera appel à l’ensemble des investisseurs. La réorientation de Comunus s’est traduite par une nette croissance de la fortune, laquelle est passée de 300 millions de francs en 2021 à presque 800 millions. Julien Baer répond aux questions d’Allnews: 

Pourquoi procédez-vous à l’introduction en bourse de Comunus?

Deux facteurs clés conduisent à cette décision, un facteur de taille que nous voulons augmenter, puisque notre fortune brute atteint un peu moins de 800 millions de francs et notre fortune nette environ 530 millions de francs. Ce facteur intéresse les investisseurs passifs qui cherchent à répliquer l’indice des fonds immobiliers cotés. 

Le deuxième aspect est lié à l’état du marché immobilier. Une IPO n’était pas concevable en 2022 ou 2023 quand l’agio était au plus bas. L’agio moyen est tombé à moins de 10% à ce moment-là. Ce taux moyen était pourtant tiré vers le haut par les fonds les plus anciens. Nous voulions attendre que la fenêtre d’opportunité s’ouvre à nouveau. C’est le cas maintenant avec un agio de 34% en moyenne. Avec la tendance baissière des taux d’intérêt, le marché immobilier devrait soit se stabiliser soit continuer de s’apprécier.

Combien de fonds levez-vous cette année?

En juin, nous avons procédé à une levée de fonds de 57 millions de francs, un montant qui correspond aux immeubles que nous voulons acheter. Il faut savoir que lors d’une augmentation de capital, nous devons préciser le nombre de parts à émettre. Le montant a été largement sursouscrit. Les demandes se sont élevées à 165 millions de francs. 

«Avec la tendance baissière des taux d’intérêt, le marché immobilier devrait soit se stabiliser soit continuer de s’apprécier.»

Nous avons décidé de procéder à l’IPO au début octobre. D’autres objets immobiliers nous intéressent. Nous espérons procéder à des acquisitions à des prix encore favorables. Je pense que cela ne sera plus possible dans six mois. C’est pourquoi, quelques jours avant l’IPO, nous procéderons à une levée de fonds de 50 à 80 millions de francs. 

L’IPO lui-même ne conduit pas à une émission de nouvelles actions. C’est un échange entre acheteurs et vendeurs. 

Vous avez environ 250 millions de dettes. Comment profitez-vous de la baisse des taux d’intérêt?

La baisse du taux Saron réduit les frais financiers. Nous avons profité du mouvement baissier pour fixer notre dette en conservant encore un peu de Saron. Nous acceptons de payer un peu plus, vers 1,2% ou 1,3%, mais avec une durée de 10 ans. Il n’est pas impossible que les taux d’intérêt remontent à l’avenir. Les cycles sont en effet plus rapides qu’avant.

Quel est votre taux d’intérêt moyen?

Il s’élève à 1,17% pour une duration de 4 ans, laquelle correspond à notre objectif et nous permet de garder une certaine stabilité. Comme tous les fonds immobiliers, la dette ne peut pas dépasser 33% du bilan. 

La baisse des taux augmente aussi la valeur des immeubles. Cet ajustement à la hausse profite aux propriétaires mais il complique la tâche d’investisseurs qui veulent grandir et acheter à un bon prix. Si les rendements diminuent de manière trop importante, nous préférons procéder à une pause plutôt que de diluer la rentabilité du fonds. 

Quelle a été l’augmentation de valeur du fonds dans le passé?

Depuis nos débuts il y a 11 ans, nous enregistrons une performance de 133%, ce qui nous compare favorablement à la concurrence. La hausse a été la plus forte lors des années qui ont entouré le covid. Depuis 2022, la valeur a perdu 1% à la suite de la hausse des taux, puis elle s’est stabilisée. Il existe un décalage de 9 à 12 mois entre la baisse de taux et l’évolution de la valeur nette. 

Qu’appelez-vous un achat avec un «bon prix» aujourd’hui?

Nous pensons que nous achetons les derniers immeubles avec un rendement correct. Nous restons attentifs à notre stratégie de dividende élevé. Au minimum, nous achetons un immeuble offrant une rentabilité brute de 4%, mais nous préférons davantage. Lors de la hausse des taux de 2023, nous trouvions des objets à 4,5% de rendement à Lausanne, voire davantage. Il est descendu à 4% l’an dernier et même entre 3,5 et 3,7% au centre de Lausanne. Pour nous, c’est trop cher. 

Investissez-vous en périphérie?

Effectivement, mais nous prenons garde à la micro-localisation. Je pense par exemple à Yverdon, Fribourg ou Neuchâtel. Notre ADN est d’être proche de l’arc lémanique. Nous avons acheté une quinzaine d’immeubles dans cette région avant la baisse des taux. 

Allez-vous accumuler le cash?

Non, nous mettrons plutôt un terme aux augmentations de capital et nous travaillerons notre parc. Pour des raisons fiscales et pour ne pas pénaliser notre rendement, nous ne pouvons pas garder beaucoup de cash.

Êtes-vous satisfait par le rendement actuel de votre dividende?

Le rendement de notre dividende est plutôt élevé par rapport aux autres acteurs. C’est l’une de nos principales forces. Il atteint 3,4% alors qu’en général il est proche de 2,5% pour les fonds résidentiels romands. Ce taux est d’ailleurs défiscalisé, ce qui plaît aux investisseurs puisque cela reviendrait à un rendement proche de 6% pour un dividende fiscalisé.

Le rendement du dividende de 3,4% n’est pas imposé. Dans le cas d’un fonds d’investissement immobilier suisse, l’investisseur privé ou institutionnel n’est taxé ni sur la fortune ni sur le dividende. 

Le rendement des fonds propres a été légèrement inférieur ces dernières années suite à la hausse des taux. Nous avons surtout porté notre attention sur le rendement du dividende en stabilisant la valeur intrinsèque. L’évaluation de nos immeubles s’est avérée plus conservatrice et prudente, par exemple à travers les provisions pour les travaux. Le rendement du dividende est ainsi plus haut mais le rendement des fonds propres est plus bas en réponse à la stabilité de la valeur des immeubles.

L’investisseur n’apprécie-t-il pas une hausse de la valeur intrinsèque (NAV) de son fonds?

L’investisseur privé est intéressé par la hausse de la NAV, alors que l’institutionnel est davantage attiré par le dividende. Comme nous voulions élargir notre base d’investisseurs, le dividende a joué le rôle de produit d’appel. Par ailleurs, une NAV réduite rend meilleur marché l’entrée dans notre fonds.

Vous aviez réduit le dividende durant le covid. Est-ce que ce rendement de 3,4% risque d’être à nouveau diminué?

Jusqu’en 2023, le dividende était volatile mais la performance très élevée pour répondre à la présence significative des investisseurs privés. 
Nous étions dans une période de fort développement. Certaines années, nous obtenions le permis de construire et procédions à la construction si bien que la valeur s’appréciait nettement. Par contre le dividende restait bas. Il remontait après la vente d’immeubles. Cette volatilité déplaisait aux institutionnels. En 2023, nous avons fixé le dividende à 6 francs, portant le rendement à 3,4%. Nous considérons ce taux de rendement comme un minimum. Il dépasse la moyenne du marché. 

«Nous avons profité du mouvement baissier pour fixer notre dette en conservant encore un peu de Saron.»

Avec ce dividende de 6 francs, nous redistribuons 95 à 100% du bénéfice enregistré. L’exercice 2022 a fait un peu exception, en raison d’une vente exceptionnellement favorable. Nous avions 18 francs de bénéfice par action et n’en avons distribué que 6 francs. Les 12 francs non-distribués appartiennent à nos réserves et seront utilisés en cas de besoin, lors d’une éventuelle mauvaise année. Pour cette raison, le dividende de 6 francs est garanti de longues années.

Quels sont vos principaux actionnaires?

La répartition est bien diversifiée. Aucun actionnaire ne dépasse 10% du capital. La composition est bien répartie entre les institutionnels, zurichois et romands, et des banques, pour le compte de leurs clients.

Après l’IPO, allez-vous davantage informer pour soutenir la liquidité?

Sans doute. Nous publions déjà un rapport semestriel, mais nous communiquerons davantage.

Avec la remontée des agios, le marché immobilier résidentiel a-t-il atteint un sommet?

C’est un constat qui vaut pour les fonds au bénéfice d’un agio de 30%, mais le nôtre est de 0% puisque le titre se traite à la VNI. Nous avons donc un potentiel de hausse. L’investisseur qui n’a pas encore découvert Comunus ne peut en ressortir que gagnant. L’agio des grands fonds immobiliers qui existent depuis des décennies dépasse parfois 50%. Celui des autres fonds romands d’une taille similaire à la nôtre se situent entre 15 et 30%. Ce niveau nous paraît être un objectif raisonnable.

Quelle sera l’étape suivante?

L’IPO devrait élargir la base d’investisseurs puisqu’aujourd’hui le fonds n’est accessible qu’aux investisseurs qualifiés. Cela nous permettra de continuer à lever des fonds et grandir. Nous aimerions franchir la barre du milliard de francs de fortune, probablement à la fin 2026. 

Nous ne voulons pas une croissance à tout prix mais si les opportunités se présentent nous les saisirons. La croissance conduit à des économies d’échelle et à une meilleure liquidité. 

Ne craignez-vous pas les interventions politiques et les tentatives de contrôle des loyers?

Le risque est essentiellement politique. Centrés sur l’arc lémanique, nous avons les réglementations les plus drastiques du pays, à part à Bâle. Nous sommes donc confrontés à ces contraintes depuis fort longtemps. Dans un cadre interventionniste, nous serons donc moins péjorés que les alémaniques, lesquels sont accoutumés à la liberté du marché. 

Par contre, je ne perçois pas de risque d’un affaiblissement de la demande ces 10 à 15 prochaines années. 

Quels types de logements achetez-vous?

Nous voulons réduire les risques. Nous préférons acheter des immeubles anciens au bénéfice de loyers bas, c’est-à-dire entre 30 et 50% en dessous de la moyenne: Par exemple 800 francs pour un 3 pièces au centre de Lausanne. Il en existe encore. Avec ce type d’appartements, le loyer augmentera sans aucun doute, malgré les contraintes réglementaires. Les investissements que nous devrons entreprendre seront compensés par les hausses de loyers. 

En moyenne, notre portefeuille porte sur des loyers d’environ 200 francs le m2 par année, ce qui est inférieur à la moyenne suisse (245 francs) et bien sûr à la moyenne lémanique (350 francs).

En revanche, il est très risqué d’acheter des immeubles au prix du marché aujourd’hui, sachant qu’il faudra procéder à des investissements. 

Avec des loyers bon marché, avez-vous un parc immobilier durable?

Comme nous achetons en partie des «passoires énergétiques», notre parc n’est pas écologique. Par contre, notre démarche est durable. Nous achetons des objets peu recherchés et investissons dans des rénovations. 

Quel sera l’impact de taux négatifs en Suisse sur les fonds immobiliers?

L’impact est double. Les investisseurs sont davantage attirés par les investissements dans l’immobilier résidentiel, dans le contexte du taux de vacance extrêmement bas. A l’inverse, les prix de l’immobilier augmentent et les caisses de pension et les assurances sont à nouveau plus actives. Elles étaient plus réservées depuis 2022, mais elles investissent davantage et à des rendements parfois de 2,5 à 3%, des niveaux face auxquels nous ne pouvons ni ne voulons rivaliser. 

Comment jugez-vous les performances des fonds immobiliers ces dernières années?

Ces cinq dernières années, l’effet taille a joué un grand rôle. Il est devenu très difficile de lancer un nouveau fonds immobilier, à l’exception de niches très précises. L’intérêt démarre à partir de 500 millions de francs. 

Nous avons toutefois l’avantage, par rapport aux très grands fonds, d’être plus flexibles et de pouvoir présenter un bon potentiel. Un gain de 10 millions sur la vente d’un immeuble n’est guère perceptible sur le dividende d’un fonds de 5 milliards.

L’allocation des investissements est un autre facteur important. Le secteur commercial est confronté à plus de difficultés. Certains fonds commerciaux présentent même un disagio. Nous avons un peu d’immobilier commercial, mais à des fins opportunistes, soit pour le transformer en résidentiel, soit à travers le foncier d’écoles privées situées au bord du lac. 

A lire aussi...