Coinbase au S&P 500: un tournant stratégique

Gérard Reber

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«Cette actualité envoie un message clair: les infrastructures crypto ne sont plus en marge et s’inscrivent dans l’économie financière», explique Sheraz Ahmed de Storm Partners.

Il y a quelques semaines, à la veille de l’entrée officielle de Coinbase dans le S&P 500, plusieurs experts financiers qualifiaient déjà cet événement de tournant historique pour l’univers des cryptomonnaies. «En les propulsant au cœur de l’investissement institutionnel traditionnel, cette inclusion massive expose désormais entre 70 et 150 millions d’investisseurs dans le monde aux cryptoactifs, souvent sans même qu’ils en aient pleinement conscience», expliquait alors John Plassard dans une lettre rédigée alors pour la Banque Mirabaud.

Après les ETF adossés au bitcoin, puis ceux liés à l’ether (issu de la blockchain Ethereum), cette nouvelle reconnaissance contribue effectivement à faire des cryptos des actifs «comme les autres», intégrés aux standards de la finance américaine traditionnelle. Mais ce glissement ne remet-il pas en cause l’essence même de ces technologies, nées en rupture avec le système financier établi?

Quelle place les régulateurs accorderont-ils à ces nouveaux acteurs, aux frontières toujours floues et aux pratiques parfois douteuses (à l’instar des revenus controversés du président Trump depuis le lancement du token TRUMP)? Et surtout, alors que Coinbase se retrouve désormais indirectement présent dans les portefeuilles d’épargne retraite via les fonds indiciels – y compris ceux détenus par des caisses de pension –, que signifie l’entrée d’un secteur aussi volatil dans des instruments censés offrir stabilité et sécurité à long terme?

On en parle avec Sheraz Ahmed, associé gérant de Storm Partners, un cabinet de conseil spécialisé dans la blockchain, et fondateur du centre d’innovation Decentral House à Genève. Entretien.

Comment avez-vous accueilli l’entrée de Coinbase au S&P 500? Est-ce vraiment «une révolution» comme l’ont exprimé certains analystes financiers?

C’est avant tout un moment symbolique, plus que structurel. Mais il marque une reconnaissance de premier plan. L’intégration de Coinbase dans le S&P 500 envoie un message clair: les infrastructures crypto ne sont plus en marge, elles s’inscrivent désormais pleinement dans l’économie financière mondiale. Ce n’est peut-être pas une révolution à proprement parler, mais c’est indéniablement un tournant stratégique. Il renforce d’ailleurs considérablement la crédibilité du secteur aux yeux des investisseurs institutionnels.

«La finance traditionnelle finit toujours par adopter les outils qu’elle ne peut plus ignorer.»

Après les ETF sur le bitcoin, cette actualité semble marquer une nouvelle étape dans la démocratisation des cryptos… mais cela ne trahit-il pas l’esprit originel d’une monnaie pensée pour échapper au système?

C’est une question pertinente — et un débat aussi ancien que le bitcoin lui-même. Je pense qu’il faut distinguer l’outil de l’intention. Oui, le bitcoin est né comme une alternative hors-système. Mais la finance traditionnelle finit toujours par adopter les outils qu’elle ne peut plus ignorer. Ce n’est pas une trahison du mouvement crypto, c’est une mutation. Il est parfois nécessaire de s’intégrer dans le système pour mieux le transformer de l’intérieur.

Désormais, indirectement certes, nous sommes tous investis dans les cryptos… N’est-ce pas un énorme pied de nez à tous ceux qui les ont longtemps dénigrées?

D’une certaine manière, oui — et l’ironie est mordante. De nombreuses institutions jadis critiques à l’égard des cryptos se retrouvent aujourd’hui exposées, parfois malgré elles, via des ETF ou des indices élargis comme le S&P 500. Mais au fond, c’est aussi une validation : le marché choisit l’efficacité, pas l’idéologie. Les actifs numériques, eux, ont prouvé qu’ils étaient désormais incontournables dans l’économie du XXIe siècle.

L’un des risques ne se situe-t-il pas sur le plan de la régulation, un mot que l’industrie crypto semble parfois vouloir rayer du vocabulaire?

L’industrie ne rejette pas la régulation en tant que telle. Ce qu’elle refuse, ce sont les incertitudes juridiques et les approches punitives qui freinent l’innovation. Une régulation intelligente — celle qui protège les consommateurs sans étouffer la technologie — est non seulement bienvenue, mais nécessaire. Et on commence à en voir les prémices, notamment en Europe avec la régulation MiCA (acronyme de Markets in Crypto-Assets, soit le premier cadre réglementaire européen complet dédié aux crypto-actifs).

Comprenez-vous ceux qui s’inquiètent de la toujours très forte volatilité des cryptos et des conséquences potentielles pour les caisses de pension, désormais exposées indirectement à ce marché?

Absolument. La volatilité reste un facteur de risque majeur. Mais il faut en relativiser l’exposition. Il ne faut pas croire que les caisses de pension vont allouer 10% de leur portefeuille en crypto-actifs du jour au lendemain. Il s’agit d’expositions marginales, indirectes, via des indices ou des ETF. D’ailleurs, on pourrait tenir le même discours à propos de certaines valeurs technologiques ou des obligations à haut rendement. L’essentiel reste la diversification des portefeuilles et une gestion prudente du risque.

«La valorisation actuelle de Coinbase traduit un optimisme manifeste — mais en partie fondé.»

Dans quelle mesure peut-on attribuer la récente flambée du bitcoin à l’entrée de Coinbase dans le S&P 500?

C’est un facteur parmi d’autres, mais ce n’est probablement pas le principal moteur de cette hausse. L’entrée de Coinbase dans le S&P 500 renforce la perception que le marché crypto se normalise, et cela peut jouer un rôle psychologique. Mais la dynamique actuelle du bitcoin est surtout portée par les flux vers les ETF, les anticipations d’une baisse des taux d’intérêt aux Etats-Unis, et un contexte macroéconomique permettant de revaloriser les actifs alternatifs.

L’ether a, par contre, peu réagi… Pourquoi la deuxième cryptomonnaie mondiale peine-t-elle toujours à décoller?

Ethereum et Bitcoin ne jouent pas dans la même cour — et c’est justement ce que le marché a parfois du mal à intégrer. Bitcoin est désormais perçu comme une réserve de valeur, presque une version numérique de l’or. Ethereum, lui, est une plateforme d’exécution: un réseau pour construire des applications décentralisées, des smart contracts, et des solutions de tokenisation. Son usage est structurellement plus complexe, et donc plus difficile à intégrer dans une narration simple, ce que recherchent souvent les marchés.

Pourtant, les ETF sur l’Ether sont bien là — et leur adoption constitue un signal positif. Il faudra sans doute encore un cycle de maturité pour que le grand public mesure pleinement l’utilité d’Ethereum, au-delà du seul prix du token.

Que pensez-vous de la valorisation actuelle de Coinbase?

La valorisation actuelle de Coinbase traduit un optimisme manifeste — mais en partie fondé. Avec le succès des ETF sur le bitcoin, la cotation réussie de Circle et le retour des flux institutionnels, Coinbase se positionne plus que jamais comme un acteur central de l’infrastructure crypto mondiale. Sa solidité réglementaire, sa diversification (garde d’actifs, Base, staking, etc.) et son lien stratégique avec l’USDC lui confèrent un avantage concurrentiel difficile à reproduire.

Est-ce une valorisation excessive? Peut-être, à court terme. Mais dans une logique long terme, pour quelqu’un qui parie sur la montée en puissance des rails crypto dans la finance traditionnelle, Coinbase reste un proxy stratégique incontournable.

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