La Switch 2 pourrait relancer un secteur en stagnation

Gérard Reber

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Avec plus de 2 millions de précommandes, la console de Nintendo bat tous les records. Un signal positif pour tout le secteur à en croire Brice Mari, portfolio manager de Synapse Invest.

Avec désormais plus de deux milliards de clients potentiels, le secteur du jeu vidéo a connu un essor phénoménal au cours de la dernière décennie. Après une phase euphorique pendant la période du Covid, l’industrie a connu un retour à la normale difficile, contraignant la plupart des acteurs à engager des réductions de coûts. Cette panne de croissance n’est-elle que temporaire ou reflète-t-elle un marché arrivé à saturation? Les premiers signaux venus du Japon, avec la présentation de la Switch 2 par Nintendo, laissent penser le contraire. Non, le secteur n’a pas encore dit son dernier mot et entend bien continuer à séduire toujours plus de joueurs. On en parle avec Brice Mari, portfolio manager de Synapse Invest à Genève.

L’arrivée de la Switch 2 est perçu par le secteur du jeu vidéo comme l’espoir d’un retour aux affaires après une année 2024 difficile. Nintendo parviendra-t-il à relancer une industrie qui peine à se remettre de l’après-Covid?

La génération actuelle de consoles arrive en fin de cycle, ce qui se traduit généralement par un ralentissement de la consommation de jeux. Un cycle dure environ sept ans; or, la première Switch a déjà huit ans, tandis que la PS5 et la Xbox Series en ont cinq. L’industrie du jeu vidéo a donc besoin de renouveau.

Le lancement d’un nouveau cycle de consoles s’accompagne généralement d’une hausse de la demande, les joueurs cherchant à exploiter les capacités de leur nouvelle machine en achetant davantage de titres. Dans cet environnement porteur, les éditeurs en profitent pour lancer de grosses productions.

«Nintendo se traite avec un PE compris entre 27 et 30 fois les bénéfices attendus sur les deux prochaines années.»

La Switch 2 prend ainsi le relais d’une console qui a été l’un des principaux moteurs de l’industrie ces dernières années, avec près de 150 millions d’unités vendues. Très attendue, elle pourrait donner un coup de fouet aux ventes de jeux en cas de succès.

Outre la sortie prévue en juin de la Switch 2, les premières rumeurs sur les prochaines générations de PlayStation et de Xbox commencent également à circuler. Sur PC, enfin, les dernières cartes graphiques de Nvidia ont connu un gros démarrage.

Sur un plan boursier, est-ce le moment de s’intéresser au géant japonais?

Au Japon, les précommandes pour la Switch 2 atteignent des records — plus de deux millions d’unités — et il sera probablement très difficile de s’en procurer une dans les mois suivant sa sortie. Aux Etats-Unis et en Europe, nous n’avons pas les chiffres des précommandes, mais la console est déjà en rupture de stock chez tous les détaillants. Les gamers sont donc visiblement au rendez-vous, malgré des prix élevés pour cette nouvelle génération (450 dollars aux Etats-Unis, 450 euros en Europe), ce qui constitue un signal très positif.

La dynamique s’annonce très favorable pour Nintendo. Après plusieurs trimestres marqués par des révisions à la baisse de ses prévisions, en lien avec la fin de cycle de la première Switch, les prochains résultats devraient progressivement s’améliorer et surprendre positivement. Le lancement de la Switch 2 devrait en effet s’accompagner d’un rebond des ventes, notamment des titres internes tels que Mario Kart ou Donkey Kong, souvent à plus fortes marges que les jeux développés par des studios tiers.

Les yeux seront avant tout rivés sur les ventes de la console, pour jauger si cette nouvelle génération sera capable de faire aussi bien ou mieux que l’ancienne, et ainsi donner confiance dans les ventes futures de jeux.

Nintendo se traite avec un PE compris entre 27 et 30 fois les bénéfices attendus sur les deux prochaines années. Un niveau qui n’apparaît pas excessif pour un début de cycle, sachant que l’essentiel des profits sera généré dans les années suivantes, avec une diminution mécanique du multiple de valorisation.

On pensait le format console condamné, et pourtant la Switch 2 arrive, tandis que les rumeurs autour de la prochaine PlayStation se multiplient…

Le cloud gaming était censé transformer les consoles de salon en objets de collection, la puissance de calcul dans le cloud dispensant les joueurs d’avoir une console ou un PC très performant à la maison. Les géants de la technologie et des médias (Google, Amazon, Netflix) y ont vu une opportunité de disrupter le marché du jeu vidéo et se sont engouffrés dans la brèche.

Même si le cloud gaming fonctionne, il doit faire face à des limitations techniques, notamment la latence qui peut être préjudiciable dans les jeux d’action.

«Le secteur est toujours en croissance, mais il a clairement atteint une certaine maturité dans la mesure où certains de ses moteurs - les jeux mobiles en particulier - n’ont plus la même énergie.»

Par ailleurs, l’absence d’exclusivités marquantes n’a pas permis aux plateformes de cloud gaming de convaincre les joueurs d’abandonner leurs systèmes préférés (Switch, PS5, etc.). Entre la fermeture de Stadia par Google et les efforts timides d’Amazon ou de Netflix, le cloud gaming ne semble pas constituer une menace sérieuse à court terme pour les consoles.

Les casques de réalité virtuelle étaient eux aussi présentés comme une piste d’avenir pour l’industrie du jeu vidéo. Pourtant, Meta vient d’annoncer le licenciement de 100 personnes supplémentaires au sein de sa division Oculus… Une autre fausse piste?

Depuis près d’une décennie, le secteur commercialise de façon sérieuse des jeux en réalité virtuelle, avec notamment le lancement du premier casque VR sur PS4 dès 2016 — sans même remonter jusqu’au Virtual Boy de Nintendo dans les années 1990. Le constat est sans appel: la technologie ne décolle pas auprès des consommateurs, probablement liée au caractère encombrant ou peu ergonomique des casques et à la difficulté de les porter pendant plus de quelques dizaines de minutes. Je pense qu’il faut donc considérer les casques VR comme une première étape, en attendant l’arrivée de dispositifs plus légers et plus pratiques, tels que les lunettes à réalité augmentée — plus facilement portables —, ou encore le développement du spatial computing.

Avec plus de deux milliards de joueurs dans le monde, le secteur du jeu vidéo a-t-il encore un réel potentiel de croissance, ou est-il désormais entré dans une phase de maturité et de stabilisation?

Tout d’abord, la population de joueurs continue d’augmenter chaque année. De nouvelles générations adoptent le jeu vidéo, tandis que les plus anciennes prolongent leur pratique jusqu’à des âges avancés. Ensuite, cette industrie demeure un terrain d’innovation incroyable. Outre la réalité virtuelle évoquée plus tôt, on peut citer la réalité augmentée, l’intelligence artificielle, les NFT ou encore les modèles play-to-earn. Certes, toutes ces innovations n’ont pas eu les résultats escomptés, mais elles permettent au jeu vidéo de rester jeune et de continuer à progresser. Il s’agit donc toujours d’un secteur en croissance, mais qui a clairement atteint une certaine maturité dans la mesure où certains de ses moteurs - les jeux mobiles en particulier - n’ont plus la même énergie.

Qu’est-ce qui pourrait relancer la croissance de l’industrie du jeu vidéo?

L’intelligence artificielle s’impose sans surprise comme un levier majeur. D’un côté, elle peut rendre les jeux plus immersifs en les personnalisant aux goûts de chacun, ce qui pourrait augmenter le temps passé en jeu, et donc la monétisation. De l’autre, elle promet de réduire drastiquement les coûts et les délais de développement, notamment avec l’émergence des premiers modèles de génération de jeux à partir de texte (text-to-video game).

Une autre source de croissance à court terme pourrait venir de l’augmentation du prix des jeux. Nintendo a annoncé une hausse significative des tarifs sur la Switch 2, avec des titres allant de 70 à 90 dollars, contre 60 dollars auparavant sur Switch 1. Microsoft a rapidement emboîté le pas en relevant également les prix de ses jeux Xbox. Ces initiatives pourraient encourager l’ensemble du secteur à assumer plus ouvertement des hausses tarifaires.

Par ailleurs, de nouvelles sources de revenus commencent à émerger. Roblox est en train de tester l’intégration de publicité sur sa plateforme, ce qui pourrait donner des idées à d’autres éditeurs dont les franchises comptent des dizaines de millions de joueurs. Enfin, le succès au box-office des films Minecraft et Super Mario — après de nombreux échecs dans le passé — pourrait raviver l’intérêt des studios pour la monétisation de leur propriété intellectuelle à travers le cinéma ou le streaming.

«Les acteurs chinois sont en train de sortir de leur période difficile et le marché local du jeu vidéo est en plein redémarrage, ce qui en fait donc des opportunités d’investissement intéressantes.»

Le problème actuel de l’industrie du jeu vidéo serait-il lié à son abondance? Autrement dit, l’offre est-elle aujourd’hui trop importante par rapport à la demande — et surtout au temps disponible des joueurs?

L’offre est depuis longtemps pléthorique dans presque tous les segments du jeu vidéo (jeux casual, jeux de tirs à la première personne, aventure, sports…) et les quelques opérations de consolidation ou mesures de rationalisation (fermeture de studios, annulation de titres) n’ont pas beaucoup changé cela. En même temps, le jeu doit rivaliser avec le temps disponible des gamers avec les réseaux sociaux et le streaming. TikTok, YouTube ou Netflix sont des concurrents sérieux.

L’accord récent entre Tencent et Ubisoft remet en lumière la montée en puissance des acteurs chinois dans l’industrie du jeu vidéo. Les meilleures opportunités d’investissement se situent-elles désormais en Chine — ou, plus largement, en Asie, avec le Japon et la Corée?

Les acteurs chinois ont traversé une période difficile, marquée par un durcissement réglementaire de la part du gouvernement, notamment à travers des mesures visant à limiter le temps de jeu des enfants. Ils sont en train de sortir de cette phase et le marché local du jeu vidéo est en plein redémarrage, ce qui en fait donc des opportunités d’investissement intéressantes. Ils commencent également à se montrer plus actifs sur le marché international (au-delà de leurs simples participations financières) comme en témoigne le récent succès de Black Myth Wukong. L’exportation de certaines de leurs franchises pourrait ainsi leur amener un supplément de croissance.

Les éditeurs japonais devraient, quant à eux, bénéficier pleinement de leur proximité stratégique avec Nintendo pour tirer parti de la dynamique autour de la Switch 2. D’ailleurs, les titres japonais dominent largement le catalogue de jeux prévu au lancement de la console en juin.

Du côté occidental, Ubisoft traverse une période difficile — entraînant avec lui une partie de l’industrie européenne, malgré le succès prometteur de Sandfall Interactive, le studio à l’origine d’Expedition 33. Aux Etats-Unis, en revanche, certains poids lourds du secteur affichent une bonne santé en bourse: c’est le cas d’EA Games, mais aussi d’Amazon ou de Microsoft, qui poursuivent leurs investissements massifs dans le jeu vidéo. Quelles opportunités d’investissement peut-on y déceler?

Au-delà des acteurs chinois et japonais évoqués précédemment, Take-Two apparaît comme une valeur à surveiller, à environ un an de la sortie de GTA 6, qui devrait battre tous les records sur consoles. Bien que son succès soit en grande partie déjà intégré dans les cours, l’éditeur pourrait encore surprendre, notamment via sa politique tarifaire ou l’offre de contenus additionnels en ligne. Dans tous les cas, GTA 6 devrait offrir à Take-Two une visibilité exceptionnelle sur plusieurs années.

Après leur passage à vide post-Covid, les univers virtuels du type Roblox, Free Fire (de Sea Ltd.) ou PUBG (de Krafton) retrouvent une dynamique impressionnante et sont donc intéressants, d’autant que leur dimension sociale (organisation d’évènements comme des concerts) et leur forte audience leur ouvrent des perspectives intéressantes en matière de monétisation.

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