Nous avons précédemment abordé comment les investisseurs institutionnels se lancent dans le Private Equity, en investissant via des fonds de fonds ou, pour ceux qui en ont les moyens, en recrutant une équipe d’investissement pour se bâtir leur propre portefeuille de fonds de Private Equity. Abordons désormais la stratégie des investisseurs institutionnels les plus sophistiqués, ceux qui ont typiquement le plus de moyens financiers et donc aussi le plus de ressources humaines au sein de leurs équipes d’investissement. Comme les autres institutionnels, ils se bâtissent un portefeuille de fonds, mais ils ont en plus la particularité d’avoir un programme de co-investissements.
Qu’est-ce que le co-investissement?
Le co-investissement consiste à investir dans une entreprise aux côtés d’un gérant de fonds. Prenons l’exemple d’un gérant qui a un fonds d’une taille de 100 millions de dollars. Pour limiter son risque, il ne veut pas investir plus de 10% de son fonds, donc pas plus de 10 millions dans une seule société. Il a l’opportunité d’acquérir une société mais pour en avoir le contrôle, il lui faut investir 12 millions – donc 2 millions de plus que le montant maximum qu’il s’autorise à investir avec son fonds. Une solution pour lui consiste à offrir à certains de ses investisseurs l’opportunité de co-investir 2 millions à ses côtés dans cette société.
Quel est l’intérêt pour ces investisseurs de co-investir aux côtés du gérant dans cette société?
Les co-investissements sont le plus souvent offerts aux investisseurs sans frais de gestion ni commission de performance (appelée carried interest en Private Equity). Le potentiel de performance d’un co-investissement est donc supérieur au potentiel de retour d’un investissement dans un fonds. Mais c’est évidemment plus risqué: avec un co-investissement, l’investisseur n’est exposé qu’à une seule société alors qu’avec un fonds, il sera investi dans plusieurs sociétés.
Mais certains gérants n’offrent pas de co-investissements. Or, pour co-investir, il faut avoir un dealflow, il faut être déjà investisseur dans des fonds de private equity qui offrent du co-investissement. Certains institutionnels qui veulent fortement s’exposer au co-investissement ne vont investir que dans des fonds qui offrent du co-investissement. Mais la plupart des institutionnels qui co-investissent ne feront pas de l’accès au co-investissement leur critère clé de sélection de fonds. Ils vont plutôt chercher à investir dans les fonds des meilleurs gérants en s’assurant qu’une part suffisante de leurs gérants offre du co-investissement pour se bâtir un dealflow.
Une fois que l’investisseur institutionnel s’est bâti un dealflow de co-investissements, sa stratégie de sélection va dépendre de son degré de sophistication. Certains investisseurs ont pour stratégie de co-investir dans toutes les opportunités que leur présentent leurs gérants en portefeuille car ils ont déjà validé la qualité des gérants quand ils ont investi dans leurs fonds. Pour les autres, qui veulent vraiment analyser et donc sélectionner eux-mêmes les co-investissements, il leur faut disposer des compétences en interne pour être capable d’analyser rapidement une opportunité de co-investissement. Lorsque l’on investit dans un fonds de Private Equity, on a souvent quelques mois pour le faire. Lorsqu’une opportunité de co-investissement se présente on a souvent que 2-3 semaines pour pouvoir donner sa réponse au gérant. Il faut donc non seulement avoir les compétences mais aussi être capable de travailler vite.
Est-ce que les investisseurs institutionnels co-investissent uniquement aux côtés de fonds dans lesquels ils sont investisseurs?
Oui, quasiment tout le temps, dans la mesure où co-investir aux côtés d’un gérant que l’on ne connait pas est très risqué car l’investisseur a très peu de temps pour analyser le co-investissement, et par ailleurs, c’est le gérant qui contrôle l’investissement – le co-investisseur ne siège quasiment jamais au conseil d’administration de la société, son capital est représenté au conseil d’administration par le gérant aux côtés duquel il co-investit. Il est donc essentiel pour le co-investisseur d’être convaincu de la qualité du gérant.
L’institutionnel va devoir réaliser des due diligences pour analyser un co-investissement.
Dans un premier temps, il va analyser le track record du gérant dans le secteur ou même le sous-secteur de la société dans laquelle on lui propose de co-investir pour répondre à la question: est-ce un secteur ou sous-secteur de forte expertise du gérant? Si le gérant a un mauvais track record, un taux de perte élevé dans ce secteur, l’investisseur n’aura probablement pas envie de co-investir avec lui dans ce secteur.
Ensuite, l’investisseur va analyser le track record individuel du partner en charge de l’investissement pour répondre à la question: est-ce que je co-investis avec l’un des meilleurs investisseurs de la firme? C’est très important car des analyses académiques ont démontré qu’il y a une forte corrélation entre la performance d’un deal et le track record du partner en charge de l’investissement, une plus forte corrélation qu’avec le track record global du gérant du fonds qui investit.
Si l’investisseur institutionnel conclut que cette opportunité de co-investissement est aux côtés d’un des tout meilleurs partners, dans un secteur de forte expertise du gérant, alors l’étape suivante est l’analyse de la société elle-même.
La suite des due diligences dépendra ensuite du degré de sophistication de l’investisseur institutionnel. Certains co-investisseurs vont, par exemple, valider que le prix d’entrée n’est pas trop élevé, que la société a une activité résiliente, qu’elle a bien résisté aux crises économiques passées et ça sera suffisant: je co-investis aux côtés d’un gérant que j’ai déjà validé, dans un de ses secteurs de plus forte expertise, aux côtés d’un des meilleurs investisseurs de la firme, dans une société résiliente, à un prix juste ou attractif.
Mais les investisseurs institutionnels les plus sophistiqués vont faire des due diligences plus poussées.
Ils n’ont pas beaucoup de temps mais les co-investisseurs ont accès à toutes les due diligences réalisées par le gérant: le mémo d’investissement, le modèle LBO, les rapports de due diligence stratégique, financière, juridique, etc. Le co-investisseur peut lire tous les documents. Pour la plupart des co-investisseurs, cela est suffisant, mais d’autres réalisent leurs propres due diligences en se concentrant sur 3-4 points clés. Certains vont par exemple mandater un cabinet de conseil en stratégie pour challenger les due diligences déjà réalisées sur 1 ou 2 points précis.
Les investisseurs institutionnels les plus sophistiquées ont-ils des compétences d’investisseur direct, de gérant de fonds?
Certains fonds de pension ou fonds souverains gigantesques, comme on en trouve notamment au Canada, en Asie ou au Moyen-Orient, ont des équipes d’investissement en direct. Mais les investisseurs institutionnels qui disposent de professionnels d’investissement expérimentés dans l’investissement direct - anciennement gérants de fonds direct par exemple – sont extrêmement rares. Il s’agit pourtant d’un atout exceptionnel pour un fonds de fonds par exemple qui fait du co-investissement.
Lire le premier épisode: Private Equity: comment les investisseurs institutionnels bâtissent leur portefeuille?