L’illusion du pessimisme

Charlie Carré, CBH Compagnie Bancaire Helvétique (CBH)

2 minutes de lecture

La confiance vacille sous l’effet Trump, mais la consommation, elle, pourrait bien tenir bon. A condition que l’emploi résiste.

© Pascal Bitz

 

Tarifs douaniers: un catalyseur inflationniste qui inquiète

Le retour de Donald Trump à la Maison Blanche ébranle les certitudes autour de l’exceptionnalisme américain. Depuis la pandémie, l’économie des États-Unis n’a cessé de surprendre et de distancer les autres économies avancées: croissance de la productivité, investissements – notamment en propriété intellectuelle – et surtout vigueur de la demande des ménages expliquent cette performance.

Mais depuis l’investiture du 47e président des Etats-Unis, la confiance des consommateurs américains s’est effondrée. En dépit de la bonne tenue du marché travail, ils craignent de perdre leur emploi. Et surtout, ils anticipent désormais une envolée de l’inflation, bien au-delà de ce qu’ils ont pu redouter au plus fort de la crise inflationniste de 2022. En cause: la politique commerciale de l’administration Trump. Si les droits de douane ont toujours occupé une place centrale dans sa rhétorique, le président va aujourd’hui au-delà de ses promesses de campagne, alimentant l’incertitude par un discours à la fois belliqueux et erratique. Dans un tel environnement, marqué par l’imprévisibilité, l’attentisme gagne du terrain.


Le lien entre sentiment et consommation s’est distendu 

Cette nouvelle détérioration du moral des ménages s’inscrit dans une morosité persistante depuis 2020. Pandémie et crise inflationniste ont eu raison de l’optimisme des consommateurs américains. Pourtant, le chômage est faible, l’inflation a perdu en vigueur et les revenus réels progressent depuis mi-2022. Dit autrement, l’économie réelle se porte bien et les fondamentaux de la demande des ménages demeurent solides. Leur vigueur en témoigne et illustre l’affaiblissement du lien entre moral et consommation. Les enquêtes de sentiment ont ainsi perdu une partie de leur pouvoir prédictif. 

Ce fossé entre réalité économique et perception a également trouvé une traduction politique. En dépit d’un contexte économique porteur, le sentiment d’insécurité économique exprimé par une partie de l’électorat a nourri un mécontentement dont a bénéficié Donald Trump lors du scrutin de novembre 2024.


Le retour de l’inflation a brouillé les capteurs des consommateurs 

L’envolée des prix en 2022 a perturbé la perception des ménages, peu habitués à ce type de choc. Les dernières vagues inflationnistes remontaient aux années 1980. Certes, les prix avaient connu une certaine tension à la veille de la crise financière de 2008, mais sans commune mesure avec le pic de 8,6% enregistré en avril 2022.

Plusieurs travaux menés par la Réserve fédérale1 ont mis en évidence une tendance des consommateurs à surestimer le niveau d’inflation. Cette perception exagérée est fortement corrélée à un sentiment accru d’insécurité économique. Malgré des revenus en hausse, les ménages interrogés expriment une forme d’épuisement face à une conjoncture qu’ils perçoivent comme hostile, marquée par des efforts constants d’adaptation à de nouvelles contraintes. Paradoxalement, leur consommation de biens et services continue de progresser. 

Si l’emploi résiste, la consommation des ménages pourrait, une nouvelle fois, surprendre 

Un moral en berne ne se traduit pas nécessairement par un repli de la consommation. Le facteur décisif reste la solidité de l’emploi.

La question centrale est donc la suivante: le marché du travail pourra-t-il résister à un environnement de plus en plus incertain et à un affaiblissement de l’activité? Jusqu’à présent, il a fait preuve de résilience, traversant la crise inflationniste et le ralentissement de 2022 ainsi que le durcissement monétaire de la Fed sans heurt majeur. Cette robustesse s'explique par des facteurs structurels: vieillissement démographique, pénurie de main-d'œuvre, désaffection pour les formes traditionnelles d’emploi, et tendance des entreprises à conserver leurs effectifs, échaudées par les difficultés de recrutement post-Covid. 

Des marchés à l’épreuve du bruit politique

Dans un contexte où la solidité des fondamentaux économiques contraste avec la défiance croissante des consommateurs, les marchés naviguent à vue. L’ombre de l’inflation, ravivée par une politique commerciale agressive et imprévisible, fragilise les anticipations. L’écart grandissant entre réalité macroéconomique et perception des ménages nourrit l’incertitude. Pour les investisseurs, plus que jamais, l’enjeu sera de démêler les signaux conjoncturels du bruit politique. L’emploi est le socle de la résilience économique américaine; lui seul peut briser l’illusion. 

 

1 Tracking consumer sentiment versus how consumers are doing based on verified retail purchases,
Sinem Hacıoğlu Hoke, Leo Feler, Samantha Mitchell, and Jack Chylak, avril 2025 
Do People Care More About Inflation or Wage Growth?, Nicolas Lewin, Jacob Orchard, and Kabir Dasgupta, mars 2025 

A lire aussi...