Les sociétés européennes soumises au test de la substance

Drazen Turujlija, Banque Reyl & Cie

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«Passez notre amour à la machine, Faites-le bouillir, Pour voir si les couleurs d'origine, Peuvent revenir», ou quand la Commission européenne reprend Alain Souchon.

Le troisième volet de la Directive ATAD présenté récemment par la Commission Européenne semble avoir été inspiré par la chanson d’Alain Souchon. De façon similaire, le texte, censé entrer en vigueur début 2024, prévoit de faire passer aux entreprises «à risque» un véritable test de substance, afin de mieux identifier les sociétés écrans. Si la substance est jugée insuffisante, les entités pourront néanmoins tenter de démontrer qu’elles ne sont pas de simples boites aux lettres. En cas d’échec, elles se verront privées d’accès aux conventions fiscales et à l’arsenal juridique européen, avec des conséquences fiscales défavorables.

Qui sont les sociétés à risque?

Les sociétés à risque sont celles qui génèrent plus de 75% de revenus passifs, dont plus de 60% de revenus sont issus de transactions transfrontalières ou dont les actifs étrangers représentent plus de 60% du bilan et qui ont délégué à des prestataires de services leur gestion quotidienne.

La société écran ne pourra pas obtenir le certificat de résidence et sera privée de l’accès aux conventions fiscales et à l’arsenal juridique européen.

Echappent au dispositif les sociétés cotées ou réglementées, les entités ayant au moins cinq employés à temps plein et les sociétés situées dans le même pays que leur filiales et leurs actionnaires.

Toute société à risque devra inclure dans sa déclaration fiscale des informations permettant aux autorités fiscales de son pays de résidence de tester son niveau de substance.

Quelles informations seront fournies?

Les sociétés à risques devront déclarer si elles jouissent de locaux indépendants, disposent d’au moins un compte bancaire actif dans le pays où elles sont établies et ont un administrateur qui n’exerce pas d’activité similaire pour d’autres sociétés ou une majorité d’employés à temps plein résidant dans le pays où elles sont établies.

A défaut de démontrer la présence de ces trois indicateurs, les entités seront présumées être des sociétés écrans.

Comment renverser la présomption de société écran?

Une société présumée manquer de substance pourra renverser cette présomption en fournissant des explications sur les raisons économiques de son établissement, des éléments relatifs aux employés (expérience, qualifications et pouvoirs) et la preuve que les décisions stratégiques sont prises dans son pays de résidence.

Il s’agit, en somme, de démontrer que la société garde le contrôle de ses activités et en supporte les risques. Alternativement, la société pourra démontrer que son existence n’entraîne pas une économie d’impôt pour son/ses bénéficiaire(s) économique(s).

Conséquences fiscales

La société écran ne pourra pas obtenir le certificat de résidence et sera privée de l’accès aux conventions fiscales et à l’arsenal juridique européen.

L’Etat Membre de la source des revenus versés à une société écran pourra appliquer le taux domestique des retenues à la source (généralement plus élevé que le taux conventionnel) ou appliquer le taux prévu par la convention signée avec l’Etat de résidence des actionnaires de la société écran.

La plupart des holdings domiciliées auprès d’une fiduciaire pourrait tomber sous le coup du dispositif.

Par exemple, les dividendes versés par une filiale française à une société écran au Luxembourg, elle-même détenue par une personne physique résidant en Suisse, subiront une retenue à la source de 12,8% (taux prévu par le droit français), au lieu d’être exonérés en vertu du droit européen (si l’entité luxembourgeoise n’était pas qualifiée de société écran).

En conclusion

La plupart des holdings domiciliées auprès d’une fiduciaire pourrait tomber sous le coup du dispositif. La rétroactivité au 1er janvier 2022 des critères d’identification des sociétés «à risque» empêchera lesdites sociétés de se restructurer et d’éviter une telle qualification. Cela n’est pas anecdotique, puisque toutes les entités à risque, qu’elles soient in fine qualifiées ou non de sociétés écran, seront inscrites sur un registre centralisé accessible aux administrations fiscales des Etat Membres.

L’exigence de cinq employés à temps plein pour bénéficier de l’exonération du dispositif fait fi des spécificités propres aux holdings, qui n’ont pas besoin d’un tel capital humain pour gérer leurs participations.

Rien dans le dispositif n’empêche l’Etat membre de la source des revenus d’apprécier la substance d’une société au regard de son propre dispositifs anti-abus, pour décider si oui ou non il acceptera d’appliquer le droit conventionnel. Et ce quand bien même ladite entité aurait passé avec succès le test de la substance dans son pays de résidence.

Tout ceci est de nature à générer davantage de complexité avec des conséquence défavorables pour le contribuable. Compte tenu de l’existence de nombreux mécanismes anti-évasion, dans les droits européen, conventionnel et celui des Etats membres, la justification de la mise en place de ce nouveau dispositif nous parait peu évidente.

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