Une semaine coupée en deux

Eric Vanraes, Banque Eric Sturdza

2 minutes de lecture

Chronique des taux de la banque Eric Sturdza.

L’inflation encore et toujours

Il nous semblait évident que le breakeven d’inflation à 30 ans ne pouvait pas rester indéfiniment autour de 1,4%-1,5%. Les récentes craintes d’une poussée d’inflation l’ont fait grimper jusqu’à 1,77% mercredi dernier, preuve s’il en est que le sujet numéro un en cette fin de mois d’août est bien le retour (ou non) de l’inflation. Cette semaine a donc été coupée en deux. La première moitié s’est déroulée dans une ambiance hausse de taux. La correction tant attendue avait donc de bonnes chances de se matérialiser, aidée par un alignement de planètes que l’on n’avait pas vu depuis longtemps. En effet, outre les craintes inflationnistes (cause majeure du mouvement haussier) augmentées par la publication simultanée de plusieurs papiers de recherche insistant sur la disparition temporaire de la corrélation entre taux US et inflation des matières premières, les arguments ne manquaient pas : adjudication de Treasuries plus que médiocre en fin de semaine précédente, nombreux, craintes d’un sell-off de gros hedge funds dans le cas où l’on atteindrait des niveaux-clés comme 0,75% sur le 10 ans et enfin, comme presque chaque semaine depuis le 23 mars, poursuite du bull market actions avec comme symbole le franchissement par Apple de la barre des 2'000 milliards de capitalisation. 

La publication des minutes du dernier FOMC a rappelé aux plus optimistes
que les craintes de la Fed sur la croissance US sont toujours fortes.

A partir de mercredi, l’ambiance s’est soudainement détendue. La publication des minutes du dernier FOMC a rappelé aux plus optimistes que les craintes de la Fed sur la croissance US sont toujours fortes. Le COVID est toujours là, les craintes inflationnistes diminuaient légèrement par rapport aux exagérations du début de semaine et les jobless claims ont repassé à la hausse la barre des 1 million jeudi. Voilà pour l’ambiance générale! Mais concrètement, cette semaine soi-disant coupée en deux ne s’est pas traduite dans les niveaux de taux observés. Le 30 ans est allé chercher le niveau de 1,45% mardi soir mais est rapidement redescendu malgré une poussée de fièvre mercredi soir. Les taux longs ont évolué dans un trading range d’à peine 10 points de base, on ne peut pas appeler cela de la volatilité. Il convient de rester prudent car, en général, ces sujets qui apparaissent en août préfigurent ce que seront les thèmes majeurs qui domineront la rentrée.

Atténuation du barbell

Nous avons privilégié depuis environ un an une stratégie de barbell privilégiant les investissements en emprunts longs du Trésor US à taux nominaux et réels (TIPS). Ce barbell, composé à la fois de ces emprunts à 10-30 ans et d’un volume important de Treasuries à échéance 2020-2022, a connu son apogée fin février lorsque pratiquement les deux tiers de notre portefeuille était composé d’US Treasuries. Depuis le début du mois, nous diminuons le poids des emprunts du Trésor à maturité courte en faveur de crédits Investment Grade et Crossover. Etant donné le niveau des taux à 2 ans et des spreads courts, il devient peu intéressant d’investir en crédits 1-3 ans (sauf peut-être dans une logique «buy and hold» que nous ne pouvons pas nous permettre d’appliquer dans une gestion active). Nous avons donc opté pour un changement de stratégie: les emprunts d’état 1-3 ans sont petit à petit remplacés par des crédits 3-5 ans et comme l’impact sur la duration n’est pas négligeable, la position en 30 ans US est diminuée. Par conséquent, le barbell est moins agressif qu’auparavant mais il est toujours présent en tant qu’élément moteur de notre stratégie. 

Nous allons terminer le mois en ayant appliqué le plus important
changement de stratégie depuis le début de l’année.

Il y a également une logique financière qui nous incite à rechercher des crédits à maturité plus longue. Dans une gestion active, lorsqu’une position en Trésor US passe sous la barre des 1 an, nous le vendons au profit d’un emprunt similaire à maturité 2 ans. Ce roll n’est pas très coûteux. Il en serait tout autrement si nous devions revendre un emprunt corporate dès qu’il tombe dans le «moins d’un an» pour réinvestir dans une souche à maturité un peu plus longue. Ainsi, nous allons terminer le mois en ayant appliqué le plus important changement de stratégie depuis le début de l’année avec une duration identique mais plus de risque de crédit (investment grade dollar de pays développés et émergents, investment grade et crossover en euros) au détriment des Treasuries 1-3 ans et de la partie longue de la courbe, atténuant de facto un barbell qui n’a plus vraiment de raison d’être aussi agressif. Une conviction reste toutefois inchangée: nous n’avons pas du tout modifié notre allocation en TIPS 30 ans car l’évolution du breakeven à la rentrée pourrait bien nous surprendre une fois de plus. Inflation, quand tu nous tiens!

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