Une rentrée studieuse pour les marchés de taux

Eric Vanraes, Banque Eric Sturdza

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Chronique des taux de la banque Eric Sturdza.

 
La pause estivale a eu lieu…sauf pour les Turcs 

Au cours de ces deux mois d’été, les grands marchés de taux n’ont guère évolué. En effet, depuis le 29 juin dernier, le taux US Treasury à 2 ans est passé de 2,53% à 2,62% (+9 points de base) tandis que les taux à 5, 10 et 30 ans se sont légèrement détendus, passant respectivement de 2,74% à 2,71% (-3 bp), de 2,86% à 2,81% (-5 bp) et de 2,99% à 2,96% (-3 bp). En Europe, si le taux allemand Bund à 10 ans s’est à peine tendu de 6 points de base, de 0,30% à 0,36%, le taux du BTP italien ne peut pas en dire autant. Le verdict est sans appel, avec presque un demi-point de hausse pour passer de 2,67% à 3,14%. Les spreads de crédit Investment Grade ont traversé l’été sans encombre, se détendant de 8 points de base, que ce soit pour l’iTraxx européen (de 74 à 66) ou pour le CDX américain (de 68 à 60). 

Sur les marchés émergents, la Turquie a logiquement suscité les pires inquiétudes. Les pertes en monnaie locale sont significatives puisque le taux à 10 ans a grimpé de 16% à 21% pendant que la devise se dépréciait violemment, de 4,59 à 6,16 (TRY contre USD). En dollars, l’addition est moins salée mais l’obligation turque de référence à 10 ans a tout de même vu son taux passer de 6,8% à 8%. La contagion a été mesurée sur les marchés émergents hard currency: ainsi, notre indice de référence, le CDX Emerging Markets Index 10 ans (ticker Blooomberg IBOXUMSJ) n’a pratiquement pas bougé au cours de cet été, passant de 259 à 260 bp. En revanche, la volatilité s’est amplifiée avec un rally début juillet (niveau le plus bas atteint à 224 le 6 juillet) suivie par un sell-off dû à la situation turque qui a connu son paroxysme le 13 août avec un indice atteignant 302 bp au moment où la TRY atteignait 6,88.       

Aplatissement de la courbe et Jackson Hole

La courbe US a donc poursuivi son mouvement d’aplatissement avec un écart 2-10 ans passant de 33 à 19 bp et un 5-30 ans stable à 25 bp. L’appétit pour les taux longs US ne faiblit donc pas. Il est vrai que les événements de l’été ne plaidaient pas pour une tension forte: poursuite de la guerre commerciale avec la Chine, sanctions US contre l’Iran puis la Turquie (pays membre de l’OTAN, rappelons-le), risque d’erreur de politique monétaire de la Fed, achats de banques centrales et poursuite du mouvement de double fuite vers la qualité (dette sure dans une monnaie sure). 

Tout le monde aura compris que cet exposé n’était destiné
qu’à une seule personne, le locataire de la Maison Blanche.

Il ne fallait pas attendre cette année de scoop retentissant à la réunion de Jackson Hole. Monsieur Powell a confirmé sobrement que la prochaine hausse des Fed funds en septembre est acquise et que, sauf imprévu, une dernière hausse aura lieu en fin d’année. Le Chairman de la Fed, récemment nommé par Donald Trump, a surtout profité de l’occasion pour rappeler à son auditoire quelles étaient les missions de la banque centrale de Washington et  sur quels critères se basait le FOMC pour prendre des décisions de politique monétaire (en l’occurrence les récentes et futures hausses de taux). Tout le monde aura compris que cet exposé n’était destiné qu’à une seule personne, le locataire de la Maison Blanche, qui aura brisé un tabou de plus ce mois-ci en critiquant ouvertement la Réserve Fédérale et en remettant en cause son indépendance. 

Changement de stratégie US Dollars 

Début juillet, à l’occasion de notre dernière chronique avant la pause estivale, nous évoquions un possible changement dans notre stratégie de gestion de taux en dollars. Nous sous-entendions que la courbe US était déjà inversée car même si les classes d’actifs sont très différentes et difficilement comparables (risque, liquidité…), nous pouvions obtenir des rendements supérieurs à 3% en achetant des emprunts à 2-3 ans crédits Investment Grade notés A contre 3% pour les US Treasuries à 30 ans. 

Nous sommes toujours partisans de la poursuite de l’aplatissement, voire de l’inversion de la courbe. Toutefois, nous avons diminué le poids de notre stratégie «barbell» en réduisant notre exposition au 30 ans US (sur des niveaux inférieurs à 3%) à la faveur de positions en emprunts corporates à maturité courte procurant des rendements proches de 3,5%. Pour les investisseurs institutionnels, il devient même tentant de construire des portefeuilles uniquement investis dans ces crédits courts en dollars dans une logique «buy & hold». 

Ensuite, nous restons persuadés que toute tension sur les marchés émergents doit être mise à profit pour investir dans des emprunts de grande qualité dont les spreads peuvent s’écarter momentanément dans le cadre d’une éventuelle contagion de la crise turque. Pour l’instant, et c’est très bon signe, les opportunités sont rares car, contrairement aux crises des marchés émergents passées, les marchés ne paniquent pas et font bien la différence entre les différents pays. Pour l’instant, il semblerait que nous soyons plus dans une phase de risque idiosyncrasique que systémique. Preuve que les émergents sont devenus une classe d’actifs à part entière, moins exotique que par le passé.

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