Chronique des taux de la banque Eric Sturdza.
Après deux semaines relativement chaotiques, les marchés tentent d’y voir plus clair et de se stabiliser mais force est de constater que les inquiétudes grandissent. Le ralentissement chinois est à l’origine de nombreuses interrogations et la récente chute des exportations n’a pas rassuré, c’est un euphémisme. Le shutdown aux Etats-Unis, le plus long enregistré dans l’histoire, va commencer à peser sur l’économie réelle et le président Trump continue de vitupérer contre «Jerome Powell et sa bande d’incapables». Cela dit, il aurait tort de s’en priver, pour lui, c’est «win-win»: si l’économie et les marchés US continuent de bien se comporter, ce sera grâce à lui et si d’aventure la détérioration s’installe ce sera 100% la faute de la Fed.
A la décharge du président Trump, il faut avouer que la communication de Jerome Powell a laissé à désirer récemment. En relisant son intervention du vendredi 4 janvier à Atlanta, nous y voyons des signes vraiment plus «dovish» qu’au premier abord. Peut-être étions-nous sous le coup de chiffres de l’emploi extrêmement vigoureux ce jour-là? Avec recul, Powell a été très clair: la Fed est à l’écoute de l’économie réelle, à l’écoute des marchés et s’adaptera en fonction de leurs évolutions respectives. Dire que le niveau du S&P 500 conditionnera la hausse prochaine (ou non) des taux US n’aurait pas été plus clair.
potentiellement plus dévastateur qu’une hausse de taux intempestive.
Mais comme si sa spécialité était devenue la confusion dans la clarté (expression empruntée à Charles Denner dans l’aventure c’est l’aventure) quelques jours plus tard, le même Jerome Powell a semé le trouble en affirmant que la taille du bilan de la Fed devait diminuer sensiblement et rapidement. Autrement dit, il faudra peut-être envisager mois de hausse de taux que prévu mais s’attendre à un QT (Quantitative Tightening) agressif. Nous estimons que la réduction de la taille du bilan est un instrument qui est aujourd’hui potentiellement plus dévastateur qu’une hausse de taux intempestive. Il va donc falloir dans les prochaines semaines décrypter le message de la Fed pour y déceler des intentions moins floues.
Aujourd’hui les taux US sont remontés par rapport à leur rally exceptionnel de début d’année. Le 2-5 ans est toujours inversé et le 30 ans est repassé au-dessus de 3%. Le spread 5-30 ans est remonté de 42 à 52 bp et le breakeven d’inflation à 30 ans qui avait atteint 1,77% est remonté à 1,87%. Nous sommes toujours à la merci d’une inversion de la courbe et nous avons augmenté nos positions en 30 ans US la semaine dernière au détriment du 2 ans. Le comportement du marché obligataire va rester sous l’influence majeure des marchés actions. En passant de 2'480 à juste au-dessous de 2'600 la semaine dernière, le S&P 500 affiche désormais une performance de +3,57% depuis le début de l’année et de +10,43% depuis le trou d’air du 24 décembre. Dans ce contexte, la remontée des taux du Trésor US est donc raisonnable.
Les écrans sont parfois trompeurs. Si le Bund est redescendu à 0,21% hier après-midi, alors qu’il était passé de 0,19% à 0,30% entre lundi et mercredi dernier, c’est principalement dû à un changement d’emprunt de référence (voir graphique ci-dessous, source Bloomberg).
Jusqu’à mardi soir, l’emprunt de référence était le Bund 0,25% août 2028 mais depuis mercredi matin, le nouveau benchmark utilisé est le nouveau Bund 0,25% février 2029. Hier après-midi, le rendement de l’ancien benchmark s’élevait à 0,16%...
serait la goutte d’eau qui fait déborder le vase!
Nous maintenons notre opinion sur les taux européens: la BCE est dans une impasse et si les craintes de récession en Allemagne persistent, nous pourrions assister à un phénomène impensable il y a encore quelques mois : le retour du Bund 10 ans à zéro voire en territoire négatif. Nous n’en sommes pas encore là mais si les Etats-Unis persistent à vouloir – finalement, contre l’opinion initiale de Donald Trump – un dollar faible, le retour éventuel de l’euro dollar dans la zone 1,15-1,20 serait la goutte d’eau qui fait déborder le vase! La BCE n’aurait pas d’autre choix que de mettre en place un QE2, quelques mois seulement après avoir stoppé sa politique d’achats d’actifs. Mario Draghi, dans la dernière ligne droite de son mandat, a du pain sur la planche.