Aussi vite que possible, aussi lentement que nécessaire

Eric Vanraes, Banque Eric Sturdza

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Chronique des taux de la banque Eric Sturdza.

Alain Berset a déclaré jeudi dernier: «Nous souhaitons agir aussi vite que possible, mais aussi lentement que nécessaire». ©Keystone
Crise profonde

Nous sommes tous hantés par le même dilemme: faut-il encore acheter après le violent rebond des marchés? A-t-on vu les plus bas? Personne ne détient la solution mais des constats simples nous aident à y voir plus clair. Cette crise profonde n’a rien à voir avec les précédentes, ni par sa nature, ni par son comportement (ou plutôt celui des banquiers centraux et des gouvernements). Cela veut dire que les plus anciens d’entre nous ne peuvent pas tout miser sur leur expérience! Toutefois, celle-ci peut tout de même être utile car il va falloir démêler le vrai du faux, le stratégique du tactique, l’économie réelle des marchés financiers. Nous allons, dans les jours qui viennent, tester la robustesse des marchés actions et marchés de spreads de crédit. En effet, nous allons être pris en tenaille entre des chiffres macro pires que tout et des publications micro (résultats d’entreprises) qui, sauf exception(s), seront calamiteuses. 

Nous vivons, depuis la mi-mars,
un bear market rally qui peut à tout moment se retourner.

Dans ce contexte, un S&P 500 au-dessus de 2'800, un CDX IG autour de 90, un iTraxx à 80 et un iTraxx X-Over autour de 500, ce n’est pas cher payé! En 2008-2009, nous sommes allés beaucoup plus loin dans la baisse (hausse des rendements et spreads), pour une crise de plus faible ampleur. Mais comme nous l’avons maintes fois évoqué, c’était une époque révolue où les banques centrales n’avaient pas encore admis qu’elles pouvaient tout acheter, y compris du high yield et – si nécessaire - des actions. Malgré toute leur bonne volonté, les banquiers centraux ne pourront tout de même pas empêcher les prix de se réajuster en fonction des publications macro et micro économiques. Nous sommes donc de plus en plus convaincus que nous vivons, depuis la mi-mars, un bear market rally qui peut à tout moment se retourner. C’est d’ailleurs une opinion très répandue dans le marché, relayée par de grands noms qui nous mettent tous en garde contre un excès d’optimisme. Le baril de pétrole à 14 dollars doit nous faire également réfléchir: bien entendu, ce niveau intègre des paramètres propres à ce marché si particulier (notamment géopolitiques) mais il nous renseigne sur l’ampleur possible de la chute de la demande mondiale.

Ne pas négliger les emprunts d’états

Avant l’arrivée brutale de cette crise, les marchés de crédit, notamment l’Investment Grade européen, n’étaient plus vraiment attrayants avec des niveaux de CDX et iTraxx proches de 40. Depuis fin février, des opportunités sont apparues de nouveau sur cette classe d’actifs mais le récent rally nous oblige à faire de plus en plus attention. Notre stratégie, qui consiste à entrer sur ce marché par petites touches, est sans doute la bonne mais sur les niveaux actuels, les touches sont de plus en plus petites! Le marché primaire offre des opportunités pour ceux qui ont la chance d’obtenir des allocations décentes. Le marché secondaire est plus compliqué mais certains spreads sont toujours un peu plus généreux que sur les marchés CDS qui fournissent l’essentiel de la liquidité. 

L’économie réelle est en train de nous raconter une histoire
bien plus grave que celle que veulent écouter les marchés.

Nous allons donc poursuivre notre démarche d’augmentation du risque crédit mais pas à n’importe quel prix. Acheter des hybrides corporates, oui, mais à moins de 300 de spread, non ! Nous trouverons vraisemblablement des fenêtres de tir bien plus intéressantes dans les semaines qui viennent et si ce n’est pas le cas, nous nous contenterons de dettes senior Investment Grade, chères en valeur relative mais beaucoup moins que les hybrides qui, à la faveur du récent rally, sont devenues inabordables. Cela signifie qu’il ne faut pas enterrer trop vite la duration pure des emprunts d’états. 

Si nous validons le scénario de crise profonde décrit plus haut, nous devons logiquement nous attendre à des baisses de rendement des taux longs, aux Etats-Unis notamment. Un 10 ans US au-dessus de 0,60%, avec croissance et inflation négatives dans les mois qui viennent, pourrait nous réserver quelques surprises et se diriger de nouveau vers ses plus bas aux alentours de 0,30% voire atteindre 0% et, pourquoi pas?, basculer en territoire négatif. L’économie réelle est en train de nous raconter une histoire bien plus grave que celle que veulent écouter les marchés. Tôt ou tard, ces derniers devront bien arrêter de nier l’évidence et cela passera (provisoirement espérons-le) par des taux gouvernementaux plus bas, des spreads plus larges (qui offriront de nouveau des opportunités d’investissement), des fallen angels de plus en plus nombreux et des banques centrales à la manœuvre en cas d’accident industriel sur des fonds (actifs et/ou passifs) investis sur les créneaux les plus spéculatifs. Nous allons donc poursuivre notre stratégie d’investissements en crédits en appliquant à la lettre la doctrine de notre Conseil Fédéral: «aussi vite que possible mais aussi lentement que nécessaire»!

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