La question est de savoir où se trouve le point à partir duquel les banques centrales considèrent que les dommages outrepassent les bénéfices de leur stratégie de lutte contre l’inflation.
Le «rachat d’urgence» de Credit Suisse par UBS ainsi que la faillite de la Silicon Valley Bank (SVB) quelques jours auparavant ont suscité des craintes de nouvelle crise financière et bancaire. Jusqu’à récemment, le patron de Credit Suisse, Ulrich Körner, soulignait que la base de fonds propres et de liquidités de la banque était vraiment très solide. Or, elle ne l’était pas. Les médias parlent donc actuellement beaucoup de la perte de confiance dans le système financier et de parallèles possibles avec la crise financière de 2007/08. Nous sommes un peu plus réservés dans notre jugement.
En l’état actuel, le risque d’un nouvel incendie du système serait acceptable, parce que, et c’est l’un des principaux enseignements tirés de la faillite de la banque d’investissement américaine Lehman Brothers en 2008, les banques centrales et les autorités de régulation utiliseraient toutes les possibilités pour garantir la stabilité du système financier.
Pourtant, le niveau de nervosité est élevé, comme l’ont montré les fortes fluctuations de cours des actions bancaires, ainsi que les prix des couvertures de défaillances sur le crédit (Credit Default Swaps) lors des derniers jours de bourse. Et ils vont vraisemblablement rester élevés au cours des prochaines semaines et prochains mois, de nets rebonds des cours n’étant pas exclus.
Ce que nous observons et vivons ces jours-ci sont les «dommages collatéraux» de la politique beaucoup plus restrictive des banques centrales, que nous décrivons dans notre dernier rapport sur les marchés de capitaux, après une phase prolongée de taux historiquement bas. Un contexte auquel de nombreux débiteurs s’étaient habitués. Le processus d’ajustement est maintenant d’autant plus douloureux. La lutte contre l’inflation a un prix. Néanmoins, mon cœur saigne en pensant à Credit Suisse, mon ancien employeur.
La question est de savoir où est le point à partir duquel les banques centrales considèrent que les dommages outrepassent les bénéfices de leur stratégie de lutte contre l’inflation. Il n’est pas impossible que d’ici là, d’autres dégâts se fassent sentir. Il n’est pas possible de prédire sérieusement quels seraient précisément ces dégâts. Il nous paraît plus fiable d’estimer que le combat contre l’inflation serait vraisemblablement perdu si les banques centrales tiraient le «frein» trop tôt.
Les banques centrales se trouvent confrontées à un trilemme: elles doivent combattre l’inflation sans menacer la stabilité du système financier et sans étouffer complètement l’économie. La Banque centrale européenne, qui fait dans une certaine mesure figure d’exception, doit en plus maintenir la cohésion de la zone euro. Une tâche qui pourrait difficilement être plus lourde. Ce qui sert à la réalisation d’un objectif contrarie l’autre.
L’accent que nous avons constamment mis sur la qualité des placements est plus important que jamais d’après nous. C’est valable pour la sélection des émetteurs d’obligations comme pour les entreprises dont nous achetons ou conservons les actions. Ces dernières années, nous avons donc sciemment renoncé aux actions des banques universelles pour citer un exemple concret; même si nous sous-performons ainsi temporairement le marché ou laissons passer de supposées tendances. Enfin, le fait que les opportunités et les risques d’un investissement puissent être évalués de manière aussi fiable que possible est un signe de qualité. Compte tenu du manque de transparence d’une banque universelle, de la complexité de son bilan, nous ne pourrions pas effectuer une telle évaluation dans ce cas. Et nous préférons donc ne pas y toucher, et renonçons peut-être à un rendement potentiel dans certaines phases de marché.
Notre exigence consiste plutôt à générer au fil du temps des revenus suffisants pour nos investisseurs, du moins à préserver le pouvoir d’achat de leur patrimoine. Pour ce faire, il faut selon nous des placements de grande qualité, une diversification aussi intelligente que possible du patrimoine et de la patience, et une bonne part de tolérance aux fluctuations.