Les bonnes nouvelles et l’optimisme d’il y a trois mois ne sont plus qu'un lointain souvenir, laissant la place au virus, au confinement et aux plans de sauvetage.
L'émergence de la Covid-19 a déstabilisé les marchés boursiers du monde entier. Depuis que la Chine a alerté l'Organisation mondiale de la santé de cas de «pneumonie inhabituelle» à Wuhan en décembre dernier, nous avons pénétré en «terrain inconnu», tel que l'a qualifié l'OMS1. L’Italie a été le premier pays d’Europe à placer sa population entière en quarantaine, puis d’autres lui ont emboîté le pas. Le virus s’est propagé rapidement, infectant indistinctement des membres de la famille royale, des dirigeants politiques ou des travailleurs clés mal rémunérés.
Mais avant d’évaluer comment cette situation pourrait évoluer à l’avenir, penchons-nous d’abord sur la santé financière de l’Europe au point d’entrée dans la crise.
Malgré une croissance des bénéfices famélique, l’année 2019 s’est clôturée sur une note très positive, les marchés actions affichant une hausse de 27% au niveau international et de 29% en Europe2. Une succession d’événements explique ce phénomène: les conservateurs de Boris Johnson ont remporté les élections britanniques et les inquiétudes suscitées par le Brexit se sont calmées; les tensions commerciales sino-américaines se sont apaisées; et aux Etats-Unis, Elizabeth Warren, puis Bernie Sanders, ont perdu toute chance d’obtenir l’investiture démocrate.
De bonnes nouvelles sont venues également sur le front des négociations commerciales avec, d’une part, la signature de l’accord de phase 1 entre les Etats-Unis et la Chine, et d’autre part, la décision du gouvernement américain de ne pas relever les taxes douanières sur les voitures européennes à la date butoir prévue – ce qui a soulagé les constructeurs automobiles déjà touchés de plein fouet par le ralentissement de l'activité industrielle en Europe. Et en novembre, les banques centrales chinoise, américaine et européenne ont relancé leur programme d'assouplissement quantitatif (QE).
Le camp des optimistes voulait espérer que ces facteurs contribueraient à raffermir la croissance mondiale... jusqu’à l’apparition de la Covid-19.
Au début, le virus était circonscrit à la province du Hubei dans laquelle se situe Wuhan, un centre industriel chinois de taille moyenne. Les investisseurs ont digéré les répercussions, nombre d’entre eux supposant qu’il ne s’agissait ni plus ni moins que d’un nouveau SRAS qui affecterait uniquement les entreprises ayant des activités ou des chaînes d’approvisionnement dans les zones concernées. Mais le virus s’est propagé rapidement et de façon inégale. L’Italie a été le pays le plus durement touché et, compte tenu de sa population vieillissante, a déploré un taux de mortalité élevé. Mais la situation n'a pas tardé à être identique en France, puis plus grave encore au Royaume-Uni et aux Etats-Unis. Diverses mesures telles que la fermeture des frontières, l’annulation de vols, les restrictions de déplacement, l’obligation de travail à domicile ou la limitation des contacts sociaux ont été mises en oeuvre à travers la planète avec des résultats variables. En revanche, les marchés boursiers ont plongé de concert partout dans le monde.
Les secteurs du transport aérien et des loisirs, dont les clients sont restés chez eux, ont été les plus lourdement sanctionnés. La mise à l’arrêt provisoire de l’activité économique a retenti sur les bénéfices, les bilans et les créances douteuses. Les valeurs du secteur de la consommation pâtissent de la raréfaction des acheteurs chinois, or ceux-ci ont peu de chance de revenir en raison des mesures de confinement prises à travers l’Europe qui ont anéanti la demande.
Les répercussions sont désastreuses. Selon l’OCDE, l’économie médiane se contractera d’environ 25%. S'agissant des Etats-Unis, les estimations tablent sur une contraction de 50% en rythme annualisé au deuxième trimestre3. A titre de comparaison, rappelons que le recul du point haut au point bas sur six trimestres au cours de la crise financière mondiale de 2008 a été de 4%, ce qui a été ressenti à l’époque comme une catastrophe. Bien qu’il soit quelque peu illusoire de faire des prévisions dans un contexte aussi volatil qu’incertain, nous estimons que le PIB de la zone euro va reculer de 9% cette année avant de rebondir de 7% en 20214.
Aussi regrettable cela soit-il, nous avons donc tous perdu de l'argent. Cela étant, certaines approches et certains styles se démarquent. Les investisseurs «value» qui se contentent d’une analyse simpliste des prix ont été les plus durement touchés, notamment ceux dont les portefeuilles faisaient la part belle aux titres apparemment bon marché du secteur bancaire ou des loisirs. La qualité du modèle d’entreprise et la résistance à la volatilité à court terme des économies (ou même des marchés boursiers) sont devenues des caractéristiques prisées, au point de minimiser voire d'écarter les chutes du cours de l’action.
Cette récession est de nature événementielle et ne présente pas de caractère systémique, et bien que le choc initial pourrait s’estomper rapidement, un cercle vicieux risque de s’installer. La phase haussière de 11 ans a été tirée par la création d’emplois et les emplois vacants qui ont alimenté la consommation des ménages. L’envolée des inscriptions au chômage aux Etats-Unis liées à la pandémie de Covid-19 à 6,6 millions5 va immanquablement se traduire par une augmentation du taux de chômage bien au-delà du chiffre de 4,4% déclaré en mars. L’impact sur la consommation pourrait toutefois s’avérer moins néfaste, compte tenu des mesures de soutien prises par le gouvernement en faveur des ménages.
La reprise sera conditionnée par les avancées médicales qui permettront de ralentir ou d’enrayer la propagation du virus et, partant, la levée progressive des mesures de confinement et le retour à une certaine normalité de la vie économique. Cela doit se produire rapidement pour que le ralentissement ne se transforme pas en une récession autoalimentée. Néanmoins, si le confinement est levé trop hâtivement, les infections pourraient à nouveau s’orienter à la hausse.
Les réponses monétaires et budgétaires ont été mises en oeuvre rapidement. La Fed en a fait davantage en trois semaines que durant la totalité de la crise financière de 2008. La BCE s’est engagée à racheter des dettes publiques et privées à un rythme inédit, déployant un programme d’achat équivalent à 2,3% du PIB de la zone euro auquel s’ajoute l’octroi de garanties de crédit à hauteur de 13% du PIB. Les déficits budgétaires au sein de la zone euro atteindront entre 10% et 13% du PIB cette année6. Sous l’effet conjugué de la hausse des dépenses et du recul de la production, les ratios dette/PIB vont grimper entre 20 et 40 points de pourcentage. Cet accroissement pourrait être tolérable pour l'Allemagne dont la dette atteignait 60% de son PIB en 2019, mais un niveau d’endettement de 170% ou plus constituerait une menace sérieuse pour l’Italie7.
Dans ce contexte, nous nous attendons à une reprise en U de l'activité économique qui ne se matérialisera pas avant la fin 2020 au plus tôt. L’activité devrait reculer fortement au second trimestre (baisse à deux chiffres), demeurer faible au trimestre suivant, et peut-être rebondir au quatrième trimestre. Une mise à l’arrêt de l’économie plus durable pourrait prolonger la récession jusqu’en 2022 – celle-ci étant inévitable quel que soit le scénario.
La crise de Covid-19 aura de multiples conséquences à long terme. Les perturbations au niveau de la chaîne d’approvisionnement provoquées par les fermetures en Chine renforceront l’opinion selon laquelle le transfert de la production vers les pays à bas coûts est allé trop loin. A titre d'exemple, 80% des antibiotiques utilisés aux Etats-Unis proviennent de Chine8. Quel que soit le vainqueur de l'élection présidentielle américaine, les pressions politiques et sociales pour inverser le processus de délocalisation seront intenses. En Europe, le système Schengen d’ouverture des frontières a été démantelé et on ne sait pas quand les contrôles qui ont été réinstaurés seront levés, la libre circulation des personnes étant censée être une pierre angulaire de la philosophie communautaire. Les règles de discipline budgétaire du traité de Maastricht ont été mises au placard. La mondialisation permettait auparavant de contenir l'inflation. Cela va-t-il changer à présent?
L’analyse traditionnelle du cycle économique n’apporte aucune réponse dans un contexte de pandémie, d'où la difficulté d'anticiper le rebond. Notre avantage est que notre approche met l’accent sur les modèles d’entreprises de qualité, bénéficiant d'une rentabilité élevée et durable, même dans des environnements difficiles. Ainsi, nos portefeuilles ont été bien positionnés pour résister jusqu’à présent, mais force est de reconnaître que les prochains mois seront révélateurs.