Un an de crise sanitaire

Gilles Moëc, AXA IM

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La «fatigue pandémique», et c’est compréhensible, continue d’affecter la confiance.

Bien peu d’entre nous auraient, en mars 2020, pensé que la trajectoire de l’économie mondiale allait au bout d’un an demeurer à la merci de mesures de confinement, alors même que le progrès sur la réponse vaccinale a sans doute été plus rapide que prévu. La «fatigue pandémique», et c’est compréhensible, continue d’affecter la confiance mais, peut-être paradoxalement, le trait le plus frappant pour nous d’un premier bilan, est la grande résilience des économies avancées, que nous déclinons sous quatre angles: celui du système financier, de l’environnement politique, du marché du travail et – last but not least – du combat contre le réchauffement climatique.

La crise financière n’aura duré au final que trois semaines, et les actifs risqués ont plus que résisté à un choc macroéconomique pourtant sans précèdent dans des économies modernes. Il faut y voir l’effet d’apprentissage de la grande crise financière de 2008-2009 et sans doute également une réaction contre la trop grande rapidité avec laquelle les autorités budgétaires de l’époque avaient mis fin aux programmes de soutien d’urgence dès 2010 et ses conséquences sur la crise souveraine européenne entre 2011 et 2013. En effet, même si ce sont les banques centrales qui, aux Etats-Unis comme en Europe, ont porté le coup d’arrêt décisif à l’affolement des marchés, la mise en place d’un soutien budgétaire de très grande ampleur sur la durée, même s’il a pris des formes différentes des deux côtés de l’Atlantique, a été un élément de sécurisation important.

La crise n’a pas profité de manière décisive aux différents populismes. C’était une interrogation majeure au début de la pandémie. Cette «résistance du centre» pour mal paraphraser T.S. Eliot tient sans doute au fait que ce «centre» n’a pas hésité à se saisir de tous les instruments d’intervention gouvernementale à sa disposition. Ce qui nous a frappé c’est l’absence totale de débat dans les cercles de décision traditionnels autour de la nécessité d’une action keynésienne massive explicitement soutenue par une politique monétaire ultra-accommodante. D’une certaine manière, en jouant à plein la carte de l’interventionnisme, le «centre» a privé les populismes de son espace naturel. Cela a pris par exemple la forme d’une acceptation par la Fed d’un dépassement transitoire de l’objectif d’inflation, ou d’une conversion en quelques mois à la mutualisation des dettes publiques dans le cadre européen dans les pays les plus «frugaux» de la zone euro.

La crise ne s’est pas traduite par une envolée du chômage. Certes, les mesures du «sous-emploi» suggèrent que la situation sous-jacente du marché du travail partout dans le monde développé est très dégradée, mais le chômage lui-même a bien moins augmenté que lors de la crise de 2008-2009, alors que la perte de PIB a été beaucoup plus forte. C’est bien évidemment un corollaire de nos deux premiers points: la vitesse de la réaction de politique économique, menée «sans tabou», a permis très vite de juguler les pertes d’emplois, et en Europe de maintenir le plus possible le lien entre employé et employeur via les mécanismes de chômage partiel. Un «feedback loop» positif se met en place, puisque la minimisation du choc macroéconomique sur les ménages contribue à en contenir les répercussions politiques.

Enfin, alors que l’on pouvait craindre que le focus absolu sur la nécessité de faire repartir les économies se traduise par un passage au second plan des impératifs environnementaux, au contraire la tendance vers une économie plus durable s’est renforcée, car les gouvernements se saisissent des programmes d’investissement que la transition énergétique nécessite comme d’un levier puissant pour soutenir la reprise. Il est possible que l’importance de l’impératif écologique dans le Pacte Nouvelle Génération ait pu contribuer à convaincre l’opinion publique des pays du Nord, traditionnellement plus sensibles aux questions environnementales, à soutenir en définitive la notion de «mutualisation des dettes» sur laquelle elle était très réticente. L’engouement actuel pourrait créer une pression de la demande sur les actifs verts mais cela devrait se décanter rapidement grâce au fort développement de l’offre.

Les émissions vont, en effet, se multiplier et les pouvoirs publics vont étoffer leur offre de papiers verts. Si l’on regarde, par exemple, la façon dont l’Union Européenne va financer son plan de relance, cela passera probablement par des émissions d’obligations vertes. Aux Etats-Unis, la perspective d’un plan d’infrastructure avec une forte composante «verte» devrait également permettre un développement de l’offre de projets soutenables, et donc les opportunités d’investissement.

Tout l’enjeu de l’année qui vient est de conserver les bénéfices de cette résilience. Pour l’instant, le «policy mix» accommodant reste consensuel – ce qui constitue sans doute une protection contre les risques de détérioration de la situation politique – mais la remontée des taux longs aux Etats-Unis montre que certaines limites sont peut-être atteintes. La BCE a démontré la semaine dernière qu’elle était prête à se mettre en travers d’une contagion vers le marché obligatoire européen, mais fondamentalement, la question de la «stratégie de sortie» se pose. Pour notre part, nous continuons de croire à la notion de «forward guidance budgétaire», à savoir la présentation par les gouvernements d’un programme de normalisation des finances publiques conditionnel à la vitesse de normalisation des économies. En clair, une série d’engagements sur la vitesse de consolidation des déficits à chaque fois qu’une étape de plus serait franchie en termes d’augmentation du taux d’emploi ou de restauration de la situation financière des entreprises. Cette approche donnerait aux banques centrales la visibilité nécessaire pour un réglage de leur politique monétaire qui concilierait soutien à la croissance, maîtrise de la stabilité des prix et sauvegarde de la stabilité financière.