Turbulences sur les cryptos

Quentin Bletry, Seba Bank

3 minutes de lecture

Chronique blockchain. Vitesse et capacité: que manque-t-il pour une adoption générale des cryptomonnaies?

L'écosystème des cryptomonnaies traverse des zones de turbulences. L'un des enjeux majeurs auquel il doit faire face porte sur la rapidité des blockchains à traiter des transactions en cryptos, sans pour autant en altérer leur sécurité et leur décentralisation. Un défi de taille.

Bitcoin et consorts touchent à certaines limites en ce moment. La consommation énergétique utile au minage du Bitcoin a été qualifiée d'absurde par une frange de la population alors que certains frais de transaction (gas price) utiles pour interagir avec la blockchain de l'Ethereum atteignent des niveaux ridiculement hauts. Outre ces observations individuelles, une critique commune peut être faite aux deux protocoles les plus populaires : le nombre de transactions par seconde (tps) que leur réseau respectif peut absorber n'est pas suffisant. Le Bitcoin atteint environ 3 à 4 tps et l'Ethereum 15, alors que le réseau Visa traite facilement jusqu'à 1'700 tps. 

La solution du sharding sera un des éléments
majeurs de la mue à venir de l'Ethereum.

Si la comparaison avec le géant du paiement peut s'avérer hasardeuse du fait de cas d'utilité différents, l'ordre de grandeur donne une perspective utile à la compréhension des enjeux actuels des cryptos. L'objectif primordial est ainsi d'augmenter l'efficience (vitesse et capacité), ou scaling en anglais, de ces blockchains. Un objectif qui est atteignable notamment grâce à des solutions de mise à niveau du protocole lui-même (layer 1 scaling) et/ou à l'aide de technologies de second niveau (layer 2 scaling). Ces dernières viennent se greffer sur le protocole et n'impliquent aucun changement du code source de la blockchain. La chaîne principale connaît idéalement toujours ce qu'il se passe dans les couches de second niveau et officie comme juge lors de potentiels conflits, tels que les tentatives de double dépense. 

Amélioration du protocole

Dans le registre des améliorations directes du protocole, on trouve par exemple la solution du sharding, qui sera un des éléments majeurs de la mue à venir de l'Ethereum. Dans les grandes lignes, le sharding implique le fonctionnement en parallèle de plusieurs sous-blockhains. Ceci devrait augmenter sensiblement le rendement de l'Ethereum jusqu’à 100'000 tps selon les estimations. 

Une autre approche consiste à augmenter la taille des blocks directement car plus un block est grand plus il peut contenir de transactions. C'était la raison principale justifiant la création du Bitcoin Cash et du Bitcoin SV, faisant passer la taille des blocks du Bitcoin original de 1 MB à 32 MB pour le Bitcoin Cash et à 2 GB pour le Bitcoin SV. Ce dernier peut ainsi absorber jusqu’à 2'200 tps. Toutefois, cette augmentation de rendement a pour inconvénient majeur qu'elle diminue la sécurité de la blockchain du Bitcoin. 

L'avènement des solutions de second niveau

Récemment, les technologies dites de niveau deux se sont développées de manière conséquente et ont atteint une certaine maturité dont l'écosystème a besoin. Cela s'est par exemple manifesté au travers des canaux (payment et state channels), qui permettent de réaliser plusieurs transactions hors du protocole (off-chain) en ne soumettant au final que deux transactions à la chaîne principale. Le gain de rendement est potentiellement énorme mais certains aspects limitent le développement de ce système. En outre, les participants de ces canaux doivent être connus à l'avance et une supervision accrue est nécessaire pour s'assurer que les fonds y soient sécurisés. Le fameux réseau Lightning pour le Bitcoin et le Raiden pour l'Ethereum en sont des exemples. 

Le système Plasma a pour proposition de générer des blockchains
subsidiaires (child blockchains), rattachées à la chaîne principale.

Les chaînes parallèles (sidechains) résultant du sharding, telles que la Rootstock (RSK), ou les solutions inter-chaînes comme Polkadot et Cosmos ont vu quant à elles fleurir nombre de projets de finance décentralisée (DeFi) construits sur leur protocole. Ces propositions agissent effectivement comme solutions de niveau deux pour le Bitcoin et l'Ethereum, connectées grâce aux ponts blockchains (blockchain bridges). Le project Sovryn, par exemple, est une plateforme de trading et de crédit pour le Bitcoin. Tirant les avantages d'une technologie de second niveau, Sovryn développe en même temps un pont vers l'écosystème de l'Ethereum. 

Le système Plasma a quant à lui pour proposition de générer des blockchains subsidiaires (child blockchains), rattachées à la chaîne principale et qui informent ponctuellement celle-ci de leurs états respectifs. L'on accède à ces blockchains subsidiaires à travers un contrat autonome (smart contract). Toutes peuvent être modulées en fonction des besoins propres à chaque cas d'utilité. Ainsi, la vitesse ou même le mécanisme de consensus peuvent diverger de ceux de la blockchain initiale. La limite de ce système réside en le fait que certains types de transactions ne sont pas supportés, excluant par exemple certaines activités complexes de la DeFi. OMG et Polygon sont des exemples de projets utilisant la technologie Plasma. Il existe néanmoins d'autres méthodes faisant appel aux contrats autonomes, telle que celle des rollups, qui compresse et groupe les transactions pour n'en avoir qu'une seule terminant sur la chaîne principale. Cette technique a par exemple été utilisée pour le protocole du Zcash.

Mouvements futurs

En résumé, l'on peut dire qu'il existe de multiples solutions au problème de vitesse et de capacité des cryptomonnaies. La combinaison de solutions de premier et second niveaux est la meilleure option car leurs effets pourraient théoriquement être démultipliés par un facteur X.

Toutefois, tant que les améliorations des protocoles ne seront pas instaurées, les problèmes de rendement subsisteront. Ainsi, le sharding de l'Ethereum 2.0 se fait attendre. Les frais de transaction sur sa blockchain en vigueur vont bientôt être si élevés que des utilisateurs, actuels et nouveaux, seront contraints à sortir du système. Certains abandonneront les projets DeFi et opteront pour les bourses telles que les classiques Coinbase, Bitstamp ou Kraken. Certains se tourneront vers des solutions de niveau deux et d'autres, enfin, tireront avantages de l'interopérabilité des ponts grâce à RSK, Polkadot ou encore Cosmos. 

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