La transition énergétique s'inscrit dans une révolution technologique plus large, à savoir la révolution de l'information.
La remontée des prix du pétrole en 2022 a provoqué une réaction négative aux États-Unis dans les domaines de l'environnement, du social et de la gouvernance (ESG), tandis que, simultanément, la crise énergétique a forcé certains marchés européens à prendre du retard dans leur transition vers une énergie propre. Malgré ces défis, la crise énergétique, associée aux tensions géopolitiques croissantes, pourrait in fine avoir semé les graines d'une transition énergétique accélérée. Cette transition est une entreprise monumentale qui durera plusieurs décennies - elle est extrêmement complexe et son succès ou son échec ne pourra se mesurer en années. Il y aura beaucoup de hauts et de bas, à mesure que des facteurs multiples déterminant l'offre et la demande en énergie entreront en jeu.
En 2020 et 2021, les observateurs se sont empressés d'annoncer la fin imminente de l'industrie des combustibles fossiles. Les prix du pétrole et du gaz étaient bas en raison des effets de la pandémie sur la demande énergétique. Les investisseurs avaient réduit leurs positions en énergie, si bien que le secteur était très faiblement valorisé. Après la pandémie, la demande a augmenté et fait grimper les prix du pétrole et du gaz. S'en est suivie l'invasion de l'Ukraine par la Russie, qui a entraîné une interruption significative de l'approvisionnement par l'un des plus grands exportateurs de pétrole et de gaz au monde. Les médias et autres analystes ont alors changé de discours et annoncé la chute de l'ESG.
La réalité est que ces deux rapports étaient peu clairvoyants et alarmistes. La transition énergétique est une opération colossale qui prendra plusieurs décennies - elle est extrêmement complexe et son succès ou son échec ne pourront pas être mesuré en années. Une mesure courante pour illustrer la transition énergétique est le mix énergétique nécessaire afin de parvenir à un bilan net zéro d'ici 2050 et rester sur la trajectoire de 1,5°C. Comme il s'agit d'un scénario futur, il est généralement présenté comme une transition linéaire, ce qui peut conduire à une perception trop simpliste du voyage. En réalité, il y aura de nombreux hauts et bas à mesure que la multitude de facteurs déterminant l'offre et la demande en énergie entreront en jeu. La prédiction simplifiée d'une transition linéaire sera faite de nombreux tours et détours.
Après la reprise économique post-pandémie et la crise énergétique, le ton et la rhétorique concernant la transition énergétique en 2022 ont clairement pris une tournure négative; nous pensons toutefois qu'il existe de nombreux facteurs positifs à prendre en compte lors de l'évaluation du rythme de la transition. Premièrement, un regard sur les révolutions technologiques historiques montre que les tensions sociales que nous connaissons actuellement sont normales lors de ce genre de changement - par le passé, elles ont été le signe d'un tournant suivi d’une période de prospérité économique. Deuxièmement, certains progrès sont réalisés dans la transition énergétique, et les chiffres globaux ne sont peut-être pas les indicateurs les plus pertinents. Troisièmement, en raison des spécificités de la transition énergétique (par rapport à d'autres révolutions technologiques), la réglementation sera un facteur décisif de succès ou d'échec.
La transition vers une énergie propre est, selon nous, une révolution technologique, mais elle se distingue des révolutions précédentes sur plusieurs points.
Tout d'abord, l'augmentation de la productivité grâce à l'énergie propre n'est pas aussi évidente que dans d'autres cas où la nouvelle technologie a apporté des avantages immédiats et concrets au consommateur. Dans le cas de la transition énergétique, les bénéfices proviendront de deux sources - l'une ayant des avantages clairs et directs pour le consommateur (efficacité énergétique), l'autre étant moins directe (énergies renouvelables).
Un avantage direct facilement observable de l'efficacité énergétique pour l'industrie est qu'une utilisation plus efficace des ressources entraîne une baisse des coûts. La contribution de l'efficacité énergétique dans les scénarios «net zero» est considérable. Le scénario net zéro de l'Agence internationale de l'énergie prévoit une baisse de 16,5% de la demande absolue d'énergie entre 2020 et 2050, malgré une croissance démographique et économique soutenue. Un examen de 77 scénarios différents à 1,5°C a montré que la consommation d'énergie moyenne par habitant diminuerait de 37%.
Les avantages des énergies renouvelables et de la décarbonisation pour le consommateur sont plutôt complexe. Les énergies renouvelables sont, par exemple, moins sensibles à la conjoncture que les combustibles fossiles, ce qui constitue un avantage économique pour les producteurs. L'énergie renouvelable est généralement produite sur le territoire domestique, ce qui améliore la sécurité de l'approvisionnement. Les énergies renouvelables présentent également des avantages pour la santé publique: selon l’OMS, la pollution de l'air par les combustibles fossiles (l'une des principales causes de décès prématurés dans le monde) a entraîné des coûts sanitaires et économiques de 2900 milliards de dollars américains dans le monde en 2018. Enfin, la décarbonisation par le biais de la transition vers les énergies renouvelables devrait atténuer les pires effets des risques physiques qui résulteront du réchauffement climatique.
L'interaction entre les nouvelles technologies énergétiques propres et les produits qu'elles remplacent sera également différente des expériences historiques. Lors des révolutions technologiques précédentes, les nouvelles technologies et les produits qu'elles remplaçaient coexistaient sur de très longues périodes. Pour respecter un scénario de réchauffement de 1,5 °C, cette coexistence ne sera pas possible, ce qui signifie que les régulateurs devront travailler activement à l’élimination des combustibles fossiles.
Un autre élément distinctif réside dans le fait que la transition énergétique s'inscrit dans une révolution technologique plus large, qui coïncide avec les exigences de l'innovation durable, à savoir celle de la révolution de l'information. La révolution de l'information a le potentiel d'engendrer un autre genre de bouleversement social. Dans le passé, les révolutions se concentraient sur le remplacement du travail physique par des machines, tandis que la révolution de l'information vise à remplacer la performance intellectuelle par les technologies numériques et l'intelligence artificielle. Il s'agit non seulement de deux révolutions technologiques qui conduisent au remplacement des travailleurs, mais la révolution de l'information entraînera probablement un tout autre type de changement par rapport à que celui connu jusqu'à présent.