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Thomas Planell, DNCA Invest

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L’indice MOVE (volatilité des obligations), pourrait mieux présager que le VIX (actions) des inquiétudes des investisseurs sur les prochains mois.

Hausse des matières premières métalliques ou agricoles, hausse du fret maritime ou des coûts logistiques sur terre, hausse du prix du pétrole, ruptures d'approvisionnement dans les semi-conducteurs, les composés chimiques, les plastiques, les emballages: «citez n'importe quel produit et vous avez avec un problème d'approvisionnement» fulminait le PDG de Cummins, Tom Linebarger, au moment des résultats du premier trimestre du fabricant américain de générateurs.

Des charges toujours plus importantes

Si au premier trimestre 2021, les managements des sociétés européennes se sont voulus pour la plupart rassurants quant à l'effet sur leur marge de la hausse des coûts, le terme inflation était bel et bien au centre de toutes les discussions au cours des présentations de résultats. Le message, calé sur celui de la Fed et de la BCE, reste pour l'instant celui d'une inflation transitoire, impropre à changer durablement le régime de prix, vouée à se normaliser dès que les ruptures d'approvisionnement auront cessé.

Il est parfois utile de se pencher du côté des sociétés
cotées en bourse dont l'actionnaire majoritaire reste familial.

Mais n'y a-t-il pas dans cette présomption consensuelle, propre à rassurer les investisseurs, l'expression d'un aléa moral entretenu par le message contre-inflationniste tenu régulièrement par les banques centrales? Il est parfois utile de se pencher du côté des sociétés cotées en bourse dont l'actionnaire majoritaire reste familial: elles offrent un regard parfois plus prudent et moins partial sur l'avenir. C'est par exemple le cas du cimentier italien Buzzi, présent en Europe et aux Etats-Unis. Il est l'un des rares à prévenir, entre autres, que la hausse des coûts et des investissements nécessaires à la décarbonisation de ses procédés pourrait peser durablement sur le profil de rentabilité et le besoin en capital de l'entreprise. 

A près de 60 euros la tonne, le prix du carbone en Europe devient une charge financière sérieuse pour les entreprises. Même si les premiers projets de capture des émissions de CO2 en sortie d'usine deviennent intéressants pour les directions financières, cela reste un poids potentiel pour la profitabilité ou l'amélioration des retours sur capitaux investis. A présent que l'agence internationale de l'énergie estime que ses nouveaux objectifs 2050 ne peuvent être réalisés qu'avec un gel de tout nouveau projet d'exploration pétrolière, est-il raisonnable de penser que la transition écologique pourra se faire sans coûts pour les entreprises et les consommateurs? Ces coûts ne sont-ils que temporaires ou au contraire structurels?

Gare au sursaut nationaliste

A la transition écologique s'ajoute l'effet inflationniste d'une politique budgétaire globalement expansionniste sur l'ensemble de la planète: au travers des plans de relance, le politique a clairement levé le cran de sureté du fusil à inflation. Les élections détermineront à quelle vitesse il appuiera sur la détente. Car après un an de repli forcé sur soi, en Europe, l'heure est au sursaut nationaliste. Malgré la rapidité à laquelle les vaccins ont été élaborés, et cela dans le cadre de partenariats internationaux (entre l'allemand BioNtech et l'américain Pfizer par exemple) puis distribués, sans embargo majeur, le concept de globalisation pourrait être finalement la victime philosophique la plus évidente de la pandémie.

Plus nous progressons dans ce cycle économique,
plus la nervosité quant au risque de surchauffe se fait sentir.

De part et d’autre, on évoque la relocalisation des capacités de production, le raccourcissement des cycles produits, le prérequis d'une présence industrielle locale pour avoir accès à un marché, avec à la clef, la création d'emplois. Le nationalisme, le protectionnisme, ne sont plus l'apanage des démocraties turbulentes d'Europe de l’Est. D'un point de vue philosophique, la prise de pouvoir par un parti nationaliste non libéral équivaut au repli sur soi. D'un point de vue économique, il se traduit par une circulation moins libre des biens, des personnes et des capitaux, la baisse des opportunités d'arbitrage géographique des coûts de production et du travail, et donc de l'inflation. Ce phénomène a en réalité déjà commencé et s'accélère depuis la pandémie.

Nervosité sur les marchés

Aujourd'hui, 60% des opérations des fusions-acquisitions internationales sont désormais soumises au contrôle des Etats. D'un point de vue financier, la contrepartie d'une telle orientation politique se traduit, en général, par l'apparition d'une prime de risque qui reflète l'exigence d'un rendement supplémentaire exigé par les capitaux internationaux. Il n'y a donc pas que chez les chefs d'entreprise que le sujet de l'inflation préoccupe, les investisseurs en font, après la pandémie, leur premier sujet de tourments. C'est du moins le résultat de la récente enquête de Bank of America. Si la courbe des taux reflète les anticipations de croissance et d'inflation, les options qui permettent de plus ou moins s'y sensibiliser reflètent quant à elles la volatilité autour de ces anticipations. Plus nous progressons dans ce cycle économique, plus la nervosité quant au risque de surchauffe se fait sentir.

Incertains, les marchés obligataires oscillent donc, sans grande tendance, mais sous le calme apparent des dernières semaines, cette volatilité implicite, mesurée par l'indice «Merril Lynch Options Volatility Estimate» (ou MOVE) reste tendue. Elle pourrait, mieux que le VIX (qui mesure celle des actions), présager des inquiétudes des investisseurs au cours des prochains mois. En effet, en dehors d'un scénario d'hyperinflation, les actions offrent théoriquement plus de convexité que les obligations dans une configuration de remontée généralisée des prix à la production et à la consommation.

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