Reshoring, Nearshoring ou Friendshoring?

Luca Castoldi, Reyl Singapore

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Comment rester compétitif? De nombreuses sociétés multinationales ont envisagé de délocaliser ou de s’abstenir d’étendre leurs activités en Chine.

2018, c’est l’année où le président Trump a initié une guerre commerciale avec la Chine, imposant des droits de douane proches de 350 milliards de dollars d’importations annuelles. Après 18 mois, un tournant s’est opéré en janvier 2020 avec la signature de l’accord commercial «Phase One», visant à apaiser les tensions en réduisant les droits de douane chinois tout en augmentant les exportations américaines vers la Chine sur une période de deux ans. Toutefois, les relations entre les deux pays se sont encore détériorées et l’accord commercial de «Phase Two» attendu ne s’est jamais concrétisé. 

Par conséquent, de nombreuses sociétés multinationales ont commencé à envisager de délocaliser ou de s’abstenir d’étendre leurs activités en Chine. Elles souhaitaient ainsi éviter les droits de douane et atténuer les risques potentiels liés à l’escalade du conflit commercial.

La part de la Chine dans les importations américaines est passée de 22% en 2017 à 14% en 2023, tandis que les importations américaines et les exportations chinoises ont continué à augmenter, en raison de l’exportation de produits à plus forte valeur ajoutée tels que l’automobile.

Depuis 2018, le déficit commercial des États-Unis s’est considérablement détérioré avec celui d’autres pays tels que le Mexique, le Vietnam, la Thaïlande et l’Indonésie. Le déficit commercial annuel (hors Chine) a atteint environ 800 milliards de dollars, contre 400 milliards de dollars lorsque Trump est entré en fonction. Ce montant comprend également l’offre des entreprises chinoises qui ont commencé à se développer à l’étranger. 

La capacité de production de la Chine a augmenté à un rythme annuel de plus de 10% au cours des quatre dernières années.

Pour ramener les capacités de production aux États-Unis, le président Biden a introduit en août 2022 la loi sur la réduction de l’inflation (IRA). Cette initiative a été suivie par d’autres pays développés (par exemple l’Europe et le Japon) et des pays émergents (par exemple la Corée) dans le but d’empêcher les investissements directs étrangers (IDE) de se diriger uniquement vers les États-Unis. L’IRA prévoit 500 milliards de dollars de nouvelles dépenses et d’allègements fiscaux destinés à promouvoir les énergies propres et à réduire les coûts des soins de santé. Elle a été introduite en même temps que deux autres lois, à savoir la loi bipartisane sur les infrastructures (BIL) et la loi sur les puces et la science (CHIPS). La BIL est axée sur les investissements dans les infrastructures, tandis que la CHIPS se concentre sur la politique de sécurité nationale et fournit des fonds pour les investissements dans le secteur technologique.

Par ailleurs, l’IRA offre, notamment, un crédit d’impôt pouvant aller jusqu’à 7500 dollars par véhicule électrique (VE) répondant à certaines exigences en matière d’assemblage et d’approvisionnement. À partir de 2025, les véhicules propres éligibles ne pourront plus contenir de minéraux sensibles provenant d’entreprises contrôlées par des pays à risque tels que la Chine, la Russie ou la Corée du Nord. 

Dans le secteur technologique, la Taiwan Semiconductor Manufacturing Company (TSMC) recevra jusqu’à 11,6 milliards de dollars de subventions du gouvernement américain pour établir son usine de fabrication de puces la plus avancée en Arizona. Intel s’est également vu promettre une aide de près de 20 milliards de dollars sous forme de subventions et de prêts.

À l’autre bout du monde, la Chine a connu une expansion significative dans les secteurs des nouvelles énergies, ce qui a suscité des inquiétudes quant à la surcapacité. La crainte de voir la Chine inonder les marchés étrangers de produits bon marché, ce qui pourrait avoir un impact sur les ventes des entreprises locales et, par conséquent, sur l’emploi et les investissements, a incité les États-Unis et l’Europe à faire preuve de prudence et à imposer des restrictions. 

La capacité de production de la Chine a augmenté à un rythme annuel de plus de 10% au cours des quatre dernières années. L’utilisation de la capacité industrielle s’est détériorée en raison de la croissance rapide de la production et du ralentissement de la demande intérieure. Selon les statistiques officielles, le taux d’utilisation des capacités industrielles est tombé à 73,6% au premier trimestre de l’année, contre 75,9% au trimestre précédent. Face à cette situation et à l’atonie de la demande intérieure, la Chine a commencé à exporter ses produits à l’étranger afin de tirer parti de ses capacités excédentaires.

En 2023, les exportations globales de VE ont augmenté de 70%, l’Union européenne étant le plus grand destinataire, représentant environ 40% de ces exportations. En outre, les exportations de modules solaires de la Chine ont atteint environ 220'000 mégawatts (MW) de capacité de production en 2023, soit une augmentation de plus de 55'000 MW par rapport à 2022.

À l’approche des élections américaines de novembre, il est peu probable que la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine s’apaise, que ce soit sous la présidence de M. Biden ou de M. Trump, car les deux partis ont montré des velléités de redoubler d’efforts en matière de droits de douane. M. Trump, pour contraster la délocalisation des capacités chinoises à l’étranger, envisage d’imposer des droits de douane de 10% sur toutes les importations, car «ils (la Chine) entrent et volent nos emplois, ils volent nos richesses, ils volent notre pays». 

Cela soulève la question de savoir comment rester compétitif dans les pays où les coûts sont plus élevés. Alors que l’approche traditionnelle se concentre sur l’innovation et la production de produits de grande valeur avec des marges bénéficiaires plus élevées et moins sensibles aux coûts de production, la situation actuelle incite à s’appuyer davantage sur le soutien et les incitations des pouvoirs publics. La durabilité de ces mesures est cruciale, car elles peuvent être coûteuses et nécessitent un engagement à long terme. Ces initiatives entraînent une augmentation des déficits budgétaires dans des pays déjà lourdement endettés. Enfin, des pressions inflationnistes sont possibles, car les coûts plus élevés peuvent être répercutés sur les consommateurs. Face à deux grandes puissances concurrentes, il est essentiel de trouver un équilibre délicat entre ces facteurs pour maintenir la compétitivité.

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