Réforme de l’AVS: ne pas se tromper de combat

Julie Pignier, Synergix

3 minutes de lecture

Le débat est complexe et ne peut – ne doit pas être résumé à des slogans de campagne réducteurs.

Après des échecs en 2004 et 2017, le peuple suisse est à nouveau appelé à se prononcer sur une révision de l’AVS le 25 septembre prochain. Depuis son entrée en vigueur en 1948, l’AVS fait régulièrement objet de votations et soulève des problématiques fondamentales comme la solidarité (intergénérationnelle ou de revenu), le financement des assurances sociales, ou un vieillissement de la population. Il va donc sans dire que le sujet touche une corde sensible. Une simple assurance devient donc un élément fondamental de comment nous nous définissons en tant que peuple, en tant que société. Difficile alors de faire fi de la passion et des biais cognitifs qui animent la condition humaine.

Et pourtant, il le faut, car en essayant de comprendre les enjeux et les mécaniques du système et de la réforme proposée, on est aspiré dans un labyrinthe sans fin, sorte de poupée russe qui nous emmène d’une complexité à la suivante, au fil des couches. Dans ce contexte, proposer une analyse claire et apolitique est primordiale.

Une réforme, 2 objets

L’assurance vieillesse est le premier pilier de la prévoyance sociale suisse et est obligatoire. Elle profite à toutes les personnes qui habitent ou travaillent en Suisse et a pour but de couvrir les besoins vitaux de la personne assurée.

Les cotisations sont payées à part égale par l’employeur et le salarié. Le taux de cotisation est actuellement de 10,6% (donc 5,3% pour l’employeur et 5,3% pour le salarié).

La réforme qui sera votée a pour but de garantir le financement de l’AVS pour les 10 prochaines années et de maintenir le niveau actuel des rentes.

  • Le premier consiste à augmenter la TVA pour financer une partie de l’AVS
    Le taux normal de la TVA passerait de 7,7% à 8,1%. Le taux réduit (s’appliquant sur les médicaments, denrées alimentaires, journaux, revues, livres etc) passerait de 2,5% à 2,6% et le taux pour l’hébergement de 3,7% à 3,8%.
  • Le second consiste à adapter les prestations de l’AVS, soit à progressivement augmenter l’âge de la retraite pour les femmes à 65 ans, par palier et en proposant des mesures compensatoires pour la tranche d’âge (femmes nées entre 1961 et 1969) qui se verrait défavorisée par la transition.

La reforme permettrait en outre un départ à la retraite plus flexible pour les femmes et les hommes, puisque la rente pourrait commencer à être perçue n’importe quand entre 63* et 70 ans.

La réforme n’entrant en vigueur que si les 2 objets sont acceptés, les argumentaires de tous bords prêtent rapidement à confusion car amalgames et raccourcis sont vite entachés de plaidoiries politiques.

Est-ce que les rentes des femmes sont inférieures?

En un mot, oui. Toutefois, une phrase importante, mais qu’il convient de décortiquer attentivement est qu’il n’est pas acceptable de faire travailler les femmes plus longtemps pour remplir les caisses de l’AVS, compte tenu du fait qu’elles «touchent déjà des rentes d'un tiers inférieures à celles des hommes».

Une étude réalisée par l’Office fédéral des assurances sociales et le Bureau fédéral de l’égalité entre femmes et hommes et parue en 2016 s’est penchée sur les disparités de rentes entre femmes et hommes. Il en est ressorti à l’époque que les rentes des femmes étaient en moyenne 37% inférieures à celles des hommes. En revanche, il est primordial de noter que le terme «rente» inclut le 1e pilier, soit l’AVS, le 2e pilier, soit la LPP et le 3e pilier qui est la prévoyance privée et facultative.

Lorsque l’on regarde les chiffres de cette étude à la loupe, on s’aperçoit que l’écart des rentes de l’AVS entre hommes et femmes était de 2,7%. Lors de la dernière étude en 2021, les rentes AVS des femmes étaient même légèrement supérieures à celles des hommes.

On continue à ouvrir la poupée russe

Si l’inégalité des sexes dans les rentes ne s’explique pas par un déficit féminin du 1er pilier, il faut alors chercher ailleurs. Le site de la confédération fait état d’un écart du salaire moyen de 19% entre les hommes et les femmes. Seulement voilà, 54,6% de cette différence salariale est expliquée par des facteurs objectifs tels que l’ancienneté, le niveau de formation, ou le secteur d’activité parmi d’autres. Cela nous ramène donc à un écart salarial potentiellement discriminatoire de 8,6%.

Là où le bât blesse est l’écart important dans la prévoyance professionnelle (2e pilier), pour laquelle les femmes ont un déficit de 67% par rapport aux hommes. Le facteur principal de la disparité des rentes n’est donc pas le premier, mais le 2e pilier. Ici encore, les disparités sont à analyser avec soin, car beaucoup de facteurs sont à prendre en considération, puisque chaque employeur cotise forcément à la même hauteur, quel que soit le sexe de ses employés. Ainsi, la différence constatée dans les rentes peut émaner de parcours professionnels différents dû à la répartition des rôles dans la famille, notamment lors de l’arrivée d’enfants: taux d’occupation et salaire moins élevé des femmes (dû au choix du temps partiel), interruptions d’activité plus fréquentes par exemple. En effet, ce sont encore souvent les femmes qui, après la fondation d’une famille, assument les tâches liées à l’éducation des enfants.

Quelle que soit l’issue de cette question salariale, force est de constater que nous sommes désormais hors sujet dans le cadre d’une réforme AVS.

En conclusion

Il s’agit là d’un sujet extrêmement délicat. Au-delà d’une quelconque incitation au vote, il nous parait fondamental d’engager la conversation et se poser des questions (il n’y a d’ailleurs pas de «mauvaises» questions) et que tout un chacun consulte son propre certificat de prévoyance que nous recevons chaque année et qui est disponible sur demande auprès de l’assurance LPP de votre employeur.

Pour beaucoup d’entre nous, la retraite est souvent un sujet flou, compliqué et franchement pas très drôle. Cependant, les bénéfices de s’y intéresser à temps et d’en comprendre les enjeux sont inestimables pour soi, ses proches et l’ensemble de la société.

Le débat est complexe et ne peut – ne doit pas être résumé à des slogans de campagne réducteur. Les professionnels et les médias ont un rôle plus important à jouer que les instances politique dans une votation qui nous met face à des questions identitaires fondamentales.

Cette réforme n’est pas une question de politique mais de simple comptabilité!

 

* Sauf pour les femmes nées entre 1961 et 1969 qui pourront continuer à percevoir une rente anticipée à partir de 62 ans

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