Réagencer les portefeuilles dans un monde post-COVID-19

James Mazeau, UBS Global Wealth Management

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Le choix des actifs au sein des portefeuilles doit changer pour tenir compte des taux ultrabas.

©Keystone

La remontée des actions mondiales s'est poursuivie ces derniers jours. Le S&P 500 et l'Euro Stoxx 50 ont regagné respectivement 29% et 21% par rapport à leur creux de mars. La volatilité des actions a également diminué. L’indicateur VIX de la volatilité du marché financier américain a d’ailleurs reculé de 9 points la semaine passée (à 28). C'est la première fois qu'il tombe en dessous de 30 depuis fin février, avant l'effondrement des actions. 

Avec la stabilisation des marchés, les questions des clients lors des visioconférences organisées par UBS reflètent des inquiétudes quant à la bonne répartition des portefeuilles. Les allocations d'actifs conventionnelles sont-elles toujours d'actualité? Faut-il détenir plus de liquidités? Voici quelques esquisses de réponses à ces questions et à d'autres fréquemment posées.  

1. Les allocations d'actifs traditionnelles ont-elles encore un avenir dans un régime de taux d'intérêt nuls/négatifs? 

Les principes sous-tendant l'allocation d'actifs traditionnelle restent intacts, notamment la diversification entre classes d'actifs pour réduire les risques individuels et la répartition entre actifs afin de maximiser les rendements attendus pour un niveau de risque souhaité. Cela dit, le choix des actifs au sein des portefeuilles doit changer pour tenir compte des taux ultrabas. 

L'or et les obligations indexées sur l'inflation du Trésor US
fournissent une certaine protection contre les risques d'inflation accrue. 

Le financement de niveaux élevés de dette publique nécessitera probablement une combinaison de répression financière, de pression fiscale accrue et d'inflation un peu plus élevée. Tout cela équivaudra dans les faits à une taxe sur les épargnants prudents, obligeant donc les investisseurs à revoir la place des obligations et des liquidités dans leurs portefeuilles. 

Les alternatives de diversification – notamment les stratégies d'options et d'allocation dynamique et les marchés non cotés – sont appelés à jouer un rôle plus important, de même que des actifs comme l'or et les obligations indexées sur l'inflation du Trésor américain (TIPS), qui fournissent en outre une certaine protection contre les risques d'inflation accrue. 

Des taux d'imposition potentiellement plus élevés, combinés à la forte volatilité des marchés financiers, augmenteront également l'importance de la planification financière.  

2. Comment expliquer la divergence entre les marchés d'actions (en tendance haussière) et le crédit (à l’évolution baissière)? 

La différence est due aux facteurs de valorisation de ces deux classes d'actifs. Les écarts de crédit reflètent une prime de liquidité, le risque de défaillance, ainsi qu'une probabilité de perte. Le cours d'une action reflète la valeur actualisée nette (VAN) de tous les versements attendus de dividendes futurs. 

En mars, lorsque les marchés se sont effondrés et que les mouvements des différentes classes d'actifs étaient fortement corrélés, les actions et le crédit ont tous deux fortement chuté. Il fallait s'y attendre, car les marchés intégraient une probabilité accrue de défaillances. Or si une entreprise fait faillite, on ne s'attend plus à des dividendes futurs. 

Le crédit est plus affecté par le fait que le risque
de défaillance à court terme reste élevé.

En outre, dans la foulée, les primes de liquidité ont nettement augmenté, ce qui a un impact plus important sur le crédit que sur les actions, car le crédit est moins homogène et se négocie en plus gros volumes que les actions. Maintenant que la réponse massive et rapide des gouvernements et des banques centrales a rendu le scénario de dépression beaucoup moins probable, les actions intègrent une reprise plus nette que les obligations. En effet, les actions offrent des perspectives au-delà des faiblesses à court terme et prennent en compte tous les flux de trésorerie futurs sur un horizon temporel illimité. 

Le crédit, en revanche, est plus affecté par le fait que le risque de défaillance à court terme reste élevé. En fait, beaucoup de courbes de crédit sont plates ou inversées, reflétant la conviction que si une entreprise fait faillite, ce sera bientôt et non à longue échéance.

3. Les marchés d'actions ont-ils touché le fond? 

Les actions mondiales ont fortement rebondi depuis leurs planchers de mars. Globalement, ils se situent désormais entre les scénarios central et haussier de la Recherche d’UBS. Les mesures de relance budgétaires et monétaires, promulguées à une vitesse et une ampleur sans précédent, ont contribué à ce rebond. On peut s’attendre à ce que les décideurs politiques continuent de lutter contre la déprime économique due au coronavirus. 

Pendant ce temps, les économies assouplissent lentement les restrictions, et les derniers développements médicaux semblent positifs. Si l'on se fie à l'expérience historique, le gros du bradage devrait être passé. Sur les sept marchés baissiers depuis la Seconde Guerre mondiale, la chute moyenne était d'environ 34,5% pour les actions des grandes capitalisations américaines, comme le S&P 500. Lors de la vente massive de mars, la chute maximale a été de 33,9%.

Mais cela ne doit pas conduire à exclure le scénario négatif de la Recherche d’UBS, qui prévoit une chute du S&P 500 à 2100 d'ici la fin de l'année. Cette nouvelle baisse pourrait être due à une deuxième grande vague d'infections virales suite à la réouverture des économies, entraînant une incapacité à redémarrer durablement l'activité économique jusqu'en juin 2021. 

Pour se protéger contre ce scénario, il serait judicieux de conserver un niveau adéquat d'obligations de haute qualité, d'envisager des stratégies d'allocation dynamiques permettant d'ajuster l'exposition aux actions selon les conditions du marché et d'incorporer des diversifications alternatives comme l'or, les TIPS, les hedge funds ou les solutions structurées avec une certaine protection du capital.

4. Au vu des perspectives incertaines, ne faudrait-il pas de détenir plus de liquidités? 

Pendant la crise du coronavirus, beaucoup d'investisseurs se sont tournés vers la sécurité perçue des liquidités. D'après les chiffres de l'Investment Company Institute, les actifs des fonds du marché monétaire américain ont augmenté à 4’700 milliards de dollars, soit un gonflement de plus de 1’000 milliards en huit semaines. 

Si se ruer vers la sortie peut sembler une option sûre,
l'inflation érode la valeur réelle des liquidités au fil du temps.

En comparaison, lors de la dernière crise financière mondiale en 2008, les fonds du marché monétaire ont augmenté de moins de 500 milliards. Et la crise a souligné l'importance de maintenir des liquidités adéquates et d'éviter le surendettement, afin de permettre aux investisseurs de respecter leurs obligations sans être obligés de vendre sur des marchés en baisse.

Mais si se ruer vers la sortie peut sembler une option sûre, l'inflation érode la valeur réelle des liquidités au fil du temps. Il existe toutefois plusieurs alternatives plus judicieuses que détenir des liquidités excédentaires aux besoins. Il y a des opportunités dans le crédit, valorisé plus près du scénario baissier d’UBS. Parmi les actions, on peut conseiller de renforcer les positions à long terme grâce à une stratégie d'échelonnement (averaging-in). 

Pour les investisseurs qui peuvent négocier des options, la vente d'options put permet de réduire le coût d'opportunité d'une stratégie de transition (phase-in). Par ailleurs, une approche sélective des actions peut aider à éviter certains risques, et il existe de bonnes opportunités dans certains titres cycliques, stables et défensifs, ainsi que dans des thèmes de plus long terme susceptibles d'être stimulés par la pandémie.  

5. Que penser de l'or, dans ce contexte d'afflux monétaires massifs et de taux ultrabas? 

Dans l'environnement actuel, l'or joue deux rôles principaux. Le premier est d’offrir une alternative de diversification dans les portefeuilles. Etant donné l'expansionnisme des banques centrales, y compris l'extension massive des programmes d'assouplissement quantitatif, il est prévisible que les taux resteront bas encore longtemps.

Avec les faibles rendements offerts par les obligations d'Etat de longue durée, la protection à la baisse offerte par les obligations nominales coûtera plus cher, ce qui signifie qu'il faudra sans doute envisager d'autres diversifications dans les portefeuilles, tels l'or ou les bons du Trésor protégés contre l'inflation (TIPS).

Le deuxième rôle de l'or est de protéger contre l'inflation future. La dernière décennie a montré que stimuler l'inflation n'est pas simple. Mais étant donné que la monétisation potentielle de la dette pourrait entraîner une inflation plus élevée, l'or et les TIPS peuvent fournir une protection à ce niveau. 

La Recherche d’UBS voit positivement l’évolution de l'or pour les douze prochains mois, car il faut s’attendre à ce que les taux d'intérêt réels s'enfoncent encore davantage en territoire négatif, à ce que l'USD se déprécie à mesure que les économies se redressent et à ce que la volatilité persiste sur les marchés d'actions.

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