Si on se place dans le scénario d’une inflation salariale qui perdure, il sera difficile de faire baisser de manière importante le rythme de l’inflation en zone Euro, ce qui entrainera une hausse des anticipations d’inflation.
Le délai de transmission des politiques monétaires à l’économie réelle a fait l’objet de nombreux papiers de recherche au cours des dernières décennies, avec des conclusions qui peuvent varier de manière très significative. Les conclusions académiques pourraient être résumées de la manière suivante:
- Les politiques monétaires restrictives mettent plus de temps à se matérialiser que les politiques monétaires expansionnistes.
- Les effets ne sont pas linéaires, ce qui signifie que les effets initiaux peuvent différer des effets à plus long terme. Par exemple, une hausse initiale des taux d'intérêt peut entraîner une réaction immédiate plus marquée dans certains secteurs sensibles aux taux d'intérêt, comme le secteur immobilier ou les prêts à la consommation, avant que les effets se propagent progressivement à l'ensemble de l'économie.
- Les délais de transmission peuvent varier entre 3-6 mois jusqu’à 3 ans, en fonction de la stabilité financière et de l’efficacité des canaux de transmission monétaires.
Etant donné les caractéristiques du cycle actuel, il semble assez logique de penser que le délai sera plutôt proche des bornes hautes. Nous sortons en effet de dix ans de politiques monétaires extrêmement accommodantes qui ont permis à la grande majorité des acteurs du secteur privé d’aborder cette nouvelle phase avec des bilans sains et des coûts de financement très faibles. Les hausses de taux ont de ce fait un impact assez limité sur eux. Il nous faut aussi considérer que si les politiques monétaires sont devenues restrictives, ce n’est pas du tout le cas des politiques budgétaires qui ont été et sont toujours très généreuses: plus les gouvernements protègent leur économie en limitant les effets négatifs de l’inflation, plus cette inflation est difficile à éliminer, ce qui force les banques centrales à mener des politiques monétaires de plus en plus restrictives.
Prenant en compte l’ensemble de ces éléments, il est logique pour la BCE de penser que les effets de leur resserrement monétaire soient plus palpables en 2024 qu’en 2023.
Si on prend en compte la vigueur actuelle du marché de l’emploi, le manque de main d’œuvre disponible et la volonté pour les salariés de regagner tout ou parti du pouvoir d’achat perdu au cours des deux dernières années, il est probable que l’inflation salariale se poursuive dans les mois ou trimestres à venir. Et si les politiques budgétaires continuent à supporter les ménages et donc la consommation, qui constitue un peu plus de la moitié (51,6%; Source Eurostat) de la croissance en zone Euro, il est même possible de voir cette inflation salariale se poursuivre plus longtemps. Tant que l’inflation salariale restera autour de 4-5%, soit le rythme actuel, il sera extrêmement difficile de voir l’inflation «core» baisser de manière importante au sein de la zone Euro.
Les marchés anticipent une inflation autour de 3% en fin d’année et une inflation «core» plus élevée, soit autour de 4%. (Source: Bloomberg) Il est intéressant de noter que la dispersion autour des prévisions sur l’inflation «core» est aujourd’hui assez élevée, ce qui n’est pas illogique étant donné les fortes incertitudes actuelles. Si on se place dans le scénario d’une inflation salariale qui perdure, il sera difficile de faire baisser de manière importante le rythme de l’inflation en zone Euro, ce qui entrainera une hausse des anticipations d’inflation. Aujourd’hui, le marché anticipe une baisse des taux d’intérêt d’environ 80bps de la part de la BCE en 2024. Toutefois dans le scénario d’une inflation qui perdure, ces baisses de taux n’auraient plus vraiment de raison d’être.
Tout dépendra in fine aussi de la capacité de résistance de l’économie européenne, dont la croissance est aujourd’hui au mieux proche de 0, et de la dynamique de l’offre et de la demande de crédit. Un évènement de crédit pourrait venir mettre à mal la stabilité financière si chère à la BCE, accélérant brutalement la vitesse de transmission monétaire, mais nous n’en sommes pas là actuellement.