Private equity: nouveaux clients, nouvelles règles

Levi-Sergio Mutemba

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Les contrôles et les vérifications des fonds des marchés privés par le régulateur américain se multiplient.

©Keystone

Lors de sa nomination en tant que directeur de la division de mise en application de la Securities & Exchange Commission (SEC), en juillet 2021, Gurbir Grewal avait annoncé la couleur. A savoir, intensifier le rythme des enquêtes sur les pratiques des fonds de private equity. En particulier celles relatives aux commissions de gestion facturées au client. L’an prochain, un certain nombre d’amendements significatifs devraient ainsi entrer en vigueur aux États-Unis. La raison de cette évolution réglementaire est assez simple. On ne surveille pas de la même façon une industrie qui a triplé de volume en à peine dix ans.

En décembre 2021, soit cinq mois après l’arrivée de Gurbir Grewal à la tête de la Division of Enforcement du gendarme de la bourse américaine, le conseiller de fonds privés basé au Connecticut, Global Infrastructure Management (GIM), fut condamné à verser une amende de 4,5 millions de dollars. Et à restituer 5,4 millions au titre de commissions de gestion facturées de façon jugée inappropriée. GIM aurait en effet omis de déduire des commissions divers frais qui auraient dû l’être, selon les dispositions contractuelles.

Citons également le cas d’Energy Capital Partners (ECP), basé au New Jersey. Dans le cadre d’une transaction consistant à faire sortir une entreprise de la cote en 2018, ECP avait assuré à des co-investisseurs que ceux-ci n’auraient pas à assumer les frais occasionnés par l’obtention d’un crédit visant à financer l’opération. «L’enquête de la SEC a montré que ECP a affecté une part disproportionnée de ces frais à un fonds de private equity auquel il fournissait des services de conseil», lit-on dans les archives de la SEC datées de juin 2022.

«Ces précisions réglementaires accompagnent la future commercialisation des fonds auprès du grand public.»

Cette année, il y a environ trois mois, un nouveau cas similaire survient par le biais de la firme new-yorkaise Insight Venture Management (Insight). Qui s’est vue infliger une amende de 1,5 million de dollars et contrainte de restituer près de 900’000 dollars aux investisseurs. La SEC a estimé que la société avait calculé les commissions sur une base agrégée au niveau de la société, au lieu de les calculer sur une base individuelle au niveau de chaque fonds. Insight a également omis de renseigner les investisseurs sur les critères retenus pour juger ou non d’une perte de valeur permanente des actifs. Ce qui a une incidence sur la base de calcul des frais de gestion.

«Avec le nombre croissant de vérifications et d’activités de mise en conformité, ainsi qu’un nombre sans précédent de règlements, l’industrie des fonds privés est en effet au centre de l’attention de la SEC», préviennent les avocats spécialisés du cabinet américain Schulte, Roth & Zabel. Qui recommandent à leurs clients de s’adapter au plus tôt, si ce n’est déjà fait, à la nouvelle et imminente configuration réglementaire.

«Ces précisions réglementaires accompagnent la future commercialisation des fonds auprès du grand public», souligne pour sa part Cyril Demaria, professeur affilié à l’EDHEC, contacté par Allnews. «C’est-à-dire à une nouvelle catégorie de souscripteurs qui a ses propres exigences», précise l’auteur d’Asset Allocation and Private Markets. Ce nouveau profil d’investisseur se distingue en effet de celui des grandes fortunes, ces dernières étant plus familières des mécanismes opérationnels et des règles contractuelles formulées par les gérants. Dont celles relatives aux frais de gestion et aux commissions de performance.

De plus, poursuit Cyril Demaria, l’écosystème des marchés privés présente une asymétrie importante entre le nombre de gérants de fonds privés, qui demeure réduit, et la quantité importante d’investisseurs prêts à payer des frais plus élevés pour avoir accès à des rendement potentiellement supérieurs. «Dans de telles conditions, les gérants jouissaient dans l’ensemble d’un plus grand pouvoir de négociation vis-à-vis des souscripteurs.»

«En tant qu’arbitre, le régulateur doit être en mesure de dire ce qu’il est convenable de communiquer.»

Les choses ont cependant évolué. Selon Cyril Demaria, les fonds auraient en effet «saturé leur potentiel de clients institutionnels», tels que les fonds ou caisses de retraite. «Leur relais de croissance réside désormais de plus en plus dans une clientèle de masse, pouvant investir entre 100’000 et 1'000’000 de francs et qu’il convient de protéger davantage que ne le sont les très grands clients mieux informés», explique-t-il.

«En tant qu’arbitre, le régulateur doit par conséquent être en mesure de dire ce qu’il est convenable de communiquer à cette nouvelle catégorie de clients», ajoute Cyril Demaria. Tout en précisant que les marchés privés relèvent d’une relation strictement contractuelle entre le gérant et son client. Ce qui limite le régulateur dans sa capacité à quantifier les coûts, les commissions ou les frais de gestion appropriés.

Enfin, les choses ne sont pas gravées dans le marbre. Ce, dans la mesure où ces mises à jours réglementaires sont en cours d’élaboration (jusqu’en 2024) et vis-à-vis desquelles les gérants, juridiquement débordés, pourraient afficher une certaine résistance. «Les fonds américains en particulier pâtissent déjà du fait que les souscripteurs n’étant pas des citoyens des Etats-Unis affrontent un effort dissuasif de conformité fiscale américaine», conclut Cyril Demaria.

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