Pourquoi n’y a-t-il pas encore eu de récession aux Etats-Unis?

James Mazeau, UBS Global Wealth Management

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Pour que le discours ambiant globalement optimiste tienne, encore faut-il que la désinflation se déroule sans accrocs.

© Keystone

Depuis l’été dernier, le scénario qui fait consensus est celui d’une récession imminente aux Etats-Unis. La logique est claire: le relèvement drastique des taux directeurs devrait restreindre la demande et freiner la croissance. Le tout dernier sondage de Bloomberg auprès des économistes professionnels montre que 65% d’entre eux s’attendent à une récession dans les douze prochains mois.

Néanmoins, la récession la plus anticipée de ces dernières décennies est devenue celle qui se fait le plus attendre, pour un certain nombre de raisons. Explications en trois points.

  1. La politique monétaire n’est pas excessivement restrictive
    La Fed a relevé ses taux de 500 points de base depuis mars 2022. Il s’agit du relèvement le plus rapide depuis le début des années 1980. Néanmoins, à bien des égards, la politique monétaire n’est que modérément restrictive et c’est le cas depuis à peine six mois.
    Par exemple, le taux réel des fonds fédéraux – le taux nominal corrigé de l’inflation telle que mesurée par l’indice des dépenses de consommation personnelles – n’est passé dans le positif que cette année. Les indices des conditions financières suggèrent que la politique monétaire est devenue moins restrictive en 2023.
    Par ailleurs, compte tenu du niveau du déficit fédéral exprimé en pourcentage du PIB, la politique budgétaire est implicitement redevenue expansionniste depuis six à neuf mois. La politique budgétaire a également eu un impact indirect positif sur la croissance cette année en raison des récentes politiques industrielles (Inflation Reduction Act, CHIPS Act) qui ont incité les entreprises à investir.
     
  2. Le secteur privé est fondamentalement en bonne santé
    La situation financière des ménages et des entreprises ainsi que la demande de travail sont meilleures qu’en temps normal à l’approche d’une récession, ce qui permet d’atténuer le ralentissement économique. Des ratios tels que la dette des ménages rapportée à leur revenu disponible ou la dette des entreprises rapportée au PIB ne sont pas excessifs. Par exemple, le service de la dette des ménages avoisine toujours les 9%, au plus bas depuis 40 ans. Malgré le durcissement des conditions de crédit, la plupart des entreprises y ont toujours accès.
    Plus de 25 millions d’emplois ont été créés depuis l’amorce de la reprise actuelle en mai 2020 et, selon le rapport JOLTS (Job Openings and Labor Turnover Survey), il y a plus de 10 millions de postes vacants. Même si certaines entreprises de premier plan ont annoncé d’importantes suppressions d’emplois depuis le quatrième trimestre, de nombreuses sociétés font toujours état de difficultés de recrutement et la plupart d’entre elles semblent réticentes à l’idée de licencier du personnel.
     
  3. L’économie américaine a évolué et est désormais moins cyclique
    La pandémie a faussé l’analyse du cycle économique et a rendu les données difficiles à interpréter. Pendant la pandémie, la demande de biens a fortement augmenté, ce qui a soutenu l’activité manufacturière. Ensuite, lorsque les dépenses se sont normalisées, la demande s’est reportée sur les services.
    Avec le contrecoup de la pandémie, des segments spécifiques de l’économie ont connu des ralentissements ou de véritables récessions mais ces derniers ne surviennent pas simultanément dans tous les secteurs. Cela pourrait éviter à l’économie de connaître une récession générale.
L‘impact des services

Néanmoins, l’économie a échappé à la récession non seulement parce que le dynamisme du secteur des services a compensé la faiblesse du secteur manufacturier, mais aussi parce que les activités tertiaires sont prépondérantes dans l’économie américaine (81% de la production totale du secteur privé).

Cette économie tertiarisée, fondée sur la connaissance et moins sensible aux taux d’intérêt et au prix du pétrole, est plus flexible. Elle peut s’adapter rapidement à l’évolution de la demande. Par conséquent elle est moins cyclique et sujette aux récessions sauf en cas de choc.

Récession? Ou pas?

Alors, cette récession qui se fait attendre finira-t-elle par se produire? La croissance devrait encore ralentir au second semestre mais il n’est pas certain que l’économie entre en récession. La dynamique de croissance actuelle est suffisamment forte pour que la récession ne débute pas avant le quatrième trimestre au plus tôt, sauf en cas de choc d’offre négatif ou d’événement de crédit.

La probabilité d’une récession dépendra plutôt surtout de la politique monétaire: si cette dernière devient plus restrictive, elle finira par amener les ménages à réduire leurs dépenses. Il faudra peut-être au moins deux relèvements de taux supplémentaires de la Fed mais il est également possible que la politique monétaire fasse sentir ses effets avec un retard plus important lors du cycle actuel et que le resserrement opéré jusqu’ici soit suffisant pour faire céder la consommation des ménages.

Les conditions de l’optimisme

Pour que le discours ambiant globalement optimiste tienne, encore faut-il que la désinflation se déroule sans accrocs et, du point de vue de l’investissement, la valorisation des actions ne reflète pas la survenance d’une récession. Néanmoins, comme la valorisation des actions américaines reflète la perspective d’un atterrissage en douceur quasiment parfait, les obligations de grande qualité ont un meilleur profil risque/rendement que les actions.

S’agissant des actions, leur progression depuis le 1er janvier est le fait d’une poignée de valeurs de croissance, ce qui suggère l’existence d’un potentiel de rattrapage pour les titres moins chers restés à la traîne. Et si jamais la récession finit par se matérialiser, les pans plus défensifs et plus abordables du marché surperformeront probablement.

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