Nous avons de plus en plus tendance à développer des comportements similaires à ceux du criquet pèlerin.
Si vous cherchez le mot phéromones dans Google, vous trouverez la définition suivante: «Les phéromones sont des transmetteurs utilisés pour la communication biochimique entre les organismes d’une espèce».
Cela vaut donc également pour l’espèce humaine, car nous le savons tous: tous les humains n’ont pas la même odeur, raison pour laquelle on trouve l’expression suivante dans le langage populaire: «Je ne peux pas du tout le sentir». Dans le cas des sauterelles, les phéromones auraient apparemment des effets fatals. Elles incitent les sauterelles à former des nuées. Des scientifiques de l’académie chinoise des sciences ont découvert les raisons de ce phénomène. Les criquets pèlerins s’attirent mutuellement, parce qu’ils disposent de certaines cellules sensorielles qui se trouvent dans leurs antennes et qui leur permettent de capter l’odeur des phéromones. Cette odeur agit comme une substance attractive irrésistible et déclenche ainsi la formation fatale de nuées. Ceux qui s’y intéressent trouveront des explications détaillées dans un article «4-Vinylanisole is an aggregation pheromeone in locusts» paru dans le magazine Nature (édition 584 du 27 août 2020).
La sensibilité de nos cellules sensorielles n’est certes en rien comparable aux antennes des insectes. Il n’empêche que nous avons de plus en plus tendance à développer des comportements similaires à ceux du criquet pèlerin. Il y a différentes raisons à cela. Une prospérité croissante et la mondialisation font qu’il y a aujourd’hui de plus en plus de hotspots touristiques dans le monde. D’un côté, la base de clientèle n’a cessé de croître et atteint désormais une taille inépuisable, de l’autre les prix pour tout type de voyage sont aujourd’hui bien moins chers qu’au début de la mondialisation. Le tourisme de masse est l’émanation polluante de ces deux phénomènes, car il ratisse littéralement presque toutes les destinations de vacances aujourd’hui. Il y a une trentaine d’année, qui pouvait bien se permettre de passer ses vacances à Bali ou de s’envoler quelques jours à New York pour son shopping de Noël?
Aujourd’hui, ce n’est certes pas encore le cas de tout le monde, mais ceux qui le peuvent sont indéniablement déjà trop nombreux. Barcelone ou Venise en savent quelque chose, elles qui sont submergées par des nuées de touristes, d’autant que ces derniers sont tous sauf délicats. Du bruit et des déchets partout sont les vestiges des insatiables criquets à deux pattes. Les espèces autochtones sont progressivement évincées.
Depuis bien longtemps, les destinations chics ne sont plus les seules à être submergées, car désormais seuls les touristes de masse sont encore hypés par les hotspots connus. Ceux qui veulent se donner de l’importance se différencient des masses, recherchent les recoins spéciaux, originaux, que peu de gens connaissent, quitte à s’y contenter de quelques selfies. C’est ce qui leur permet encore de se distinguer de la nuée des criquets. Les phéromones correspondantes sont diffusées numériquement par les influenceurs et bloggeurs-voyageurs beaucoup trop nombreux, souvent irréfléchis et donc, à mon avis, irresponsables, qui nous informent des dernières tendances et des endroits vraiment douillets sur le réseau mondial. Selon le nombre de leurs followers, leurs conseils déclenchent une nouvelle vague de touristes à laquelle la destination ne peut plus faire face. Ce qui hier encore était un conseil d’initié est aujourd’hui à l’ordre du jour et sera dépassé et dévasté demain.
En Suisse aussi, nous avons connu des expériences similaires, par exemple dans le restaurant de montagne Äscher (Wildkirchli) dans l’Alpstein qui a été pris d’assaut en 2018 après avoir été prisé sur le web au point que le couple de restaurateurs a fini par jeter l’éponge. Mais de nombreuses destinations profitent aussi de la propagation virale des transmetteurs. L’hôtel Villa Honegg à Ennetbürgen a connu un véritable boom après qu’une vidéo de la piscine à débordement ait été visionnée plus de 120 millions de fois sur le réseau, ce qui a beaucoup réjoui l’hôtelier. Le chiffre d’affaires est aujourd’hui appréciable. Une interdiction de prendre des photos a en revanche dû être décrétée aux abords de la piscine, car les clients de l’hôtel étaient gênés par cette manie des selfies. Désormais, environ 20% des jeunes de 18 à 30 ans réservent des destinations qu’ils voient sur Instagram et publient bien sûr à leur tour des photos sur Instagram, ce qui se traduit bien souvent par une croissance exponentielle. On a de toute façon l’impression qu’il s’agit moins de voir et d’expérimenter que de montrer à quel point les lieux où l’on est en train de prendre des selfies sont exotiques. Lorsqu’il m’arrivait autrefois de découvrir un endroit particulièrement beau, où qu’il soit, j’essayais autant que possible de le garder secret, sachant que sa beauté finirait vite par se faner au contact de la foule. Aujourd’hui, un bon tuyau ne semble plus en être un que s’il est partagé par le plus grand nombre et peut espérer de nombreux clics. Mais alors, les phéromones repartent appâter les sauterelles.
Cette tendance a connu une rupture passagère, grâce au coronavirus. Mais, comme nous pouvons l’entendre désormais, nous avons renoué avec la folie de 2019, lorsque de nombreuses destinations craquaient sous toutes leurs coutures. La seule chose qui permette encore de tenir les nuées à distance, c’est le prix. Mais alors même que le prix des billets d’avion et des hôtels a fortement augmenté, cela ne semble pas suffire à arrêter les foules.
Heureusement, je connais encore l’un ou l’autre endroit, parfois très proche, que je peux atteindre sans même avoir à monter dans une centrifugeuse à kérosène. Mais ils se raréfient de plus en plus. Un petit conseil, si vous êtes dans la même situation. Ne révélez pas vos informations et surtout évitez les posts.