Petites hypothèses entre experts

Salima Barragan

2 minutes de lecture

Tout ce que nous avons appris sur l’inflation est bon à jeter…

©Keystone

Jamais comme aujourd’hui, l’inflation n’aura autant divisé les experts. A la sortie d’une crise inédite, les spéculations vont bon train. Absente de nos économies depuis une décennie, certains prédisent que l’inflation reviendra plus vite qu’on ne le pense, alors que d’autres la considèrent comme définitivement morte et enterrée. Les plus pessimistes voient le spectre de la déflation pointer le bout du nez. Et les théories classiques semblent bien désuètes pour interpréter le monde d’aujourd’hui.

Un avenir sans inflation?

Dans un univers de taux d’intérêt très bas - voire négatifs – avec des économies qui, avant le confinement, s’approchaient du plein emploi, George Muzinich, fondateur de la firme éponyme, explique que l’on aurait dû théoriquement voir déjà poindre l’inflation. La baisse historique du taux de chômage enregistrée avant le confinement a eu lieu sans un soupçon d’inflation et sans relèvement des taux: «Une situation exceptionnelle qui n’était pas sensée se produire», observe-t-il.

Avec la pandémie, un mouvement de démondialisation
de la production et des échanges s’amorce.

Prédire l’avenir en se basant sur l’empirisme dans un monde en constante évolution est un exercice difficile. Les nouvelles technologies et la mondialisation qui ouvrirent la voie à la production bon marché ont contenu l’inflation des pays riches. Avec la pandémie, un mouvement de démondialisation de la production et des échanges s’amorce. «Un démantèlement complet de ces circuits impliquerait une hausse des coûts de production qui, à leur tour, induiraient une progression des prix, puis des salaires, lesquels contribueraient à nouveau à augmenter les prix», explique Valérie Plagnol de Vision & Perspectives dans sa note hebdomadaire. Ce mouvement suffira-t-il pour faire décoller une inflation léthargique?

«Tant que les gouvernements ne dépensent
que les surplus d’épargne, le risque d’inflation est faible.»

Pas si sûr…La chute du prix du pétrole et la demande globale en repli devraient calmer le jeu, tout du moins pour ces prochaines années. Sereinement, la BCE s'attend à ce que l'inflation reste bien inférieure à son objectif de deux pour cent.  L’institut européen l’attend à 0,3% en 2020 et 0,8% en 2021 puis 1,3% en 2022, soit plus basse que lors de ses prévisions…pré- pandémique.

Des stimulus inédits

Alors que les banques centrales battent monnaies pour soulager les économies en souffrance, certains y voient un risque de résurgence d’inflation dormante. Selon Richard Koo de Nomura, les entreprises et les ménages tendent à augmenter leurs épargnes lorsqu’ils perdent de leur richesse. «Après la crise de 2008, le taux d’épargne privé avait fortement augmenté. Il existait donc un réservoir d’épargne à dépenser. Tant que les gouvernements ne dépensent que les surplus d’épargne, le risque d’inflation est faible», commente Yves Bonzon de Julius Baer. Mais aujourd’hui, la dynamique est complétement différente. «Il faut s’attendre à une hausse de l’épargne à court terme mais, si l’économie ne se remet pas, entreprises et ménages vont aller puiser dans ce stock avec un risque potentiel d’inflation», poursuit-il.

Si les inégalités commencent à poser des problèmes sociaux aigus, il faudra
pousser les salaires minima sans que la productivité ne s’améliore nécessairement.

Les stratégies de stimulus inédites pourraient avoir des conséquences inattendues. Un scénario possible? Pour George Muzinich, une première période de stagnation due à la peur de consommer, suivie d’une période de stagflation ou d’inflation si les autorités continuent à battre monnaie. Aussi, il relève que si les inégalités commencent à poser des problèmes sociaux aigus, il faudra pousser les salaires minima sans que la productivité ne s’améliore nécessairement. Plusieurs éléments d’inflation seront ainsi réunis: «On fera ce qu’il faut pour amener l’inflation à 2%» nous dit-il. Mais qui l’empêchera de s’emballer?

Conclusion? Le monde actuel ne répond plus aux schémas enseignés autrefois. La réflexion sur l’inflation n’échappe pas aux incertitudes.

A lire aussi...