OptimISMe?! – Weekly note de Credit Suisse

Burkhard Varnholt, Credit Suisse

5 minutes de lecture

Signes de printemps dans les pays émergents. Les marchés boursiers chinois ont le vent en poupe.

Allant de pair avec le printemps, des signes de redressement économique dans les pays émergents dopent les marchés boursiers de ceux-ci, en particulier en Chine. Nous en étudions les causes et examinons les opportunités ainsi que les risques pour déterminer si cette tendance peut se maintenir. Nous constatons également que l’étau se resserre autour du récent rallye des emprunts d’État américains, dont nos clients ont d’ailleurs pu profiter, et nous prenons nos bénéfices dans ce segment. En outre, nous tentons d’identifier quels placements recèlent encore un éventuel potentiel non détecté. Ce faisant, nous relevons qu’en termes de bénéfices, le numéro un mondial 2018 est une entreprise d’un pays émergent.

1. Les marchés boursiers chinois ont le vent en poupe – ce qui compte à présent

Le printemps s’éveille sur les marchés boursiers chinois et dans l’économie du pays. La plupart des titres cotés à la bourse des actions A de Shanghai ont progressé de plus de 33% depuis le début de l’année. Le léger redressement de l’indice des directeurs d’achat (PMI) en Chine et aux États-Unis (où il est également appelé indice ISM) a dopé les marchés boursiers asiatiques cette semaine. Avec la progression parallèle des obligations d’État, cette embellie conjoncturelle, que nous avions anticipée, offre une bonne opportunité de prendre des bénéfices: nous avons rétrogradé à neutre la part des emprunts souverains. En revanche, nous maintenons notre surpondération des actions chinoises et des pays émergents, ainsi que le niveau neutre des titres des secteurs de l’informatique, de la santé et de l’énergie. 

Mais revenons à la Chine et aux marchés boursiers des pays émergents. Voici tout d’abord deux perspectives à long terme.

Premièrement: un regard sur l’évolution des cours des places de Hong Kong («actions H») et de Shanghai («red chips»), depuis la création de celles-ci, montre combien ils sont encore loin de leur sommet historique de 2008. Le graphique 1 relativise la crainte d’une surchauffe, il expose la situation actuelle des marchés et signale un potentiel de hausse pour les investisseurs patients.

Deuxièmement, si nous élargissons notre étude aux pays émergents du monde entier, nous constatons que leurs marchés connaissent de très longs cycles de surperformance et de sous-performance. Pour les investisseurs, il peut être capital de déterminer avec exactitude dans quelle phase ceux-ci se trouvent actuellement.

Le graphique 2 laisse penser que les actions des pays émergents du monde entier suivent depuis 2017 une tendance haussière de longue durée. Pour nous en assurer, étudions en premier lieu les facteurs structurels puis cycliques. 

Le changement structurel des entreprises des pays émergents est parfaitement illustré par deux chiffres-clés financiers: 

D’une part, ces sociétés investissaient en biens d’équipement 14% en moyenne de leur chiffre d’affaires en 2011, soit le double de ce qui se pratiquait dans les économies développées. Aujourd’hui, elles ont réduit ce rapport à 9%. Autrement dit: elles sont devenues comparables à leurs homologues des pays industrialisés sur le plan structurel. D’autre part, elles sont désormais plus rentables que ces dernières. Depuis 2014, elles ont doublé les rendements moyens de leurs cash-flows libres, les faisant passer de 3% à 6%, un chiffre supérieur à celui des entreprises des économies développées (5%). Ce qui distingue les marchés boursiers des pays émergents et ceux de Chine en particulier, c’est le fait qu’en dépit de ce changement structurel, leurs cours, comparés à la valeur comptable, se négocient toujours avec une forte décote par rapport à ceux des titres occidentaux (graphique 3). Il est néanmoins fort possible que cette décote disparaisse un jour et se transforme même en prime.

Ces constats sont également confirmés par des facteurs cycliques. Nous observons par exemple que les indices des directeurs d’achat, les cours du cuivre et les chiffres du commerce international augmentent tandis que les stocks des entreprises diminuent, autant de signes qui suggèrent une reprise de la consommation et des investissements en Chine. Nous relevons une évolution similaire dans de nombreux autres pays émergents, notamment en Inde, laquelle revêt un grand potentiel, mais sa performance économique par habitant ne représente qu’un cinquième environ de celle de la Chine. En outre, un règlement du conflit commercial stimulerait une fois de plus la propension de cette dernière à dépenser et à investir, car son marché de la consommation est un géant qui se réveille.

2. Le géant se réveille

La semaine dernière déjà, j’ai fait référence à notre enquête sur les consommateurs des pays émergents «Credit Suisse Emerging Consumer Survey», laquelle désigne le marché chinois de la consommation comme étant le plus grand marché homogène des huit analysés. Quatre facteurs suggèrent que c’est également celui qui enregistre la plus forte croissance en chiffres absolus à l’échelle mondiale.

  1. S’établissant à quelque 40%, la demande intérieure représente une faible partie de la performance économique chinoise en comparaison tant internationale qu’historique.
  2. Les salaires réels en Chine augmentent de quelque 6% par an.
  3. Les citadins, très consommateurs, ne représentent que 57% de la population, alors que l’objectif officiel de développement est de 70% à l’horizon de 2030.
  4. Le niveau record de l’épargne privée en Chine devrait diminuer de plus en plus ces prochaines années sous l’effet de l’évolution démographique et des besoins d’une génération vieillissante dont l’espérance de vie est longue.

Le graphique 4 illustre le potentiel de rattrapage de la Chine.

Enfin, les politiques monétaire et budgétaire stimulent l’économie elles aussi. Alors que la réglementation du secteur bancaire parallèle, mise en place en 2018, a induit un resserrement sensible du crédit, le volume de ce dernier augmente à nouveau cette année. L’octroi de crédits commerciaux par les banques au secteur privé devrait progresser de plus de 30% en 2019. Comme l’allocation de capitaux par les banques cotées en bourse va se libéraliser dans la République populaire, les annonces de faillite pourraient paradoxalement constituer aussi de «bonnes» nouvelles, révélant que les situations d’insolvabilité ne sont plus un tabou et que la force créatrice de l’économie libre s’ancre de plus en plus dans le secteur privé du pays. Quant à la banque nationale chinoise, elle dispose toujours d’une marge de manœuvre relativement étendue. Bien qu’elle ait récemment décidé d’assouplir les prescriptions en matière de liquidités imposées aux banques et de réduire ses taux directeurs à 3%, elle possède encore davantage de latitude que la BCE ou la Banque du Japon pour opérer de nouvelles baisses.

Par ailleurs, les mesures de politique budgétaire annoncées l’année dernière (réductions d’impôts et projets d’infrastructures) commencent à prendre effet. En janvier, des crédits d’impôt ont été accordés à l’achat d’un véhicule électrique neuf. Cette semaine, le prix des iPhones en Chine a reculé sous l’effet d’un allègement de taxe. De manière générale, le gouvernement relance la consommation de voitures, d’articles de marque et de voyages. Les promoteurs, quant à eux, se portent bien. Rien d’étonnant à cela puisque l’immobilier occupe une place particulièrement importante en Chine, ce secteur représentant 10% de la capacité économique du pays, 25% des impôts communaux et 60% de l’ensemble des garanties bancaires. C’est pourquoi le gouvernement rappelle souvent que l’immobilier est destiné «à l’habitat, non à la spéculation». À cet égard, on pourrait dire que la politique économique chinoise, marquée par le conflit commercial, observe le principe prudent du «ni trop, ni trop peu».

3. Où trouver encore du potentiel?

Cette semaine, bon nombre d’investisseurs qui n’ont pas encore pris de positions en Chine m’ont demandé quels placements ils pourraient y opérer pour tirer profit du redressement de son marché boursier, faisant ainsi figure de «retardataires» en quelque sorte. Je donnerai donc ici deux suggestions sans engagement, bien qu’elles n’entrent pas dans la House View du Credit Suisse. 

Par le passé, les actions d’entreprises du secteur minier et de sociétés possédant des marques internationales ont profité tardivement d’une embellie économique en Chine à plusieurs reprises. Actuellement, elles présentent a) un grand potentiel de rattrapage et b) des valorisations bon marché. Prenons les choses l’une après l’autre.

Entreprises du secteur minier 

Dans le cadre d’une longue interview accordée récemment au Financial Times1, Ivan Glasenberg, CEO du géant minier suisse Glencore, a expliqué pourquoi les stocks des plus grandes entreprises minières du monde étaient actuellement réduits et pourquoi l’augmentation de la demande dans ce secteur leur conférait un pouvoir insoupçonné en matière de fixation des prix, un phénomène encore accentué par la structure oligo-polistique de ce marché. Les valorisations sont intéressantes elles aussi, car les titres de certaines entreprises de cette branche sont encore cotés au-dessous de la valeur comptable et négociés à un PER trop faible, et ce bien que le secteur ait, après la crise de 2015, réduit ses dettes et ses capacités de production de manière ciblée, relevé les «rendements des cash-flows libres» à 11% en moyenne et remboursé annuellement entre 5% et 15% aux actionnaires par le biais de dividendes et de rachats d’actions. 

Et voici encore un argument statistique: par le passé, les actions du secteur minier ont progressé généralement trois mois environ après le début d’une reprise économique en Chine. Pourquoi? Parce que cette dernière importe, aujourd’hui encore, 60% de la production minière mondiale. À cela s’ajoute le fait que, coïncidence ou non, les actions de cette branche ont surperformé dans plus de 80% des cas après une inversion de la courbe des taux américains. Elles peuvent donc permettre aux investisseurs de diversifier leur portefeuille face à un affaiblissement du billet vert et à une politique monétaire inflationniste. 

Entreprises possédant des marques renommées

Le deuxième groupe de bénéficiaires tardifs d’une reprise en Chine, tel qu’il a été observé par le passé, réunit des entreprises possédant des marques renommées. Il s’agit de sociétés proposant des labels de luxe comme LVHM, Prada ou Tiffany, mais aussi des biens de consommation comme Adidas et Nike. En font également partie des compagnies aériennes ainsi que le constructeur automobile Volkswagen. Bon nombre de ces entreprises ont dû opérer des restructurations ces dernières années, aussi bien au niveau opérationnel qu’à celui de leur bilan. C’est ainsi que la plupart des fabricants de produits de luxe ont été contraints d’assouplir leur structure de coûts de manière radicale pendant la dernière crise: ils ont cessé d’indexer les loyers de leurs surfaces  de vente, remboursé leurs dettes et réduit leur budget marketing. Le secteur s’est également fortement diversifié sur le plan géographique: la part moyenne de la Chine est tombée de 90% en 2016 à 50% aujourd’hui. L’Asie du Sud-Est, le Brésil ou encore le Mexique offrent eux aussi des débouchés commerciaux.

Là encore, les statistiques montrent que par le passé, les titres des fabricants européens d’articles de luxe ont progressé dans plus de 80% des cas trois mois environ après un redressement de 25% du marché des actions A de Shanghai (tableau 1):

4. Un champion discret

Quelle entreprise a enregistré le bénéfice net le plus élevé du monde en 2018? Sise à Dhahran, elle appartient à la famille royale saoudienne depuis deux générations et s’appelle Saudi Aramco. Le saviez-vous? En dégageant un bénéfice net de 111,1 milliards USD, ce groupe pétrolier a gagné, l’année dernière, autant que Apple (59,5 mrd USD), Google (30,7 mrd USD) et Exxon Mobil (20,8 mrd USD) réunis. Ce n’est pas mal pour une entreprise discrète non cotée en bourse.

Deux autres chiffres retiennent également l’attention: Saudi Aramco dispose encore d’une marge de progression en la matière. En effet, avec une contribution au bénéfice de 26 USD par baril et en dépit du coût avantageux de la prospection dans le désert arabe, cette société gagne environ 25% de moins que son concurrent Shell par exemple (38 USD/baril). Quoi qu’il en soit, le dividende de 58 milliards USD qu’elle a versé à la famille propriétaire devrait également favoriser les ventes de produits de luxe des grandes marques.

1 https://www.ft.com/topics/people/Ivan_Glasenberg

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