Ne vous fiez pas au buzz

James Purcell, Quintet Private Bank

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Tant que la durabilité ne sera pas intégrée dans l'allocation d’actifs, notre industrie continuera à faire de grandes promesses difficiles à tenir.

Fin 2020, le Forum pour l’investissement durable et responsable a déclaré que les montants investis dans les stratégies durables avaient dépassé 17'000 milliards de dollars aux Etats-Unis, soit près de 33% de l’ensemble des actifs financiers américains sous gestion. Malheureusement, ces chiffres sont un exemple de grandes promesses difficiles à tenir.

En effet, l’étiquette «investissement durable» est souvent utilisée à tort et à travers et présente un problème de fond. La prise en compte symbolique des facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) dans le processus d'investissement génère peu, voire aucun, bénéfice réel pour la société et la planète. Une grande partie des 17'000 milliards de dollars d'investissement durable est en fait uniquement liée à la sélection de titres. Par exemple, l'implication dans une activité controversée peut conduire au refus d'acheter certains titres, alors qu’un facteur durable peut augmenter ou diminuer un prix cible de quelques points. Toutefois, la solution à ce problème de grandes promesses difficiles à tenir ne réside pas dans l'amélioration de la sélection de ces titres, mais dans l’allocation d’actifs.

L'allocation d'actifs – soit le processus qui consiste à déterminer la part de chaque classes d'actifs dans un portefeuille – est considérée être à l’origine de près de 80% des rendements financiers d'un portefeuille (le reste étant dû au choix d'instruments). Il s'agit donc de loin de la décision la plus importante qu'un investisseur puisse prendre lorsqu'il cherche à préserver et à accroître son patrimoine. C'est également la décision la plus importante qu'un investisseur puisse prendre lorsqu'il cherche à générer un impact réel par le biais de ses investissements.

Les facteurs de durabilité n'influencent pas directement le risque
ou le rendement attendu; ils constituent plutôt un prix à payer.

En général, les facteurs durables n'entrent pas en ligne de compte dans l’allocation d’actifs. Et quand c’est le cas, c’est généralement seulement à la fin du processus et ils sont considérés comme une contrainte. Une stratégie classique se base sur le couple rendement/risque auquel est ajouté à part un troisième élément: la durabilité. Cette approche considère l'investissement durable comme une activité facultative et qu'une meilleure durabilité se ferait au détriment du rendement ou avec une augmentation du risque. Dans ce modèle, les facteurs de durabilité n'influencent pas directement le risque ou le rendement attendu; ils constituent plutôt un prix à payer.

La solution au problème des grandes promesses difficiles à tenir consiste à renoncer au compromis risque/rendement et à intégrer la durabilité plus en amont dans le processus d'allocation d’actifs. Pour ce faire, il existe trois mesures concrètes et performantes à la disposition des gestionnaires d’actifs.

Tout d’abord, les thèmes environnementaux et sociaux (tels que la transition énergétique, l'inégalité des revenus, la diversité et l'inclusion) peuvent être explicitement pris en compte dans les fondements macroéconomiques d'un modèle d'allocation d'actifs, à savoir l'inflation, la productivité et la croissance économique. Parallèlement, les thèmes liés à la gouvernance peuvent être considérés dans le contexte du marché boursier, et non uniquement liés à un titre en particulier. Le Japon illustre bien l'importance de ce point. Avec l'amélioration des pratiques de gouvernance d'entreprise, l'écart de rendement des capitaux propres entre les marchés boursiers japonais et mondiaux est passé de sept à quatre points de pourcentage au cours des dix dernières années.

Il est possible de compléter les stratégies d’allocation
par une gamme de classes d’actifs alternatifs plus diversifiée.

Ensuite, il existe des placements à revenu fixe intéressants que les investisseurs tendent à sous-utiliser, tels que les obligations des banques multilatérales de développement (BMD) – dont la Banque mondiale. Les obligations des BMD ayant une corrélation de 0,99 avec les obligations d'État notées AAA, offrent une alternative à ces dernières dans l’allocation d’actifs. Une fois achetées, les investisseurs peuvent convaincre les gouvernements de soutenir de nouvelles augmentations de capital des BMD. Cela faciliterait l'émission de dette additionnelle par les BMD, permettant ainsi de financer davantage de projets ayant un impact positif sur le monde réel.

Enfin, il est possible de compléter les stratégies d’allocation par une gamme de classes d’actifs alternatifs plus diversifiée, plutôt que de se tourner principalement vers les fonds spéculatifs. Les investissements sur les marchés privés peuvent être particulièrement bénéfiques, car de nouveaux capitaux déployés dans les bilans des entreprises les aident à se développer et à avoir un impact supplémentaire. Dans le cadre d'une stratégie d'allocation, le marché privé est riche en opportunités, notamment le microcrédit, les énergies renouvelables, le financement agricole, la construction durable et le capital-investissement responsable, popularisé par les géants du capital-investissement TPG, KKR et Partners Group.

Face à la tendance à qualifier à tort et à travers de «durable» toujours plus d'actifs, nous avons, en tant qu'investisseurs, la possibilité d'améliorer la qualité de ces actifs et l'impact qu'ils ont sur le monde réel. S'inspirant des investisseurs durables axés sur le marché action, qui, au cours des dernières années, ont réussi à se défaire de l'idée fausse selon laquelle leur approche implique de devoir faire des concessions, les responsables de l’allocation d’actifs doivent maintenant suivre cet élan. En ciblant l’allocation d’actif, qui est à l’origine de plus de 80% des rendements des portefeuilles, nous pourrons surmonter le problème des grandes promesses difficiles à tenir.

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