Moins de croissance, moins d'inflation?

Michel Girardin, Université de Genève

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C'est une grave erreur de croire qu'une banque centrale ne va pas monter son taux directeur quand la récession menace.

Nombreux sont les observateurs des marchés et des banques centrales à penser qu'une banque centrale se doit d'assouplir sa politique monétaire lorsqu'un ralentissement conjoncturel menace de se transformer en véritable récession. Deux raisons à cela.

La première, c'est que s'il faut choisir entre les 2 maux de la récession et de l'inflation, le dernier est clairement moins douloureux. Si on nous demande de choisir entre une augmentation annuelle du niveau général des prix de 4% ou la perte de notre emploi, gageons que nous allons rapidement trouver la réponse. Si nous poussons la réflexion un peu plus loin quant au choix du moins pire des maux, nous ne manquerons pas d'évoquer le fait qu'un peu d'inflation ne fait pas de mal lorsque les gouvernements, les ménages ou les entreprises sont lourdement endettés - comme c'est cas actuellement - attendu que l'inflation réduit le poids de la dette.

La deuxième raison qui nous fait basculer dans le champ des «colombes» - celles qui pensent que les banques centrales doivent baisser les taux d'intérêt dès qu'elles peuvent et ne les monter que si elles le doivent - c'est que nous avons cette croyance fermement ancrée qu'un ralentissement conjoncturel se traduit immanquablement par une baisse de l'inflation.

Les craintes d'une récession en Europe sont aujourd'hui très vives. Elles le sont d'autant plus qu'elles se manifestent à l'encontre de l'Allemagne, la locomotive de la croissance en Europe. De là à en déduire que les chances étaient grandes la semaine dernière que la Banque Centrale Européenne marque une pause dans son processus de durcissement de la politique monétaire, il n'y a un pas que d'aucuns n'auraient dû franchir.

Le lien entre croissance et inflation est ambivalent. Il faut d'abord savoir de quel type d'inflation on parle. Les économistes en distinguent deux. La première est liée à un excès de demande. Prenons le marché de l'immobilier par exemple. Face à une offre de biens immobiliers qui met du temps à arriver sur le marché, les prix peuvent grimper rapidement si les particuliers veulent soudain profiter d'une baisse sensible du loyer de l'argent pour acheter un bien immobilier. Pour contrer ce type d'inflation, la solution est simple: il suffit de monter les taux d'intérêt. On peut qualifier cette inflation de «Bonne». Il y a ensuite l'inflation par les coûts, essentiellement celui de l'énergie, ou le prix du brut si vous préférez. Cette inflation-ci, c'est donc bien la «Brute». Sa particularité, c'est qu'elle peut se manifester dans une économie en pleine récession. La cohabitation entre stagnation et inflation nous vaut d'ailleurs le terme de «stagflation».

Après, la bonne inflation, puis la brute, on ne peut qu'en ajouter une troisième dont le nom est tout trouvé: la «Truande». Beaucoup plus rare, elle porte néanmoins très bien son nom. Le dernier épisode dans nos contrées remonte à pile un siècle.

Nous sommes en Allemagne en 1923. Le pays doit payer de lourdes réparations aux alliés en guise de contribution à la reconstruction des pays qu'elle a envahis durant la première guerre mondiale. Le stock d'or de la banque centrale allemande y passe puis c'est la planche à billet qui s'en charge, de manière toujours plus frénétique. Le niveau de la dette et son coût devient écrasant, le mark s'écroule et les prix s'emballent. Les zéros s'ajoutent à tout va sur les billets de banque et les prix. Dans les restaurants, les prix sont fixés au début du repas et... ajustés à la fin de celui-ci. Les travailleurs exigent que leurs salaires leur soient versés deux fois par jour. Le 1er novembre 1923, une livre de pain atteint le prix insensé de 3 milliards de marks. Ce type d'inflation, c'est principalement une perte de confiance dans la monnaie papier qui la provoque. Dans la fameuse équation de Fischer qui place d'un côté la masse monétaire et de l'autre la croissance et l'inflation, on oublie qu'il faut multiplier la masse monétaire par sa vitesse de circulation. Lorsque la confiance dans les autorités gouvernementales et monétaires disparaît, la vitesse de circulation s'envole et l'inflation qui en résulte se transforme vite en hyper-inflation.

Le lien entre croissance et inflation n'est manifeste que pour une des trois variantes d'inflation que nous venons de détailler: la bonne. S'agissant des deux autres, elles peuvent se manifester dans une économie sans croissance, comme ce fut le cas en Allemagne en 1923 avec l'inflation truande, ou l'année dernière dans ce même pays, avec l'envolée du prix de l'énergie exacerbé par la guerre en Ukraine.

Une inflation par les coûts peut par contre se transformer en inflation par la demande par le truchement des salaires. En Allemagne, ils augmentent actuellement de 6,6%. Dans la zone euro, la hausse des salaires frise les 4,5% comme en témoigne le graphique. C'est beaucoup trop et la BCE - comme d'autres banques centrales actuellement - craint que ces tensions sur les salaires entraînent une spirale entre les prix et les salaires.

Tant que les salaires ne baisseront pas dans la zone euro, la BCE ne baissera pas les taux

Croire qu'un ralentissement conjoncturel amène automatiquement les banques centrales à ouvrir le robinet des liquidités est un vœu pieux. La BCE ne changera son cap que si elle a la ferme conviction que son combat contre l'inflation est gagné. Et s'il faut sacrifier la croissance dans cette lutte, elle le fera.

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