Mi-temps

Martin Neff, Raiffeisen

4 minutes de lecture

Personne ne sait si le plus dur est derrière nous, mais à lui seul, le confinement a mis le coup d’arrêt le plus rude à l’économie mondiale de toute l’après-guerre.

Le premier semestre de l’année s’est achevé. Ce fut une période que nous ne sommes pas prêts d’oublier. A peine rentrés des sports d’hiver, les pistes et les installations ont été fermées et les économies de la planète ont successivement été paralysées, parfois même complètement arrêtées. On ne peut pas imaginer de fin de saison plus brutale. Le virus est arrivé chez nous inopinément et plus rapidement que prévu et il a changé pratiquement toutes nos habitudes. Aujourd’hui, personne ne sait si le plus dur est derrière nous, mais à lui seul le confinement de deux mois a mis le coup d’arrêt le plus rude à l’économie mondiale de toute l’après-guerre. Ni la/les crise(s) pétrolière(s), ni la bulle informatique et la crise financière n’ont autant déstabilisé l’économie réelle que le coronavirus. 

Alors que l’économie était à l’arrêt au premier semestre, la politique et la société se sont rapidement aventurées en territoire inconnu. Comme toujours en Suisse, l’exécutif a mis un peu de temps pour s’échauffer. Mais après il a rapidement été au mieux de ses capacités d’improvisation et d’intervention d’urgence, levant des fonds jusqu’à l’épuisement. Après tout, partout ailleurs les gouvernements mettaient le paquet, accordant des fonds dans des ordres de grandeur jamais vus afin de lutter contre la crise. Alors pourquoi pas chez nous? Ainsi, le coronavirus a définitivement brisé la nuque à la gestion budgétaire sérieuse qui ne subsistait de toute façon plus que dans quelques pays industrialisés.

L’Allemagne, le dernier bon élève (important) qui restait en termes de stabilité financière, a également fini par déployer les grands moyens. Aucun pays au monde n’a pour l’instant mobilisé autant de moyens financiers contre le coronavirus que l’Allemagne, à savoir pas moins de 47,8% du produit intérieur brut, que ce soit pour des mesures immédiates (13,3% du PIB), des ajournements (7,3%) ou d’autres mesures de liquidités et de garantie (27,2%). Comme chez nous en Suisse, on dit à ce propos en Allemagne qu’il faut économiser quand on en a le temps, pour être paré dans l’urgence. Et comme on s’en est toujours tenu à cette devise, on peut à présent se permettre une politique financière plus généreuse. C’est bien beau, mais il est assez mesquin pour l’Allemagne de se justifier en invoquant la discipline budgétaire. Désormais, l’Allemagne ne se mesure apparemment plus à l’aune de critères de stabilité comme ceux de Maastricht, mais à l’action menée par les autres.

En font également partie des Etats qui ignorent Maastricht depuis des décennies. L’Italie par exemple qui, reconnaissons-le, a été touchée tout particulièrement par le coronavirus et qui mobilise à présent 43,9% de son PIB contre les conséquences, c.-à-d. presque autant que l’Allemagne. A titre de comparaison, cette valeur est de 14,3% aux Etats-Unis, de 15% aux Pays-Bas et de 12,4% en Espagne, comme l’explique le thinktank Bruegel siégeant à Bruxelles.

En Suisse, nous nous situons actuellement dans un ordre de grandeur comparable à celui de l’Espagne. Chez nous, la priorité est accordée aux aides à la liquidité et à l’indemnité pour travail de courte durée.

Parlement(s) en déroute

Le pouvoir législatif a voté ces fonds dans une procédure d’urgence, certes de plus en plus à contrecœur, mais en réponse à la nécessité. Fin juin, le Parlement a finalement pris les rênes. Il en avait assez que le Conseil fédéral s’accapare progressivement le pouvoir, malgré ses hésitations. Et il a voulu arranger plus ou moins les nombreux lobbyistes qui se succédaient entre-temps à Berne. Le Parlement s’est ainsi fourvoyé. A l’instar des Allemands lorsqu’ils ont envisagé de mobiliser de nouveau les primes à la casse pour l’industrie automobile, avant de se ressaisir au dernier moment. A Berne, le Parlement a longtemps hésité dans les deux Chambres à hisser un drapeau du corona sur le marché immobilier, avant de se décider pour finir, même si ce n’était qu’avec une voix d’avance au Conseil des Etats. On ne peut plus parler d’une aide d’urgence. Car à quoi cela peut-il (encore) bien servir lorsque la Confédération est chargée fin juin par le Parlement d’élaborer une loi jusqu’en septembre pour contraindre les bailleurs à  faire grâce à leurs locataires d’une partie du loyer pour la période des fermetures forcées.

Ceux qui auront survécu jusqu’à cette date n’auront plus guère besoin de ce coup de pouce et ceux qui en ont/avaient besoin ne devraient pas survivre d’ici là. Et on imagine sans peine ce qu’une telle réglementation provoquerait dans l’hypothèse d’un deuxième confinement: une nouvelle répercussion des charges sur la collectivité. Il est néanmoins facile d’incriminer le seul Conseil fédéral. Ainsi que nous l’a enseigné la tragi-comédie relative au port du masque, l’activisme des acteurs politiques et de l’administration a cédé le pas à une certaine retenue, depuis que la population et l’économie s’opposent aux mesures.

Pour finir, la Confédération a de nouveau dû statuer hier, aucun canton n’ayant osé imposer le port du masque dans les transports publics.

Une joie prématurée

Comme nous le savons, la bourse s’intéresse assez peu aux commandements, aux interdictions ou aux détails de la planification financière publique. Mais elle déteste l’incertitude. Pour les acteurs du marché financier, la découverte du COVID-19 était comme s’aventurer en territoire inconnu et s’est donc accompagnée d’une descente progressive, pour ne pas dire d’un crash. Il se peut que les marchés aient exagéré au début, mais à la mi-temps, nous n’avons encore aucune certitude à ce sujet.

Depuis mars, les bourses ont en tous cas rattrapé une partie du terrain perdu. Elles ont opéré leur revirement à une époque, où le confinement venait tout juste de commencer en Europe et où l’on avait encore un sentiment de sécurité trompeur aux Etats-Unis et absolu au Brésil. Mais c’est ainsi que fonctionne la bourse. L’économie réelle ne l’intéresse que de façon marginale. Tant que la politique monétaire se laisse tenter par des exercices de plus en plus aventureux et qu’une stimulation massive de la politique fiscale est en outre évoquée, les acteurs de la bourse se moquent bien de connaître les sources de ces capitaux.

Car les dettes n’intéressent pas la bourse. Il appartient au marché des capitaux de les corriger, or celui-ci est désormais tellement manipulé par la politique monétaire, qu’il n’est plus en mesure d’envoyer les signaux adéquats. Après dix années de politique des taux bas, tout le monde devrait avoir compris que la discipline en matière de politique financière ne se décrète pas à coup de taux zéro et qu’elle s’évapore sur les marchés financiers, avant même de pouvoir profiter à l’économie réelle. La bourse s’est progressivement dissociée des évolutions de l’économie réelle et ne s’intéresse plus vraiment qu’aux banques centrales et aux ministres des finances, lorsque les problèmes menacent, sans vraiment se faire une idée précise du sérieux de la situation. Il lui suffit d’un effet de base qui suggère que l’économie repart à la hausse pour se réjouir.

Un effet de base est facile à décrire: quand vous devez freiner de 100km/h à 25km/h avec votre véhicule, mais que vous pouvez ensuite rapidement réaccélérer jusqu’à 50km/h, cela veut dire deux choses. Premièrement, vous ne roulez plus qu’à la moitié de votre vitesse initiale, mais tout de même encore deux fois plus vite que l’instant précédent. Et c’est uniquement ce dernier point qui compte pour la bourse. Mais peut-être devra-t-elle quand même s’intéresser à la deuxième mi-temps. Car de nombreuses entreprises vont devoir présenter leurs chiffres pour le deuxième trimestre 2020 et lePIB va de nouveau augmenter par rapport au trimestre précédent (également un effet de base), mais l’effondrement par rapport aux valeurs comparables de l’année précédente sera violent. Les déceptions sont prévisibles. Il reste à espérer qu’il n’y aura pasde nouveau une interruption prolongée du match au second semestre.

La situation est entre nos mains, car nous savons désormais comment nous protéger et protéger les autres. Et ce n’est certainement pas en transe dans un club, où les distances ont tôt faitde s’estomper.

A lire aussi...