Les obligations durables sont-elles les nouveaux smartphones?

Communiqué, Aviva Investors

5 minutes de lecture

Les obligations durables sont en plein essor, mais s’agit-il d’un phénomène de mode et les marchés ont-ils vraiment besoin d’une telle diversité de produits?

Les premiers smartphones possédaient peu d’applications, les connexions Wi-Fi étaient inégales et le coût des données prohibitif. Malgré ces inconvénients, ils sont désormais omniprésents. L’univers des obligations durables se développe de la même manière. Pendant de longues années, les obligations vertes constituaient la seule offre de ce type mais, depuis quelques temps, la demande et l’offre ont explosé.

Selon le fournisseur de données Refinitiv, les émissions d’obligations durables ont totalisé un montant record de 544,3 milliards de dollars en 2020, soit plus du double de l’année précédente. Le montant des émissions d’obligations vertes de 222,6 milliards de dollars a également constitué un record mais un tout nouvel écosystème est apparu, faisant émerger des obligations sociales, durables, liées au développement durable et à la transition climatique.

Ce marché est en pleine croissance pour plusieurs raisons. Le premier facteur, et le plus significatif, est l’abondance de nouvelles réglementations et les objectifs de neutralité carbone qui ont été fixés par de grandes entreprises et des entités nationales et supranationales, comme le plan d’action pour la finance durable de l’Union européenne (UE), qui vise à soutenir la transition vers le développement durable après la crise de la COVID-19.

Les entreprises sont également désireuses de profiter de la hausse de la demande. «Les entreprises réalisent qu’il s’agit d’une opportunité pour obtenir des financements pour atteindre n’importe lequel de leurs objectifs stratégiques globaux, et nous constatons une croissance sur tous les segments du marché», explique Richard Butters, analyste ESG chez Aviva Investors.

Pour illustrer ce propos, 164 milliards de dollars d’obligations sociales et 127,6 milliards de dollars d’obligations liées au développement durable ont été émis en 2020 (soit respectivement dix fois et trois fois plus qu’en 2019).

Par comparaison, les principes des obligations liées au développement durable n’ayant été publiés qu’en juin 2020, seules quatre entreprises avaient procédé à des émissions inscrites dans ce cadre en septembre 2020: Enel, Suzano, Novartis et Chanel.

Les émetteurs sont issus d’un panel de secteurs de plus en plus diversifié, après des années de concentration dans les domaines de la finance, de l’immobilier, des services aux collectivités et des énergies renouvelables. En 2020, ils appartenaient aux secteurs de l’automobile, des biens de consommation et du luxe, et de la téléphonie mobile.

Toutefois, les investisseurs doivent prendre soin de vérifier scrupuleusement si une obligation durable répond à leurs critères. Tout d’abord, certaines obligations durables sont-elles meilleures que d’autres? Deuxièmement, si un label ne constitue pas une garantie suffisante contre le greenwashing, comment les investisseurs peuvent-ils s’assurer que leur investissement peut faire une réelle différence?

Quelle obligation?

L’International Capital Market Association (ICMA) a créé quatre séries de principes qui définissent un cadre pour les obligations durables: les Green Bond Principles (GBP), les Social Bond Principles (SBP), les Sustainability Bond Guidelines (SBG) et les Sustainability-Linked Bond Principles (SLBP), ainsi que le Climate Transition Finance Handbook 2020’.

Les obligations vertes, sociales et durables reconnues par l’ICMA comportent chacune quatre composantes (utilisation des capitaux, évaluation et sélection du projet, gestion des capitaux et reporting) qui doivent être vérifiées dans le cadre d’audits externes indépendants.

Les obligations liées au développement durable ont pour objectif de développer davantage le rôle des marchés de la dette dans le financement et la promotion du développement durable. Par rapport aux trois autres catégories d’obligations, elles sont davantage tournées vers l’avenir.

L’ICMA déclare également: «Il existe un marché dédié aux obligations sur le thème du développement durable, y compris celles liées aux Objectifs de développement durable («ODD»), dans certains cas émises par des organisations principalement ou entièrement impliquées dans des activités durables, mais leurs obligations ne sont pas alignées sur les quatre composantes fondamentales des Principes».

En dehors de l’écosystème de l’ICMA, la Climate Bonds Initiative (CBI) fournit un label baptisé Climate Bonds Standard des obligations et des prêts certifiant que qu’ils sont verts ou alignés sur les objectifs fixés dans l’Accord de Paris.

Décisions, décisions

Cette grande variété de conventions peut prêter à confusion; les investisseurs doivent connaître la source du label «vert» ou «durable», puis analyser ses critères et décider si ces derniers correspondent à leurs directives d’investissement.

Dans la classification de l’ICMA, les obligations vertes sont celles qui existent depuis le plus longtemps mais, au fur et à mesure que la transition s’accélère, leur portée semble limitée. Les capitaux n’ont pas toujours été utilisés pour des projets réellement «verts», ce qui a toujours été également difficile à contrôler. À titre d’exemple, Repsol a émis en 2017 une obligation verte dont le produit de la vente était destiné à améliorer l’efficacité des raffineries de pétrole.

En raison de ces controverses, les obligations vertes ont eu tendance à être l’apanage quasi exclusif des entreprises déjà vertes ou durables, limitant ainsi les possibilités pour les entreprises à forte intensité carbone à financer leurs efforts de transition. Pour les investisseurs, cela crée également un risque de concentration.

En outre, nombreuses sont les obligations dont les fonds sont utilisés pour financer des investissements antérieurs. Bien que cela démontre la capacité de l’émetteur à utiliser les fonds de manière responsable, cela soulève des questions quant à la part du financement qui doit être rétrospective.
Lorsque la transition a commencé à s’accélérer, les marchés ont eu besoin de nouveaux types d’obligations capables de mieux soutenir les efforts de transformation des entreprises. C’est ainsi que sont apparues les obligations liées au développement durable et à la transition climatique.

«J’apprécie particulièrement les obligations liées au développement durable, qui concernent l’ensemble de l'activité d’une entreprise. Une structure dans laquelle les entreprises publient des indicateurs clés de performance pour l’ensemble de leur activité et émettent ensuite des obligations liées à ces indicateurs est remarquable», déclare Tom Chinery, gérant de portefeuille de crédit Investment grade chez Aviva Investors.

En outre, parce qu’elles permettent un financement allant au-delà de l’affectation des capitaux à des projets spécifiques, elles donnent aux investisseurs la possibilité de soutenir les efforts significatifs d’une plus grande diversité d’entreprises.

«Certaines des entreprises les moins avancées qui ont des objectifs ambitieux feront beaucoup plus de différence pour l’environnement qu’une entreprise propre qui s’engage à réduire ses émissions de CO2 de 0,01 gramme par an. C’est pourquoi j’apprécie l’approche d’Enel: elle parle de réductions massives des émissions de CO2 à l’échelle mondiale. C’est significatif», explique-t-il.

La meilleure façon de mettre en œuvre le cadre d’impact des obligations liées au développement durable fait actuellement débat, tout comme la nécessité de créer des obligations spécifiques pour la transition climatique alors que tant de catégories existent déjà. Mais que ce soit par le biais d’une obligation verte, d’une obligation conventionnelle ou d’une obligation liée au développement durable, l’essentiel pour les investisseurs est de comprendre ce qui se passe au niveau de l’entreprise et de savoir si les capitaux ainsi levés l’aideront à devenir plus durable.

Influence et engagement

Les obligations durables ont deux limites. Premièrement, même l’obligation la plus verte ne garantit pas nécessairement que son émetteur devienne plus durable.

Bien sûr, l’analyse fondamentale des entreprises peut exiger beaucoup de ressources; pour les investisseurs disposant de petites équipes, l’achat d’obligations vertes peut offrir un moyen facile de participer à la transition. Toutefois, l’impact peut être limité, car les projets d’obligations vertes ne se traduisent pas nécessairement par des émissions comparativement faibles ou en baisse au niveau de l’entreprise.

En outre, les investisseurs ont besoin de diversification pour atténuer le risque, et ne peuvent pas allouer leurs capitaux uniquement sur les secteurs «verts».

«Historiquement, lorsqu’on investit dans des obligations vertes, il est difficile de diversifier les secteurs et les émetteurs, ce qui complique l’atténuation des risques et la construction de portefeuilles traditionnels», explique Tom Chinery.

C’est là que le dialogue fait la différence, en améliorant la communication des entreprises sur les paramètres clés. En retour, cela permet aux investisseurs de s’engager plus efficacement. Et dès lors que la communication devient plus transparente, les petits investisseurs disposant de moins de ressources peuvent également en profiter.

Il existe une idée reçue selon laquelle les investisseurs en obligations d’entreprise manquent d’influence parce qu’ils ne possèdent pas de droits de vote. Ce n’est pas le cas, en particulier lorsqu’ils unissent leurs forces, que ce soit par le biais d’organismes sectoriels comme l’ICMA, ou en interne, au sein des équipes chargées du crédit et des actions.

«Lorsque nous dialoguons avec un émetteur, cela peut souvent créer un précédent pour les activités transversales. Mais l’essor de la dette durable offre également une nouvelle passerelle permettant de faire entendre notre voix, à condition que nous nous engagions auprès des émetteurs pour mettre en évidence toute préoccupation de greenwashing ou de socio-blanchiment que nous pourrions avoir dès lors qu’ils utilisent l’un des cadres dédiés aux obligations durables», précise Richard Butters.

Pas d’effet de mode

Un autre aspect que les investisseurs et les émetteurs suivront avec attention est le coût des émissions d’obligations durables par rapport aux obligations classiques.

Il est trop tôt pour tirer des conclusions, mais des éléments intéressants se dégagent déjà. Le rendement de l’obligation verte à échéance 2028 de Volkswagen, par exemple, est inférieur à celui de son obligation classique de même échéance (0,42% contre 0,5% au 9 février 2020). Cela peut refléter la relative familiarité des investisseurs européens avec les obligations durables: l’Europe a, en effet, été à l’origine de plus de la moitié des émissions mondiales de cette catégorie en 2020.

Au même moment, aux États-Unis, les rendements des obligations sociales (0,61%) et des obligations vertes (0,86%) à échéance 2024 de Citigroup sont plus élevés que ceux de ses obligations classiques (0,53%). Cela reflète peut-être le fait que les États-Unis sont à la traîne de l’Europe en matière de développement durable, mais qui peut dire si ces spreads ne vont pas se réduire rapidement à mesure que le marché évolue?

Ce que nous pouvons dire avec plus de certitude, c’est que le marché des obligations durables bénéficie d’un élan important au niveau mondial.

Le 9 février, Total s’est engagé à émettre toutes ses nouvelles obligations dans un cadre dédié au développement durable. C’est la première entreprise à le faire. Même si les investisseurs doivent se méfier du phénomène de greenwashing, la donne pourrait changer si suffisamment d’émetteurs suivent l’exemple de Total.

«Plus les investisseurs se focalisent sur les enjeux ESG, plus les mauvais émetteurs verront leurs coûts d’emprunt augmenter», affirme Tom Chinery. «Nous n’avons pas encore atteint un tel degré de dispersion, mais c’est la direction qu’il faut prendre».

A lire aussi...