Les inégalités nuisent à la croissance économique

Yves Hulmann

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Pour Joseph Stiglitz, professeur à l’Université de Columbia, la prise en compte des critères ESG est essentielle pour le bon développement des économies sur le long terme.

Joseph Stiglitz. ©Keystone

«Aux Etats-Unis, la meilleure chose à faire pour votre carrière est de choisir de bons parents à votre naissance.» C’est avec cette boutade que Joseph Stiglitz a lancé les débats à propos des inégalités outre-Atlantique lors de la seconde journée du congrès Amundi Word Investment Forum 2018. Selon le professeur d’économie de l’Université de Columbia, une part toujours plus importante de la population américaine a de moins en moins de chance de voir son niveau de vie s’améliorer.

Stagnation des revenus

Le titulaire du prix Nobel d’économie en 2001 a étayé son argumentation à l’aide de quelques statistiques: ainsi, le revenu médian, soit le revenu qui divise la population en deux parties égales, des Américains, se situe actuellement au même niveau qu’il y a 42 ans! «Aujourd’hui, il y a deux générations d’Américains qui n’ont connu que la stagnation de leurs revenus. Quand je raconte cela à des Chinois qui, eux, ont vu leurs revenus augmenter constamment depuis lors, ils ont de la peine à me croire», a ironisé le professeur qui s’exprimait dans le cadre du forum organisé par le gérant d’actifs Amundi qui a eu lieu jeudi et vendredi à Paris. Le prix Nobel d’économie en a profité pour tirer à boulets rouges sur les réductions fiscales mises en place par Donald Trump. «Ces mesures ne profiteront pas à la classe moyenne, cela dans l’un des pays au monde où les inégalités sont déjà parmi les plus prononcées», a-t-il insisté.

Egalité et croissance vont de pair 

Quel est le rapport entre la distribution des revenus et les principes de l’investissement durable? Aux yeux de Joseph Stiglitz, il y a clairement un lien entre ces deux aspects. «La prise en compte des critères ESG (ndlr: critères environnementaux, sociaux et de gouvernance) est essentielle à la croissance», a-t-il souligné. Selon le professeur, plusieurs recherches ont démontré que les sociétés avec davantage d’inégalités ont moins de croissance. «La justice sociale et la croissance sont complémentaires. Elles vont de pair», a-t-il ajouté.

«Les caisses de pension n’investissent que 5% de leurs avoirs
dans l’investissement durable, alors que 40% des citoyens
veulent investir dans les placements durables».

La journée de vendredi, consacrée notamment à l’investissement responsable, a aussi été l’occasion pour plusieurs spécialistes de faire le point sur la prise en compte des critères ESG dans les processus d’investissement. Ce qui est certain, s’accordent les spécialistes de ce domaine, c’est que la demande du public est là. «Les caisses de pension n’investissent que 5% de leurs avoirs dans l’investissement durable, alors que 40% des citoyens, qui sont vrais propriétaires des actifs, veulent investir dans les placements durables. Il y a un décalage sur ce plan», a estimé Magnus Billing, directeur d’Alecta, une société qui gère les actifs des caisses de pension en Suède. Pourtant, «la première obligation du devoir fiduciaire est de faire ce que demandent vos clients», rappelle-t-il.

Reste à définir ce qu’est l’investissement responsable. Pour Liza Jonson, directrice de Swedbank Robur, un gérant de fonds qui place les principes d’investissement durable tout en haut de son agenda, une évolution est en cours sur ce plan. «Il ne s’agit plus seulement d’exclure des entreprises de nos portefeuilles mais de choisir les bonnes. Les enquêtes montrent que nos clients veulent des investissements responsables. C’est au secteur de s’accorder: qu’est-ce qu’un fonds responsable?» argumente-t-elle. De son côté, Valérie Baudson, responsable notamment des ETF, des placements indiciels et Smart Beta chez Amundi, observe aussi un changement de mentalité qui va dans le même sens: «Les investisseurs sont passés d’une approche négative, basée avant tout sur l’exclusion de certains secteurs ou activités, à des approches plus positives, comme l’impact investing par exemple».

Les critères ESG contribuent positivement à la performance

Pour Uli Krämer, directeur des investissements auprès du gérant de fonds autrichien Kepler-Fonds KAG, la formation des conseillers à la clientèle revêt aussi une importance fondamentale pour l’essor de l’investissement durable. «Il faut qu’un conseiller ne soit plus embarrassé à répondre lorsqu’un client lui demande si en achetant des placements durables, il risque de perdre de l’argent. Un conseiller doit pouvoir expliquer aux clients pourquoi la prise en compte des critères ESG est importante dans la création de valeur», a-t-il expliqué.

Les choses évoluent-elles assez vite dans ce domaine? Magnus Billing rappelle qu’il faut mesurer le chemin parcouru ces dernières années. «Il y a dix ans, l’investissement responsable était considéré comme un facteur de coût. Il y a cinq ans, il était vu comme un facteur neutre en termes de coûts. Maintenant, on pense que les critères ESG augmentent la valeur de vos investissements», résume le spécialiste.