Les coûts cachés de la dévaluation

Ewout de Brauwer, DPAM

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Quelle que soit la classe d’actifs, la dévaluation aura un impact significatif, déterminant pour la performance.

©Keystone

 

La dévaluation a été utilisée de manière récurrente par les gouvernements et les banques centrales pour gérer l’accroissement de la dette publique et les crises économiques. Or, cette question reste très actuelle. La masse monétaire M2 progresse de manière exponentielle, tandis que le pouvoir d’achat est grignoté par l’inflation monétaire et la hausse du coût de la vie. Cette situation est généralement attribuée à l’excès de création monétaire des banques centrales. Pourtant, les véritables créatrices de monnaie sont les banques commerciales qui créent de la monnaie à partir de rien chaque fois qu’elles consentent un nouveau prêt.

Les gouvernements peuvent également être considérés comme des créateurs de monnaie. En effet, ils transfèrent de la monnaie de la banque centrale au secteur privé au travers de leurs déficits budgétaires (c’est la monétisation de la dette). Ce phénomène s’est accentué depuis la crise de 2008 qui a été suivie d’un gonflement considérable des bilans des banques centrales.

L’excès de dette et son impact sur la politique monétaire

La dette publique américaine représente actuellement près de 100% du PIB du pays, une proportion proche de celle atteinte durant la Seconde Guerre mondiale. Les investisseurs craignent donc pour sa viabilité à long terme. En règle générale, pour que la dette soit supportable, il faut que le résultat de la soustraction des intérêts de la croissance du PIB nominal soit supérieur au montant du déficit primaire. Cela signifie que le gouvernement dispose de fonds suffisants pour rembourser sa dette, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Par conséquent, les marchés obligataires risquent de perdre confiance dans le gouvernement américain, ce qui pourrait entraîner une flambée des taux d’intérêt et alourdir le fardeau de la dette.

Une hausse des rendements couplée à une baisse de la devise américaine est un signal d’alarme.

Toute la question est de savoir combien de temps encore les acheteurs d’obligations tolèreront la progression de l’endettement. En 2022, lorsque Liz Truss avait annoncé des baisses d’impôts (sans financement suffisant) les rendements des obligations britanniques ont flambé, la valeur de la livre sterling a chuté et la Banque d’Angleterre a dû intervenir en urgence. Le marché des bons du Trésor américain étant beaucoup plus profond, ce type de réactions en chaîne est moins probable, mais il ne peut être exclu. En 1978, le dollar a failli perdre son statut de principale monnaie de réserve lorsqu’il s’est déprécié si brutalement que le Trésor a dû émettre des obligations en francs suisses! En quatre ans seulement, l’inflation avait atteint 50%, l’or avait augmenté de 500% et Paul Volcker avait dû remonter ses taux à 20%. Une telle situation pourrait se reproduire si la dévaluation du dollar est trop forte et que les investisseurs perdent confiance, par exemple à la suite d’une dégradation de la notation des Etats-Unis (comme en 2023) ou à l’échec d’une adjudication des bons du Trésor.

La relation entre rendements obligataires et dollar est l’un des indicateurs qui permet de juger du sentiment sur les marchés de taux. Une hausse des rendements couplée à une baisse de la devise américaine est un signal d’alarme. C’est précisément ce que l’on a observé durant les semaines qui ont suivi l’annonce des mesures douanières par Donald Trump. Bien qu’elles aient été réduites par la suite, le mal était fait et les États-Unis ont été considérés comme un partenaire commercial peu fiable, y compris par leurs alliés les plus proches, ce qui aura un impact négatif sur le commerce international en dollars.

Les cycles d’accumulation puis de résorption de la dette existent depuis des milliers d’années et ils influencent très fortement les performances des stratégies d’investissement. Depuis 2008, les politiques monétaires accommodantes ont exacerbé leur influence, forçant les investisseurs à adapter leurs portefeuilles pour préserver leur patrimoine et leur pouvoir d’achat. Quelle que soit la classe d’actifs considérée, la dévaluation a un impact significatif, déterminant pour le succès d’un investissement.

Quel actif choisir?

La détention d’obligations durant les dernières phases d’un cycle d’accumulation de la dette est considérée comme plus risquée, car l’inflation érode la valeur réelle des paiements à venir. L’importance de la dette augmente la probabilité de défaut de paiement et conduit inévitablement à une dévaluation de la dette et de la devise. Dans un contexte de taux bas, les rendements de tels actifs deviennent souvent négatifs, ce qui les rend peu intéressants en tant que valeurs de réserve.

Les obligations restent néanmoins un pilier des portefeuilles institutionnels, car elles jouent un rôle crucial pour les caisses de pension, les compagnies d’assurances et les fonds souverains qui ont besoin de flux de trésorerie prévisibles pour couvrir leurs engagements. Les obligations indexées sur l’inflation offrent une certaine protection dans la mesure où leurs coupons sont indexés sur l’écart entre l’inflation attendue et l’inflation effective. Mais en phase de dévaluation monétaire, les actions représentent en général une meilleure option pour préserver le capital (même si les obligations restent gage de diversification et de stabilité).

Le bitcoin: une alternative solide

Au vu des pressions auxquelles sont soumis les actifs traditionnels (actions et obligations), l’intérêt se porte vers des alternatives telles que l’or, l’immobilier, l’art et les actifs numériques (bitcoin). L’or a longtemps été considéré comme la valeur refuge en cas de dévaluation. Cependant, l’essor d’actifs numériques tels que le bitcoin est venu entamer cette domination historique de l’or. En effet, si l’offre de métal jaune varie en fonction de la production minière, celle de bitcoin est immuable, fixée à 21 millions de jetons, dans le cadre du protocole de la blockchain. Ceci confère au bitcoin le titre d’actif le plus solide au monde. L’ETF iShares Bitcoin Trust de BlackRock a d’ailleurs connu un succès remarquable puisque ses actifs sous gestion ont atteint dix milliards de dollars en tout juste sept semaines après son lancement. C’est un tournant majeur dans la manière dont le bitcoin est perçu et utilisé par les gérants de portefeuilles multiactifs.

En conclusion, la dévaluation monétaire est une problématique complexe: banques centrales et gouvernements doivent choisir entre continuer à mener des politiques de monétisation de la dette, au risque de dévaluer leur devise à long terme, ou adopter des politiques d’austérité budgétaire, au risque de ralentir leur croissance et de déclencher des désordres sociaux. Globalement, le monde doit trouver un moyen de faire face à un endettement excessif et à la menace de la dévaluation, que ce soit par le biais de l’essor d’actifs alternatifs tels que l’or et les cryptomonnaies ou par celui de réformes du système monétaire international. D’ici là, les leçons de l’histoire sont sans équivoque: une monétisation incontrôlée de la dette et la dévaluation mènent à l’instabilité économique et à l’inflation puis, finalement, à l’effondrement des monnaies. La question n’est pas de savoir si de telles politiques auront des conséquences, mais de déterminer quand elles se manifesteront et quelle sera leur gravité. 

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