Les agences de notation, la crise et les anges déchus

AWP

2 minutes de lecture

«On a une masse d’entreprises qui sont des anges déchus, qui étaient en catégorie investissement et qui deviennent à haut rendement», relève Patrick Artus de Natixis.

Avec la crise économique du coronavirus, les agences de notation revoient en baisse la capacité de nombreuses entreprises à honorer leur dette et dégradent leur note, au risque de priver les plus fragiles de financements.

«En ce moment, on a une masse d’entreprises qui sont des anges déchus, qui étaient en catégorie investissement et qui deviennent à haut rendement», c’est-à-dire à haut risque de ne plus pouvoir rembourser, relève Patrick Artus, chef économiste chez Natixis.

«Ces entreprises perdent la capacité de voir leurs obligations achetées par les banques centrales» et «instantanément, leur coût de financement augmente énormément», poursuit M. Artus.

Selon une note publiée la semaine dernière par S&P Ratings, 8% des entreprises européennes classées en catégorie spéculative feront défaut au cours des 12 prochains mois - c’est-à-dire ne rembourseront pas au moins une échéance de leur dette -, alors que ce taux n’était que de 2,2% en décembre.

Le problème est massif parce que l’endettement des sociétés a fortement progressé au sortir de la crise financière de 2008.

«Ces dernières années, avec la faiblesse des taux d’intérêt, beaucoup d’investisseurs se sont tournés vers la dette des entreprises qui offre un rendement supérieur (aux dettes des Etats) mais implique une prise de risque accrue», rappelle Yann Le Pallec, directeur général de la notation au niveau mondial chez S&P.

«Avant même cette crise, le nombre de notes en catégorie dite spéculative, notamment en B1, B2, B3, à quelques crans du défaut, a beaucoup augmenté», constate Myriam Durand, responsable au niveau mondial des notations corporate chez Moody’s.

Les analyses de S&P «portent sur le long terme, mais notre rôle est aussi de mettre en évidence les sociétés qui présentent des risques de liquidité ou de défaut à très court terme», reconnaît M. Le Pallec.

Les agences de notation soulignent qu’elles jouent un rôle d’information indispensable pour les investisseurs, encore accru en période de très forte incertitude.

«Naviguer dans un tunnel»

«En période de stress, les investisseurs ont d’autant plus besoin d’une pluralité d’opinions qu’ils manquent de visibilité. Nous taire serait comme priver un orchestre de toute une partie de ses instruments», estime Michael Seewald, responsable notation des entreprises en Europe, Moyen-Orient, Afrique chez S&P.

Et «les marchés sont beaucoup plus volatiles que les notes de Moody’s», dit Mme Durand. «Nous prenons le temps de regarder l’effet des programmes de soutien gouvernementaux, de faire des analyses de +stress tests+ très poussées, de regarder quelle sera la situation à la sortie de cette crise».

«Nous n’agissons pas dans la précipitation. A fin mars, nous avions modifié 120 à 130 notations d’entreprises, soit environ 10% des émetteurs que nous suivons; moins de la moitié de nos décisions étaient des abaissements de notes», les autres étant des modifications de perspective ou des mises sur surveillance, détaille M. Seewald.

Malgré tout pour M. Artus, «de façon structurelle, la finance est pro-cyclique, elle renforce la taille des récessions» et les agences de notation en font partie avec les banques, les assurances, les fonds d’investissement.

Devrait-on pour autant se passer des notations?

«La politique de l’autruche est risquée à moyen terme», selon Ludovic Subran, chef économiste de l’assureur Allianz, pour qui il vaut mieux savoir à quoi s’en tenir.

S’il refuse de blâmer les agences de notation, il reconnaît toutefois qu’il y a «un risque que la façon de noter ne soit pas adaptée à un tel niveau d’incertitude, de soutiens des pouvoirs publics et que les agences de notation aggravent la situation en bloquant le marché du financement».

C’est pourquoi il préconise «une notation de crise» dont la fonction serait «moins ambitieuse et plus temporaire».

Chez S&P, «nos critères de notation sont suffisamment exhaustifs pour appréhender la situation actuelle», assure M. Le Pallec en précisant que ces critères font l’objet d’examens réguliers.

Pour Mme Durand, «les agences de notation peuvent être une boussole d’opinion, alimentée par une analyse de crédit classique, qui permet de naviguer dans ce qui est un tunnel», car on est face à une crise «qu’on ne peut pas ancrer dans des choses qu’on connaît».

Patrick Artus critique pour sa part le fait que les banques centrales, dont la politique monétaire vise à amortir les chocs économiques, ne peuvent pas acheter de dette des entreprises en catégorie spéculative, car cette interdiction renforce selon lui la crise au lieu de l’atténuer.

A lire aussi...